Le temps de la médecine
Si « la préhistoire des activités associant l'animal à l'homme se perd dans la nuit des temps », comme le note le Dr Didier Vernay, dans la préface de l'ouvrage qu'il a dirigé (« le Chien, partenaire de vies », à paraître le mois prochain chez Erès Editions), les initiatives pour mettre en uvre les méthodes impliquant l'animal dans la santé humaine sont toutes récentes.
En France, pour le chien, le plus utilisé et le mieux adapté, c'est à Marie-Claude Lebret qu'on les doit. Ce professeur de biologie et de zootechnie au lycée agricole d'Alençon (Orne) a eu le déclic en 1989 : « Un reportage à la télévision m'a fait découvrir la Canine Companion for Independence Association, une association américaine très en pointe. Deux stages effectués dans leur centre californien m'ont permis d'acquérir les principes pour organiser l'apprentissage du chiot dans sa famille d'accueil, puis pour lui faire assimiler les cinquante-trois commandes qu'il doit maîtriser à l'issue de sa formation. »
La formation s'étale sur deux années au terme desquelles, dûment estampillé chien d'assistance, harnaché avec un sympathique sac à dos bleu et or marqué du sigle ANECAH (Association nationale d'éducation des chiens assistance aux handicapés)*, le chien, généralement un labrador, ou son proche cousin, le golden retriever (on les préfère au berger allemand, tout aussi doué, mais qui peut être ressenti comme une gêne à la sociabilité), est alors présenté à son maître handicapé.
En décembre 1993, Gadget, le 21e élève issu de la classe de Marie-Claire Lebret, était attribué au Dr Didier Vernay. Ce neurologue (CHU de Clermont-Ferrand), paraplégique en fauteuil mécanique à la suite d'un accident de voiture survenu deux ans plus tôt, a fait partie des premiers « postulants » de l'association. « Gadget est une chienne labrador particulièrement vive, précise-t-il, plutôt profilée pour le rapport et, donc, destinée à venir en aide aux tétraplégiques, alors que ma demande portait sur un animal performant dans la fonction de trait. Malgré tout, une alchimie très mystérieuse s'est opérée entre nous. Gadget me communique de son tonus, de sa vivacité. Elle m'a longtemps aidé pour ouvrir et refermer les portes, pour allumer la lumière, pour ramasser les objets à terre et, bien qu'elle soit une sprinteuse plus qu'une fondeuse, également pour tirer mon fauteuil sur de moyennes distances. Sans parler de mon travail de médecin. »
Car le Dr Vernay exerce avec son assistante canine au CHU clermontois. « Au service de neurologie, quand je consultais, elle était couchée sous mon bureau et, le plus souvent, elle allait saluer le patient à son invitation. A part dans les rares cas où celui-ci se montrait plutôt craintif, le résultat était fabuleux : des gamins au départ rétif devant l'univers hospitalier demandaient tout à coup à venir consulter uniquement pour lui rendre une visite. »
Par la suite, devenu chef du service de rééducation fonctionnelle dans le même établissement, le praticien en fauteuil n'a cessé de se féliciter de la présence de Gadget. « Son comportement hallucinant de formule 1 sur le plan de la pure technique d'assistance suscite des résonances psychologiques inestimables :le chien ne s'use pas, sa présence joyeuse est une invitation au jeu pour l'enfant, il le booste et le dynamise. »
Le chef de service reste cependant réaliste : « Tous les handicapés moteurs ne relèvent pas d'une prescription canine, souligne-t-il. Dans un certain nombre d'indications (les victimes de lésions cérébrales, les scléroses en plaques, notamment), le chien ne sera utilisé que comme un animal "ordinaire" de compagnie. De plus, il convient de se souvenir de l'adage primum non nocere : certaines conditions minimales doivent être réunies pour ne pas nuire à l'environnement du handicapé, non plus, bien sûr, qu'à l'animal. »
Faute d'un projet thérapeutique précis, souligne le Pr Laurent Gerbaud, professeur de santé publique à Clermont-Ferrand, économiste de la santé, on aboutit à des situations d'échec : « Dans une étude sur l'utilisation de chiens collectifs confiés à des institutions qui accueillent des personnes âgées, nous concluons même que, dans quatre cas sur cinq, on aboutit à des impasses, avec des animaux dépressifs qui subissent à longueur de journées les coups de canne de pensionnaires déments. »
A côté du chien, d'autres espèces sont utilisées dans les programmes d'aide. Avec des résultats très inégaux. Bien situé dans le palmarès du service rendu par l'animal à l'homme, le cheval jouit d'une place reconnue depuis les années soixante-dix. Les thérapies équines, dites équithérapies, font la part belle aux interactions émotionnelles et transférentielles, s'appliquant à de nombreuses pathologies, de la maladie mentale à l'inadaptation sociale, sans oublier, au premier chef, le handicap moteur. « Nous enregistrons des résultats intéressants dans la rééducation des affections neurologiques, telles que les hémiplégies et les séquelles de traumatisme crânien », observe, par exemple, le Dr Gérard Daviaud, médecin rééducateur au centre Les Escaldes, à Angoustrine (Pyrénées-Orientales). Vice-président de la fédération Handicheval**, il a mis au point avec le moniteur d'une ferme équestre voisine plusieurs programmes spécifiques de kinésithérapie équine. « A trois (avec le moniteur et un kiné), nous organisons des séances généralement de vingt minutes, avec, selon les cas, des parcours au pas, au trot enlevé ou assis, avec des selles personnalisées ou en recourant à l'attelage. Le cheval est un animal très valorisant pour la personne en fauteuil qui, ne serait-ce qu'avec un contrôle postural effectué au pas, va vivre une sorte d'expérience salvatrice. Certes, il s'agit d'un traitement physique, mais l'impact psychologique est incalculable, que ce soit chez des enfants en difficultés affectives ou des personnes âgées déprimées qui, tout à coup, s'autonomisent, sont fortement redynamisées. »
A l'opposé, les programmes d'aide simienne ont, semble-t-il, vécu. Ils connurent leur heure de gloire dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Les médias s'extasiaient sur ces petits singes capucins à l'extraordinaire agilité, aux performances cognitives incontestablement supérieures à celles du chien. « Le problème, note Didier Vernay, c'est que, si leur prestation peut être ponctuellement remarquable, la vie de la personne handicapée avec ces animaux tourne rapidement au cauchemar : le petit capucin a un comportement très évocateur du petit humain, mais, dès la préadolescence, il adopte une attitude de fuite qui lui fait ressentir tout regard fixé dans sa direction comme une agression, entraînant des réactions violentes. De plus, c'est un animal dépourvu de continence anale. »
« Il s'approprie le handicapé comme son propre territoire, relève encore le Pr Gerbaut, et a volontiers tendance à mordre l'infirmière venue faire la piqûre. Bien sûr, il administre avec précision les gouttes au tétraplégique, mais, comme il y prend goût, c'est tout le temps l'heure des gouttes... »
Une évaluation à faire
Exit donc l'imprévisible capucin. Sans toutefois qu'aucune étude scientifique digne de ce nom n'ait jamais été publiée. « Les relations entre l'homme et l'animal restent peu documentées et souvent regardées avec condescendance, en particulier par les éditeurs des grandes revues scientifiques », déplore le Dr Vernay. Circonstance aggravante, les aficionados sont en général victimes de leur passion. Comme le note le Pr Gerbaud, « ces milieux très cynophiles et zoophiles (soit dit sans connotation sexuelle aucune) sont victimes du bulldozer de l'émotivité. Il est difficile d'y faire entendre des exposés critiques, comme j'ai pu le constater lors du dernier Congrès international de Rio, en novembre 2001. Les associations occupent le terrain et exercent une domination militante contre les grands méchants loups scientifiques ».
Mais les choses changent. A l'initiative du Dr Vernay, qui en assure la coordination, le Groupe de recherche et d'étude sur la thérapie facilitée par l'animal (GREFTA) vient de se constituer, associant dans un esprit multidisciplinaire médecins, biologistes, vétérinaires, psychologues et éthologues. Un projet de recherche clinique attend son financement pour analyser des données sur l'animal et le handicap chez l'enfant. Côté cheval, des programmes sur des échelles d'évaluation devraient aussi être montés, là encore, dans l'attente des fonds nécessaires.
Ces besoins de financement frappent aussi de plein fouet les formateurs d'animaux telle l'ANECAH : « Nous demandons que l'aide animalière soit enfin reconnue dans le cadre de la future loi sur le handicap, explique sa présidente, le Dr Hélène Bost. Aujourd'hui, nous en sommes toujours à quémander des dons et la charité du public pour des animaux qui transforment la vie des handicapés, par l'aide technique et le soutien moral et affectif qu'ils leur procurent. Sans parler du changement de regard qui s'ensuit pour le maître. »
* Tél. 01.45.86.06.33, www.anecah.org.
** Tél. 05.49.97.07.77, www.handicheval.ch.
Chiens guides d'aveugles
L'efficacité du chien pour compenser le handicap visuel est tout aussi probante que dans le cas du handicap moteur, encore plus ancienne et logée à la même portion congrue. La première école française a pourtant été montée dans les années cinquante et, aujourd'hui, plus de 140 chiens guides d'aveugles sont offerts gratuitement par les dix écoles qui assurent la formation de l'animal, avec un programme de trois ans que supervise la Fédération française des associations de chiens guides d'aveugles (FFAC)*. Un coût unitaire de plus de 15 000 euros, sans aucune prise en charge publique ou sociale.
* Tél. 01.44.64.89.89, www.chiensguide.com.
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