Métastases
M. B, âgé de 72 ans, est suivi en soins de suite dans le cadre d’une néoplasie prostatique avec métastases osseuses et hépatiques. Il présente, par ailleurs, une fracture pathologique de la tête humérale droite, non déplacée, traitée par immobilisation.
Ses antécédents médicaux sont marqués par un diabète de type 2, une hypercholestérolémie et un tabagisme estimé à 10 paquets-années.
Du point de vue chirurgical, il a bénéficié d’une cholécystectomie en 1992 ainsi que d’une réduction de luxation de l’épaule en 2001.
Le patient est alité depuis de nombreuses semaines du fait d’une asthénie intense, liée à la fois à la pathologie et à son traitement, car il continue de bénéficier d’un traitement anticancéreux hebdomadaire, à base de Taxotere.
Clinique
Ce patient présente un état général conservé, mais il se plaint principalement d’une asthénie profonde plutôt sur le plan physique ; il garde une humeur satisfaisante avec des fonctions cognitives normales. Il n’a pas de troubles sensoriels.
L’examen neurologique d’entrée est sans anomalie. Il n’y a pas de fécalome, pas de rétention urinaire.
Le patient est entré en soins de suite le 27 juin. Il présente brutalement le 18 août des hallucinations visuelles anxiogènes, sans contexte précis de survenue, sous la forme de personnes non familières, déclarées comme présentes dans sa chambre et voulant se défenestrer ; ces visions sont répétées plusieurs fois par jour ainsi que le lendemain ; elles ne sont pas accompagnées d’agitation.
Lors des intervalles libres entre ces phénomènes, le patient est lucide et reconnaît l’absurdité de la situation, entraînant une souffrance psychologique (la critique de cette perception est importante car elle peut nous orienter vers une hallucinose, davantage en rapport avec une origine somatique).
L’examen neurologique est normal, sans signe de focalisation, le patient ne présente pas de troubles neurologiques associés à ses hallucinations visuelles.
Bilan complémentaire
Les examens biologiques sont normaux, sans troubles ioniques, ni trouble de la calcémie. La TSH est normale, la recherche de toxiques est négative et le dosage de la vitamine B12 et des folates est normal.
Le scanner cérébral avec injection est lui aussi normal.
L’électroencéphalogramme ne présente pas d’anomalies.
Les diverses thérapeutiques en cours sont suivies depuis de nombreuses semaines, voire plusieurs mois, et n’ont pas provoqué d’effets secondaires neurologiques de ce type (macrogol, Insulatard, dompéridone, paracétamol, énoxaparine sodique).
Seul le zolpidem, prescrit comme somnifère, pourrait éventuellement donner des effets secondaires neuropsychiatriques, mais le résumé des caractéristiques du produit ne mentionne pas d’hallucinations dans les effets indésirables. De plus, le patient bénéficie de ce traitement depuis plusieurs mois à la posologie habituelle d’un comprimé à 10 mg le soir au coucher.
Après avis oncologique, le Taxotere suivi depuis plusieurs semaines ne peut être incriminé pour expliquer des troubles hallucinatoires, seuls des troubles neurosensoriels légers à modérés à type de paresthésies et de dysesthésies étant possiblement liés à ce traitement.
Aucune nouvelle molécule n’a été introduite récemment.
Les hallucinations
L’hallucination est une «conviction intime d’une sensation actuellement perçue, alors que nul objet extérieur propre à exciter cette sensation n’est à portée des sens» (Esquirol) ; ces phénomènes sont fréquents chez la personne âgée et démente. Les hallucinations peuvent être d’origine « physiologique » (par atteinte organique ou toxique) ou d’origine psychiatrique.
L’origine psychiatrique des troubles ne peut être retenue qu’après un examen clinique complet et des examens complémentaires normaux (au minimum bilan sanguin, scanner et EEG).
La première cause à rechercher chez une personne âgée présentant des hallucinations est la présence d’une confusion mentale, d’origine iatrogène ou toxique, et cela d’autant plus qu’elle est d’apparition brutale, sans antécédents neuro-psychiatriques.
L’immobilisation prolongée
Elle est la conséquence d’une réduction majeure de l’activité avec, comme corollaire, un alitement prolongé et le risque d’apparition de complications en décubitus.
Elle est souvent liée à un état pathologique ou polypathologique sous-jacent avec un handicap moteur.
Conclusion
Dans notre observation, après bilan complet et avis neurologique, seule une complication psychiatrique d’une immobilisation prolongée a été retenue, après élimination des autres diagnostics.
Tout est rentré dans l’ordre de manière spontanée après ces deux jours difficiles pour le patient et l’équipe soignante. Une stimulation du malade par la mise au fauteuil puis, plus tard, par la reprise de la marche a permis une amélioration clinique globale. Une surveillance régulière sur plusieurs mois a permis de constater que ces symptômes n’inauguraient pas une pathologie neuro-psychiatrique.
Ce cas précis permet de garder à l’esprit que des troubles psychiatriques graves, impressionnants pour le patient et l’équipe soignante, peuvent apparaître, sans lésions organiques ni troubles physiologiques sous-jacents, et qu’ils peuvent être imputables à une immobilisation prolongée.
Gériatre, centre Mgen, Hyères.
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