RÉVOLTE ou révolution ? Avec l’arrivée d’Internet s’est développé, dans les milieux de la recherche désireux de s’affranchir de l’hégémonie des revues de publications scientifiques, un mode direct de communication entre les chercheurs. Les physiciens ont tiré les premiers en 1991 avec ArXiv (université Cornell) qui, grâce à ses prépublications en ligne, a notamment permis aux chercheurs russes de rester en contact avec le reste du monde scientifique après l’effondrement de l’Union soviétique. Le mouvement « open access » a ensuite gagné les sciences de la vie. Le Ncbi (National Center for Biotechnology Information) du NIH américain a lancé en 1999 PubMed Central, un portail de diffusion gratuite du texte intégral d’articles déjà parus. Plus de 150 revues « payantes » ont accepté de fournir des articles gratuitement.
Parallèlement, un nouveau modèle d’édition scientifique alternatif est apparu, avec BIoMed Central (gratuit à ses débuts) ou PLoS Biology, lancée en 2003 par le Prix Nobel de médecine Harold Varmus, fondateur de l’association Public Library of Science. Dans ces revues, qui fonctionnent sous le contrôle scientifique des habituels comités de lecture, les frais de publication (de 500 à 1 500 dollars) sont supportés par l’auteur ou son organisme et l’accès est libre et gratuit.
Versions successives.
Quand Franck Lalöe a créé en 2000, au sein du Cnrs, le Ccsd (Centre de communication scientifique directe), il s’inscrivait dans la ligne des archives ouvertes en «renouant avec le mode de correspondance scientifique qui existait avant les revues». Selon lui, le système d’archivage électronique HAL (pour Hyper Article on Line et allusion à l’important personnage de l’ordinateur dans « 2001, l’Odyssée de l’espace »), développé pour accueillir les archives ouvertes de la communauté scientifique, ne se substitue en aucun cas aux publications scientifiques. D’abord, parce qu’il n’y a pas de comité de lecture préalable à la mise en ligne, mais seulement un examen rapide de quelques minutes. «La plupart des scientifiques vont conserver les publications scientifiques à un comité de lecture.»
Ensuite, la publication sur HAL introduit la notion de versions successives améliorées d’un même article, que l’on ne peut effacer, mais qui vont s’empiler. «Un article suscite des réactions, et il continue à avoir une vie postérieure à sa publication.»
HAL est donc destiné aux « preprint », aux thèses difficiles à trouver, aux articles déjà parus que l’on peut mettre à la disposition des chercheurs, aux études pour lesquelles le temps de publication des revues est très long. Même si les résumés ont tout intérêt à être en anglais, on peut publier dans toutes les langues et avec des versions bilingues. Le portail peut aussi servir à prendre date. Il ouvre d’emblée les portes de la communauté internationale, avec une interconnexion vers arXiv pour la physique et les mathématiques, et bientôt vers PubMed Central pour les sciences de la vie.
«Il y a eu abus de situation dominante de la part des revues», déplore Edouard Brézin, président de l’Académie des sciences, qui rappelle qu’au début aucun éditeur n’acceptait l’idée de publier quelque chose qui était déjà paru sur le Web et que, aujourd’hui, de 80 à 85 % des revues l’autorisent, quand elles ne l’encouragent pas avec leur propre site de publication en ligne.
Actuellement, HAL reçoit 1 200 textes intégraux par mois, soit 15 % de la production scientifique nationale. Les archives en ligne se montent à près de 33 000 documents.
La signature en juillet dernier d’un protocole d’accord entre les acteurs de la recherche française pour faire archives communes et ouvertes devrait accélérer les dépôts. «Il faut obtenir une masse critique de dépôts pour que les chercheurs ressentent le besoin de consulter le site», note M. Marion, de la Direction générale des enseignements supérieurs. Les organismes vont inciter leurs chercheurs à déposer. Ce qui n’ira pas sans un effort d’information et de persuasion, surtout auprès des chercheurs biomédicaux peu familiers du système (voir encadré).
http://hal.ccsd.cnrs.fr accès libre, inscription obligatoire pour déposer.
Des chercheurs qu’il reste à convaincre
A l’Inserm, les chercheurs interrogés par « le Quotidien » semblent peu au courant de l’existence de la plate-forme HAL, mais se déclarent perplexes. Le Dr Sonia Garel, directrice de recherche en charge de la communication et de la diffusion de la connaissance scientifique, rappelle que «toutes les évaluations des chercheurs se font sur des publications de leurs travaux de recherche dans des revues internationales avec comité de lecture et on ne pourra jamais comparer les archives ouvertes à l’article d’une revue scientifique».
Si, pour les responsables du protocole, HAL n’est pas un concurrent du système en place, pour Jean-Pierre de Villartay (unité Inserm Développement normal et pathologique du système immunitaire), l’accès ouvert n’apparaît pas comme un plus : «Pour le chercheur, ce système semble redondant par rapport à ce qui existe. Les laboratoires sont abonnés aux revues scientifiques et ont donc déjà accès à une grande partie des publications.» Jean-Pierre de Villartay craint que l’absence de vérification par un comité de lecture n’entraîne la publication de recherches «fausses ou peu importantes». Le souci premier est l’efficacité et «le seul moyen, c’est l’approbation des publications par un comité de lecture impartial et honnête». «Les chercheurs vont continuer de se battre pour être publiés dans des revues à fort impact factor », confirme Sonia Garel.
Quelle serait dès lors l’utilité de HAL ? Le Dr Garel reconnaît que «cela peut être un moyen de publier des résultats rapidement avant l’accord des grandes revues scientifiques», ce qui favorisera une certaine protection : «Pour une découverte scientifique, il est important de prendre date.»
Une réunion d’information aura lieu le 15 novembre à l’Inserm à destination des chercheurs, seule garantie du succès de HAL. Mais, là encore, le Dr Garel se pose la question : «Est-ce que les chercheurs vont suivre? Je n’en sais rien.»
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