De notre correspondante
à New York
« La région en amont du gène de l'aromatase pourrait être un site de mutations fréquentes », déclare l'équipe dirigée par le Dr Serdar Bulun (université de Chicago). « Des réarrangements plus courants pourraient entraîner des excès d'estrogène plus subtils qui ne sont pas reconnus cliniquement, mais majorent néanmoins le risque de maladies estrogénodépendantes, comme le cancer du sein, de l'endomètre et l'endométriose. »
Les estrogènes sont synthétisés dans l'organisme à partir de précurseurs stéroïdes, sous l'action d'une enzyme clé : l'aromatase. Son gène (CYP19), situé sur le chromosome 15q21.2, est transcrit en ARNm sous le contrôle de promoteurs spécifiques selon les tissus, dispersés en amont du gène. Chaque promoteur, activé par des hormones spécifiques, produit un ARNm aromatase spécifique du tissu (placenta, gonades, cerveau, graisse et peau). Ces ARNm contiennent la même région codante ainsi qu'un segment non traduit (ou non codant) spécifique du promoteur et donc du tissu.
Chez les hommes et les femmes ménopausées, les estrogènes sont surtout produits dans les sites extraglandulaires comme la graisse et la peau, qui expriment de faibles taux d'aromatase grâce aux promoteurs 1.3 et 1.4.
Shozun, Bulun et coll. décrivent 3 patients, un père de 36 ans et son fils de 7 ans, ainsi qu'un adolescent de 17 ans non apparenté. Ces trois patients ont développé dans l'enfance une gynécomastie progressivement sévère, causée par un excès de production d'estrogène. Ils ont présenté aussi, comme autres manifestations d'excès d'estrogène, une poussée de croissance précoce, une fusion précoce des épiphyses et une taille adulte diminuée.
Aromatase de dix à vingt fois plus élevée
Ces patients avaient un caryotype normal (46, XY) et leur excès d'estrogène n'était pas causé par une tumeur testiculaire ou surrénalienne. L'examen biochimique a révélé que cet excès d'estrogène est causé par une activité de l'aromatase de 10 à 20 fois plus élevée que la normale dans la graisse et la peau.
Les investigateurs, soupçonnant une anomalie génétique, ont donc examiné l'ARNm de l'aromatase dans la graisse et la peau. En particulier, la région non traduite (signature du promoteur), afin de déterminer quel est le promoteur responsable de la surexpression de l'aromatase. Ils ont fait un constat surprenant, la région non traduite de l'ARNm n'est pas la signature d'un promoteur de l'aromatase. Les régions non traduites de l'ARNm contiennent la même séquence (FLJ) chez le père et son fils, et une autre séquence (TMOD3) chez l'autre garçon.
Autosomique dominante
Ces séquences, ont découvert les investigateurs, sont normalement celles des promoteurs (premiers exons) de deux gènes, FLJ et TMDO3, situés juste en amont du gène de l'aromatase sur le chromosome 15. Chez le père et le fils, la mutation est transmise de façon autosomique dominante. Chez l'autre garçon, cette mutation semble être nouvelle puisque les membres de sa famille ne sont pas affectés.
Chez ces patients, cette mutation « gain de fonction » d'un seul allèle entraîne la surexpression de l'aromatase (de 80 à 100 % de la quantité totale d'ARNm aromatase). Les gènes FLJ et TMDO3, exprimés dans de nombreux tissus, sont de fonction inconnue, aussi on ignore si leur perturbation hétérozygote a des conséquences.
Le père et l'adolescent de 17 ans ont eu une mastectomie. Un traitement par un inhibiteur de l'aromatase a abaissé leur taux d'estrogènes et normalisé leur fonction gonadique. Toutefois, notent les auteurs, un traitement de longue durée n'est pas clairement justifié car les conséquences à long terme de taux élevés d'estrogène chez les hommes ne sont pas connues. Ils suggèrent que les seins et la prostate de ces hommes soient surveillés, en raison des effets potentiellement néfastes des estrogènes sur ces tissus.
« New England Journal of Medicine » 8 mai 2003, p. 1855.
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