Comment devient-on franc-maçon ? Pour Guy Arcizet, après vingt ans d’exercice de la médecine générale, c’est un patient qui est venu le chercher : « Avec le discours que vous tenez sur la société, je ne comprends pas pourquoi vous n’êtes pas franc-maçon… ». Et c’est comme ça que cet ancien généraliste de Bagnolet a revêtu le tablier un jour de 1986 : « À l’époque, les institutions ne m’inspiraient guère et a priori le rituel maçonnique non plus. Je suis quand même allé voir… Et j’y suis toujours, 25 ans plus tard… » explique, calme et souriant, le nouveau Grand Maître du Grand Orient de France, élu le 2 septembre dernier lors du convent de Vichy. L’histoire tient un peu de l’anecdote. Mais pas seulement, puisque le praticien s’interroge encore : « Serais-je devenu franc-maçon si je n’avais pas été généraliste ? Ce n’est pas sûr… »
Il faut dire que même s’il confesse avoir opté un peu par hasard pour la discipline, c’est à la médecine générale que le Dr Arcizet doit sa fibre sociale et un intérêt pour des questions de société qu’il place au centre de son engagement maçonnique. Et d’ailleurs à 71 ans, l’homme n’est-il pas resté banlieusard dans l’âme (il habite une cité à Rosny-sous-Bois) et quelque part toujours généraliste, cinq ans après avoir pris sa retraite ? « Ce qui m’a le plus touché lors de mon élection, c’est de recevoir ces messages de mes patients qui m’ont téléphoné pour me dire leur reconnaissance. Ça c’est une vraie reconnaissance, plus encore que celle de mes frères. »
Comme il le raconte volontiers, le Bagnolet des années 60, c’est une banlieue comme on peine à l’imaginer en ce début de XXIe siècle : des jardins ouvriers et des chemins de terre, une forte densité de gens du voyage, et un condensé de problèmes sociaux avec ses avortements clandestins et un alcoolisme endémique. Fils de dentiste, élevé au Maroc jusqu'à l’âge de 18 ans, Guy Arcizet n’était guère préparé à cet univers-là. Mais il raconte que la médecine générale de banlieue fit sur lui l’effet d’un déclencheur : « en fait, j’ai été « perverti » par cette misère, une sorte de contagion qui m’a permis de me construire une identité sociale grâce à mon métier. » En bonne logique, on retrouvera ensuite le jeune médecin à militer au Syndicat de la médecine générale, une organisation post soixante-huitarde qui regroupe la gauche de la profession et réfléchit à un système de santé alternatif.
Aujourd’hui encore, quand on l’interroge sur la crise de la médecine générale, le nouveau chef de file du Grand Orient développe d’ailleurs sur l’univers de la santé un discours qui sort des idées reçues et des sentiers battus. Sa fille Geneviève continue de travailler dans le cabinet de groupe qui était le sien à Bagnolet. Et il explique avoir eu la chance de trouver lui-même un successeur – un ami qui a lui succédé en Seine-Saint- Denis. Pourtant, les discussions familiales le ramènent à la crise du système de santé. À l’en croire, elle ne date d’ailleurs pas d’aujourd’hui : « Depuis trente ans, les médecins généralistes sont dépréciés. Aujourd’hui, leur formation s’est améliorée, mais leurs conditions de vie et de travail sont souvent épouvantables et leur statut reste à construire. Je comprends qu’ils se révoltent », estime-t-il. Le diagnostic est sans complaisance et le remède radical : « Il va falloir réformer en profondeur notre système de santé, mettre sur la table des choses difficiles, et réfléchir par exemple au bien fondé de la coexistence de deux secteurs, publics et privés. »
À la tête du Grand Orient de France, le nouveau Grand Maître aura désormais tout loisir de poursuivre et d’orienter le travail de réflexion d’une institution qu’il décrit comme un corps intermédiaire de la République, entre le pouvoir et la population, et dont les réflexions se diffusent, dit-il, « par capillarité ». À cette haute fonction, le généraliste succède donc au Pr Lambicchi, un cardiologue. Signe peut-être que les professions de santé restent très représentées au GODF. Sur 35 membres, le conseil de l’Ordre qui a élu Guy Arcizet comptait deux ou trois médecins, deux kinés et un dentiste. Et les blouses blanches représentaient un tiers de cette même structure l’an passé… À Vichy après son élection, le Dr Arcizet a expliqué vouloir développer la réflexion de son instance sur les questions sociales et sociétales. « Nous avons une commission de bioéthique reconnue par l’Unesco, qui donne son sentiment sur des questions comme la gestation sur autrui, l’homoparentalité et plus récemment sur le statut des malades de longue durée, greffés du cœur, malades du Sida ou du cancer par exemple. »
Sur ces questions qui touchent de près le monde de la santé, comme sur d’autres plus éloignés du monde des hommes en blanc, Guy Arcizet professe une ouverture de bon aloi et définit la franc-maçonnerie comme un « chemin personnel sans aucune exclusive ». Il aime à rappeler que « les chemins de la vérité sont multiples » et souligne qu’au Grand Orient, « on ne rejette que ceux qui excluent. » Des propos, qui laissent supposer que les portes du Grand Orient sont plus ouvertes qu’on pourrait parfois le penser. Elles s’ouvrent d’ailleurs aux femmes. Et quand on lui objecte que le monde des initiés reste néanmoins un univers secret, Guy Arcizet corrige gentiment : « Disons plutôt discret, parce qu’on a besoin de tranquillité pour mener notre réflexion hors de toute pression médiatique… »
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