Ces propositions, élémentaires et parfois même triviales, s’appuient sur deux enquêtes menées par le collectif « Combattre la solitude », qui regroupe huit associations caritatives* : une enquête quantitative, menée de novembre 2005 à mars dernier, avec 4 989 personnes de plus de 60 ans qui ont répondu à un questionnaire, pour «révéler l’essentiel» du problème ; et une enquête qualitative, fruit d’entretiens de 90 minutes auprès de 200 personnes âgées de 79 à 83 ans.
Après le choc qu’a asséné à l’opinion française l’épisode de la canicule de 2003, le collectif a voulu, à travers ces investigations, mieux comprendre les réalités de l’isolement et de la solitude en donnant la parole aux personnes qui en font l’expérience, parmi les quelque 12,7 millions de plus de 60 ans recensés aujourd’hui en France. Ces réalités sont distinctes : le terme d’isolement recouvre une notion objective et observable, discernable selon plusieurs critères : vivre seul ou peu entouré, avoir peu de relations ou même de contacts, etc. La solitude, en revanche, est une donnée subjective, de l’ordre du ressenti, elle est vécue comme une exclusion, rendue encore plus insupportable lorsque la détresse psychologique s’accompagne d’un quotidien douloureux ou qu’elle se transforme en pathologie.
Les trois étapes du vieillissement.
L’étude met en lumière deux grands types d’exclusion : l’une, de caractère économique, n’est pas spécifique des personnes âgées. D’ailleurs, de 10 à 12 % seulement des personnes de plus de 65 ans disent avoir du mal à s’en sortir. La pauvreté des personnes âgées n’a cependant pas été totalement éradiquée : elle est plus fréquente chez les 60-65 ans, où elle semble en augmentation et où elle est synonyme d’un sentiment de solitude aigu.
L’autre type d’exclusion est directement lié à l’âge ; peu à peu et inéluctablement, le vieillissement isole : perte du conjoint et des proches, apparition et aggravation des problèmes de santé, perte d’autonomie et réduction progressive de la vie relationnelle, autant d’éléments qui contribuent à dresser un mur de solitude autour de la personne.
De l’analyse des questionnaires, il ressort une segmentation en trois étapes, autour d’une tranche d’âge « charnière », celle des 79-83 ans ; auparavant, la personne est encore le plus souvent dans la jeunesse de l’âge, du moins l’éprouve-t-elle, en pleine activité et possession de ses facultés physiques et mentales, moins exposée alors à la solitude. Après 83 ans, c’est l’entrée progressive dans ce que l’on appelle le grand âge. Entre les deux, se produisent les plus grands changements dans le mode de vie, avec, dans de nombreux cas, le décès du conjoint. Peuvent alors surgir des détériorations, tout d’abord légères, de la vitalité.
Des paramètres matériels jouent un rôle important dans le développement de la solitude qui découle du confinement à domicile, l’autonomie dans les déplacements étant source de liberté : un immeuble sans ascenseur, une rue privée de bancs publics, en réduisant la mobilité, limitent les occasions de contacts et accentuent la frustration due au sentiment de solitude.
La dimension de la famille constitue également un facteur déterminant : plus de neuf personnes âgées sur dix disent avoir de la famille ; un tiers d’entre elles se sentent seules souvent ou très souvent, contre plus de la moitié de celles qui n’ont pas de famille. Et plus la famille est nombreuse, plus les occasions de contacts le sont. Ceux qui ne comptent qu’un ou deux parents (15,5 % des personnes interrogées) éprouvent un sentiment de solitude trois fois plus fréquent que ceux dont la famille comprend au moins une dizaine de personnes (36,1 % des interrogées). Evidemment, avec l’âge, le nombre de parents diminue : 23 % des plus de 84 ans ont des familles qui ne comptent plus qu’un ou deux membres, contre 18 % des 79-83 ans et 14 % des 60-78 ans.
Les personnes interrogées insistent sur le « rôle à part » que jouent les membres de leur famille : elles peuvent tout leur demander, des visites, des échanges sur tous les sujets, y compris les plus intimes, mais aussi des services et des dépannages.
Pour autant, l’appartenance à un groupe ou à un club n’est pas dépourvu d’incidence sur le sentiment de solitude. Celles qui fréquentent une association l’éprouvent beaucoup moins souvent que les autres ; c’est le cas de façon générale des femmes qui « aiment voir du monde » (57 %), davantage que les hommes (47 %).
La fréquentation de ces clubs suit une courbe inverse de celle de l’âge. Elle passe de 66 % pour les 60-78 ans à 46 % pour les 79-83 ans et à 37 % pour les plus âgés.
L’analyse de tous les propos recueillis lors de l’enquête livre une diversité de réponses qui montre que toutes les solitudes ne sont pas équivalentes. Mais le collectif propose plusieurs pistes pour combattre la solitude :
– passer du « faire pour » au « faire avec » : il faut éviter de mettre en place des processus d’assistance et privilégier l’écoute des personnes ;
– renforcer les « gestionnaires de cas » : des liens complexes existant entre santé, isolement et solitude, le « gestionnaire de cas » doit être intégré dans un tissu de proximité pour faire appel à tel professionnel de santé, en fonction de l’évolution de la personne ;
– amplifier les relations de voisinage : les personnes âgées elles-mêmes ont spontanément tendance à développer des stratégies en ce sens ;
– renforcer le capital social : construit tout au long de la vie par l’ensemble des relations accumulées, il est un atout précieux dans la lutte contre la solitude ;
– promouvoir les échanges intergénérationnels : il faut refuser la ségrégation liée à l’âge et ne pas hésiter à initier les aînés aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, tel Internet.
Le collectif « Combattre la solitude » étudie actuellement de nouvelles actions qui pourraient s’inscrire dans le sillage de cette enquête. Mais comme le souligne Philippe Pitaud, directeur de l’Institut de gérontologie sociale, «l’enquête présente déjà une fonction à caractère thérapeutique, dans la mesure où elle a constitué un formidable lieu d’expression en nous rappelant que, pour beaucoup de personnes âgées isolées, dire, c’est être. En parlant de soi, de sa relation aux autres, on s’identifie et on affirme son existence tout en renforçant son estime de soi.»
* Association des cités du Secours catholique, Croix-Rouge française, Fédération de l’Entraide protestante, Fédération française de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, Fonds social juif unifié, les Petits Frères des pauvres, Religieuses dans les professions de santé, Secours Catholique/Caritas France.
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