L'opposition est fondée à s'acharner contre un projet de loi sur la réforme des retraites qui a soulevé un mécontentement d'ampleur nationale. Elle ne peut pas, en revanche, bloquer des institutions qu'elle n'a jamais mises en cause et dont elle s'est servie avec délice quand elle était au pouvoir.
Avant que les syndicats rouvrent le front des retraites en septembre, les élus socialistes souhaitent démontrer que même la bataille parlementaire n'est pas encore gagnée par le pouvoir. Le PS, les Verts et surtout les communistes sont arrivés au débat à l'Assemblée avec environ 8 500 amendements. Ce seul nombre est grotesque : on ne combat pas une loi en essayant de la dénaturer mais en refusant de la voter. Que la gauche vote non à l'adoption du projet ou que la droite vote non à 8 500 amendements revient au même, sinon que la deuxième procédure fait perdre du temps. Bien que l'opposition s'en défende, elle pratique l'obstruction. On ajouterait que sa manuvre ne sert à rien, sinon à faire travailler davantage les députés, s'ils étaient plus assidus. La vérité est que certains articles de la loi sont adoptés dans la nuit par une poignée d'élus à moitié endormis.
C'est de la République qu'il s'agit
Il ne s'agit plus d'opposition mais de mise en cause des institutions, celles-là mêmes qui ont permis à la gauche plurielle de gouverner souverainement pendant cinq ans. Et on ne voit pas pourquoi les règles qui ont pleinement satisfait la gauche pendant cinq ans doivent être aujourd'hui combattues par elle au moyen de méthodes que la Constitution n'a pas prévues.
Camarades, c'est de la République qu'il s'agit. Si les élus eux-mêmes bloquent le fonctionnement de la Chambre, croient-ils un instant que leur comportement inspirera au peuple le respect qu'il doit à la démocratie ? D'où la colère de François Fillon, dont le verbe est habituellement modéré. Le ministre des Affaires sociales s'est élevé avec force contre les pratiques de la gauche. De son côté, Jacques Barrot, président du groupe UMP, a dénoncé le danger de blocage de l'Assemblée. Et le calendrier de l'examen du projet a dû être révisé : les élus travailleront jusqu'au 30 juin presque exclusivement sur les retraites et le président de la République devra les convoquer pour une session extraordinaire à partir du 1er juillet.
On ne voit pas d'où la gauche tire une telle fureur, sur quel argument elle appuie un tel acharnement, ni quel est son objectif. Sinon qu'elle entend retrouver une majorité populaire virtuelle inscrite dans les faits, mais pas dans les urnes. Il demeure qu'une majorité issue des sondages (les plus récents indiquent que 52 % des Français sont hostiles à la politique économique du gouvernement et 55 %, à sa politique sociale - ce qui n'est guère surprenant dans un pays où la moitié des foyers ne paie pas l'impôt sur le revenu) ne permet pas à un ou des partis d'accéder au pouvoir. Alors, à quoi rime ce jeu dangereux que la gauche joue à l'Assemblée ?
Les procès d'intention sont en général malhonnêtes, mais on est conduit à soupçonner l'opposition de moins agir au nom de son ressentiment que de souhaiter une déstabilisation : alors qu'elle avait prévu une réforme des retraites qu'elle n'a pas eu le courage de lancer, elle s'est empressée d'accompagner et s'est même employée à prendre la tête de la protestation dans les rues, en approuvant des grèves dures qui ont paralysé le pays et n'étaient pas de bon augure pour le fonctionnement des institutions.
La voilà maintenant qui ronge l'Assemblée dans son enceinte même. Et cette action étrange, insolite, pleine de périls, se déroule dans un contexte général où les comportements humains franchissent de plus en plus souvent le périmètre des lois : elle-même relayée par des syndicats de travailleurs qui ont favorisé leur popularité aux dépens de leurs responsabilités, la grogne publique s'est exprimée par des actes hautement répréhensibles, comme le blocage des examens par des enseignants ou la grève à la SNCF et à la RATP, faite par « anticipation » d'une atteinte, ultérieure et lointaine, à des « régimes spéciaux » dont les privilèges sont eux-mêmes un mystère pour les gens logiques.
On dira, comme on l'a dit au sujet de José Bové, que les précédents ne manquent pas : des routiers qui paralysent le pays en empêchant les livraisons de carburants aux agriculteurs qui saccagent des locaux, répandent des tonnes de purin ou de légumes devant les préfectures, bloquent les autoroutes avec leurs tracteurs, la loi a été violée des centaines de fois et sous tous les gouvernements. Mais le Parlement n'est pas la rue. En se fondant sur le respect des institutions, le gouvernement, comme il l'a clairement expliqué, a cru que le passage de la négociation sociale au débat politique mettrait un terme à la querelle.
C'est cette démarche souveraine, appuyée sur la majorité absolue dont la droite dispose au Parlement, qui a inspiré aux élus de gauche leur plus sincère indignation. On allait leur clouer le bec au nom de la Constitution et du scrutin majoritaire à deux tours ! Ils ont la mémoire courte : n'ont-ils pas tiré du même système le meilleur parti lorsqu'ils ont fait adopter la semaine des 35 heures et des dépenses budgétaires dont l'économie eût été fort utile en ces temps de vaches maigres ?
La force de l'affrontement entre gauche et droite à propos des retraites vient de deux interprétations contradictoires de la chute de Lionel Jospin : les socialistes se sont convaincus qu'il a perdu la présidentielle l'an dernier parce qu'il n'a pas conduit une politique plus à gauche, plus sévère pour les entreprises et pour le capital, plus généreuse pour la répartition, donc pour le peuple ; la droite s'est convaincue qu'il n'avait pas procédé aux réformes les plus urgentes.
Il est vraisemblable que l'analyse du PS est la plus juste, du point de vue électoral sinon sur le fond.
Le rôle de la classe moyenne
Pour la raison que ce ne sont pas les cinq ou six millions d'exclus qui militent le plus pour des taxes nouvelles sur les entreprises et le capital, mais l'immense classe moyenne : en effet, elle tire son confort (et même une forme non négligeable de prospérité) de l'assurance-maladie, des pensions qui permettent d'ignorer complètement l'épargne dans de très nombreux cas, des allocations familiales et de la myriade de dispositions qui tiennent compte de la maternité, du nombre des enfants, de la qualité du logement social, etc. C'est la classe moyenne qui ne veut pas qu'on touche à cette série de précieux avantages, sans paraître se douter qu'ils empêchent les jeunes d'accéder au monde du travail et que la sécurité qu'apporte un emploi avec sa kyrielle d'avantages sociaux se transforme en forte insécurité quand le même emploi est perdu.
Ce qu'on pourrait appeler le « modeste paradis » des employés et cadres moyens a un revers infernal quand les entreprises licencient massivement parce qu'elles ne peuvent plus financer le coût social d'un poste de travail.
Inlassablement, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin se sert du didactisme pour convaincre les Français, en quelque sorte, qu'il veut leur bien contre leur gré. On saura assez vite s'ils finiront par le croire. Entre-temps, il serait souhaitable que l'opposition ne sape pas un système pour lequel, naguère, elle avait les yeux de Chimène.
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