Le fracas bibliographique suit de près l'effondrement des tours
jumelles. A rebours des petits schémas du prêt-à-penser, André
Glucksmann appréhende l'événement en exhumant une vieille
catégorie de l'histoire : le nihilisme.Le nihilisme, c'est la volonté de produire de l'effroi pour
l'effroi. Derrière l'anéantissement se cache un ou plusieurs sanglants metteurs en scène, certes, mais ce qui frappe, c'est l'impression d'horreur gratuite. Ainsi, dit l'auteur : « Bourreau inconnu. Victime inconnue. Arme inconnue. Motif inconnu. » Reste qu'en peu de temps, dans la lignée d'Ubu, Mabuse, Attila, des grands massacreurs, ou tout simplement de Guernica, « toute la saloperie du XXe siècle est tombée sur Manhattan ».
Réfutant les explications trop rationnelles du moment, en particulier celles qui font de Ben Laden le paladin des damnés de la terre, ou celle du fameux « choc des civilisations », de Huntington, André Glucksmann invoque les grands possédés de la littérature russe : Raskolnikov, Ivan Karamazov, Stavroguine. Ils vont jusqu'au bout d'eux-mêmes dans un absolu de destruction et proclament que le Mal n'existe pas, puisque rien dans le ciel des valeurs ne préexiste à nos actes. Ils illustrent cette idée, qui fut déjà l'objet d'un autre livre de l'auteur, l'humanité produit sans peine une atroce inhumanité*.
Emotion garder
Chemin faisant, la phrase de Glucksmann galope, sa syntaxe se lâche un peu et sa pensée se relâche : on saisit mal ce que vient faire là une analyse d'Emma Bovary, mais on conçoit ce qui est le vrai sujet de son livre : Grozny et les atrocités qu'y commettent les Russes ; Poutine sur liste ...rouge des grands salopards de ce qu'Alain Finkielkraut nommait l'Histoire avec une grande hache.
Mais la leçon porte tout de même, elle est double : il y a bien une sorte d'internationale du Mal, un gang des criminels s'entre-imitant. D'autre part, les acquis de la civilisation peuvent à tout moment se défaire et nous précipiter dans le vide, vers Ground Zéro. Ce qui a été fait peut toujours se refaire ailleurs, et il faut, dit Glucksmann, « émotion garder ».
Robert Laffont, 278 p., 21 euros.
* « Le XIe Commandement », Flammarion, 1991.
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