La grossesse et les troubles du comportement alimentaire (TCA) -anorexie et boulimie pour les deux principaux- surviennent sur un même terrain : la femme jeune, en âge de procréer. « Il est alors pertinent de se poser deux questions, explique le Dr Sylvie Rouer-Saporta, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne (Paris)*: « quel est l’impact du TCA sur la grossesse en cours » et « comment celle-ci influence l’évolution d’un TCA existant ? » Ces troubles débutent -pour les formes classiques - entre 14 et 16 ans et affectent à 90% le sexe féminin. Or de nombreuses femmes dont le diagnostic de TCA est posé à l’adolescence en souffrent toujours à l’âge adulte ou alors sont atteintes d’une forme sub-syndromique.
La grossesse ne guérit pas le TCA
Non seulement une grossesse est plus difficile à obtenir chez une femme souffrant d’un TCA, mais de plus, elle peut aggraver les troubles. « Les études sont sans appel, affirme la psychiatre : la grossesse est à la fois un facteur de risque d’aggravation des TCA s’ils sont encore actifs mais aussi un facteur de rechute si la rémission est récente (jusqu’à 60% de risque). Il faut mettre en garde les femmes qui souffrent d’un TCA –y compris si celui-ci évolue positivement- et désirent un enfant, que la grossesse peut être un moment difficile ». Pour certaines femmes anorexiques, par exemple, tout changement est insupportable, et encore plus la grossesse qui entraîne des modifications localisées là où justement la femme anorexique ne souhaite pas grossir (ventre, hanches...).
Toutefois, la situation inverse existe et l’on rencontre un certain nombre de TCA qui s’améliorent pendant la grossesse avec un effet qui perdure dans le temps. « Chez ces patientes, le corps qui change et la prise de poids pendant la grossesse sont plus facilement acceptés que si elles avaient grossi en dehors d’une maternité. Une meilleure appréhension qui tient sans doute au facteur réversible de la situation, poursuit Sylvie Rouer-Saporta. A cela s’ajoute que la maternité est un statut extrêmement valorisé. La femme s’autorise « à être plus grosse », et souvent il y a un étayage plus important de l’entourage et la femme est au centre des mobilisations, de l’attention. L’imprégnation hormonale apaisante y participe.
Prise de poids ou pas?
« Chez les femmes souffrant de TCA, qui ont un IMC en général inférieur à la moyenne, la prise de poids accuse un pic au cours du 1er trimestre de grossesse, un fait inhabituel en population générale. Ainsi, elles rattrapent un poids normal très rapidement » observe le Dr Rouer-Saporta. D’où l’intérêt d’avoir repéré ces troubles au préalable, faute de quoi un médecin qui ne s’est pas enquis d’un TCA existant ou passé peut s’alerter de façon erronée d’une prise de poids si anormalement rapide. Par ailleurs, il arrive que des femmes guéries ou non de leur anorexie-boulimie, mènent une grossesse sans aucune prise de poids.
Gare à l’othorexie
Quant au comportement alimentaire, il n’a pas été constaté plus d’envies alimentaires chez les femmes ayant un TCA que chez les autres. « En revanche, ajoute la psychiatre, on a plus facilement des « lâchages » sur des aliments plus denses en calories et qui n’auraient pas été consommés en temps normal. Les vomissements sont plus fréquents chez celles qui en ont l’habitude et les vomissements gravidiques plus nombreux, a fortiori parce que pendant cette période ils sont socialement acceptés ».
A l’inverse, certaines femmes qui souffrent de TCA acceptent bien cet état de grossesse et ses modifications au nom du bébé. Elles parviennent à « manger pour le bébé », limitant leurs symptômes alimentaires. « Dans ce cas, explique la psychiatre, la restriction alimentaire qui peut éventuellement persister se mue en orthorexie, en parallèle à l’arrêt du tabagisme, au prix parfois d’une augmentation de l’activité physique alarmante ». Une vigilance s’impose lorsqu’une femme enceinte parvient à modérer cette hyperactivité physique, à limiter son tabagisme, car cela peut engendrer des pics anxieux voire des déclenchements dépressifs pendant la grossesse et toute une série de maladies s’exprimant de façon psychosomatique. Alors que la problématique se trouve au niveau des TCA et dont les symptômes -sans pour autant être guéris- sont néanmoins invisibles… »
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