Pourquoi une campagne de dépistage du CMV ?
Dr François JACQUEMARD:L'infection à cytomégalovirus (CMV) est actuellement l'infection virale congénitale la plus fréquente en France. Le risque représenté par cette infection est devenu supérieur à celui d'autres maladies plus médiatisées telles que la toxoplasmose, la rubéole et l'hépatite B pour lesquelles on pratique le dépistage chez la femme enceinte.
On estime entre 500 et 700 le nombre d'enfants présentant des séquelles chaque année. Quand un ftus est infecté par le CMV, l'enfant a 90 % de chances de naître asymptomatique, mais avec un risque de surdité séquellaire qui peut se révéler dans les premières années de la vie jusqu'à 6 ans (environ 500 enfants par an), et 10 % de risques de présenter des symptômes dès la naissance. Dans ces 10 %, environ la moitié des nouveau-nés décèdent et la moitié présente des séquelles neurosensorielles graves (environ 250 enfants par an). Au total, le CMV est à l'origine de la moitié des surdités de l'enfant !
Ces chiffres sont suffisamment éloquents pour justifier une mobilisation générale. Par ailleurs, on connaît mieux les différentes formes cliniques de la maladie et on dispose maintenant de moyens de détection sérologiques plus perfectionnés qui permettent d'identifier les femmes à risque (de 40 à 50 % des femmes enceintes sont séronégatives) ou les séroconversions.
Le but de cette campagne est d'informer d'une part les médecins et d'autre part le grand public de l'existence de cette maladie avec ses conséquences, de leur donner les moyens de la prévenir ou, le cas échéant, la diagnostiquer le plus tôt possible pendant la grossesse ou à la naissance.
Jusqu'à présent, le dépistage du CMV était conseillé en début de grossesse et réalisé de manière très irrégulière. Notre souhait est d'arriver à effectuer, particulièrement chez les femmes à risque (enceintes ayant un enfant en bas âge, ou évoluant professionnellement au milieu de jeunes enfants), un dépistage sérologique le plus précocement possible. C'est-à-dire en début de grossesse, dès la première consultation, en même temps que les autres sérologies toxoplasmose et rubéole, pour identifier celles qui sont séronégatives à CMV et leur proposer des précautions d'hygiène précises pendant toute la durée de la grossesse.
Le coup d'envoi de cette campagne de dépistage à CMV est donné aujourd'hui dans le cadre des Journées internationales de biologie. Une session, le Café scientifique, va réunir des médecins et des parents d'enfants atteints de séquelles d'infection. Elle sera relayée par la presse médicale auprès des médecins généralistes et les media grand public.
Dans les jours qui ont précédé, nous avons envoyé aux gynécologues-obstétriciens et aux biologistes un poster à afficher dans leur salle d'attente. Il est accompagné d'un courrier soulignant l'importance de cette campagne, d'un tract et d'un coupon-réponse qui leur permettra d'obtenir, s'ils le souhaitent, une information scientifique supplémentaire.
Le courrier d'information est signé par les coordonnateurs de la campagne : le Pr François Denis (microbiologiste au CHU de Limoges, membre du Conseil national supérieur hygiène et prévention), le Dr François Audibert (gynécologue-obstétricien à Antoine-Béclère), le Dr Liliane Grangeot-Keros (immunogiste et virologue à Antoine-Béclère) et moi-même, représentant le Groupe français CMV, qui a été à l'origine de cette campagne.
Le Groupe français CMV existe depuis 1994 ; c'est un groupe de réflexion et de travail qui se réunit régulièrement, dépose des projets de recherche clinique et rassemble un certain nombre de spécialistes virologues, gynécologues et pédiatres.
Nous avons souhaité, lors de ces Journées, donner la parole aux représentants des associations de parents, pour qu'ils témoignent de ce qu'ils ont vécu et de l'importance d'une information auprès du grand public. Jusqu'à présent, la plupart des parents dont les enfants ont été atteints de séquelles auditives et neurosensorielles secondaires à l'infection à CMV découvraient brutalement la maladie à la naissance de l'enfant, voire quelques mois ou années après. Le diagnostic tombait comme un couperet, sans explication, ni mise en garde, avant ou pendant la grossesse. Ce qui est psychologiquement particulièrement pénible à assumer... Pour cette raison, des associations comme « Pour les yeux d'Emilie »* se sont constituées et mènent des actions d'information qui rejoignent nos préoccupations.
Si la sérologie est négative (IgG-), cela signifie que la femme n'a jamais été contact avec le virus et justifie pleinement les mesures d'hygiène pendant toute la durée de la grossesse (lire encadré). Selon différentes études et de l'avis de certains experts, ces précautions réduisent de manière importante le risque d'infection maternelle. D'autre part, chez ces femmes enceintes séronégatives pour le CMV, surtout si elles ont un enfant en bas âge à la maison, on sera amené à faire des sérologies périodiques de contrôle pendant et en fin de grossesse.
Si la sérologie est positive (IgG+), de deux choses l'une. Soit les IgM sont négatives, l'infection est alors ancienne, datant d'avant la conception : la patiente est immunisée. Soit les IgM sont positives, et il faut avoir recours à la mesure de l'avidité des IgG, technique de plus en plus souvent pratiquée par les laboratoires de biologie et mise au point pour la sérologie de la toxoplasmose il y a une dizaine d'années. C'est elle qui va déterminer si l'infection est récente ou ancienne. Si une femme enceinte a des IgM+ à 8-9 semaines d'aménorrhée et que l'avidité des IgG est à 80 %, on exclut une primo-infection récente (< 3 mois). Inversement, si l'avidité est faible (< 30 %), cela signe une infection récente, qui peut justifier une amniocentèse en vue d'un diagnostic prénatal et une surveillance échographique renforcée.
Chez les patientes qui étaient séronégatives au premier trimestre et deviennent positives ensuite, qui ont donc fait une vraie primo-infection, il y a 25 % de ftus infectés. Chez les patientes qui avaient des IgM+ en début de grossesse avec une avidité faible, là aussi on retrouve 25 % de ftus infectés. Par conséquent, l'observation d'une faible avidité des IgG au premier trimestre de la grossesse permet d'identifier, aussi bien que lorsqu'il y a eu séroconversion, les patientes qui risquent de transmettre une infection à CMV à leur ftus.
Au total, on retrouve bien de 40 à 50 % de contamination ftale en cas d'infection maternelle, la contamination étant plus grave lorsqu'elle se produit au 1er trimestre, pendant l'embryogenèse.
Non. Il n'existe pas encore de traitement de la femme enceinte. Certains antiviraux sont susceptibles d'atténuer la gravité de la maladie pendant la grossesse sont à l'étude (valaciclovir, aciclovir déjà utilisé chez les sidéens et les greffés rénaux). Il existe en revanche un traitement du nouveau-né infecté et symptomatique après la naissance : c'est le ganciclovir IV, qui présente les inconvénients de sa voie d'administration pour des cures d'au moins trois semaines, ainsi que d'une toxicité hématologique non négligeable. La décision thérapeutique doit donc être discutée au cas par cas.
Indépendamment de la mise en route du traitement médical, le dépistage de l'infection pendant la grossesse ou à la naissance permet une surveillance régulière de l'enfant par des tests auditifs et la prise en charge précoce d'une surdité éventuelle et un suivi neuroenvironnemental prolongé.
Un entretien avec le Dr François Jacquemard, gynécologue-obstétricien à l'institut de puériculture de Paris (service de médecine ftale, Dr Fernand Daffos) et coordinateur du Groupe français CMV
* « Pour les yeux d'Emilie », Association loi 1901, 57, rue de Paris, 91120 Palaiseau. Tél/fax : 01 60 14 64 17.
Conseils d'hygiène aux femmes enceintes
L'affiche co-éditée par le groupe français CMV et bioMérieux* rappelle les principaux conseils d'hygiène susceptibles de prévenir la contamination pendant la grossesse : il s'agit surtout d'éviter tout contact avec les urines, les sécrétions nasales et la salive des jeunes enfants dans l'entourage familial ou professionnel. En effet, un enfant en crèche sur trois est infecté par le CMV. Cela signifie en pratique :
- se laver soigneusement les mains après tout contact avec leurs urines (change, pot...) ;
- s'abstenir de goûter leurs biberons, leurs aliments, de sucer leurs cuillères ;
- ne pas utiliser leurs affaires de toilettes (brosse à dent, gant de toilette...) ;
- éviter de les embrasser sur la bouche ;
- éviter le contact avec leurs larmes ou avec les « nez qui coulent ».
Pour recevoir gratuitement une affiche ou des compléments d'information : société bioMérieux (Eric Mancke)-Fax : 04 78 87 24 40
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