De notre correspondante
à New York
« N OUS pensons que nos dernières découvertes sont à la fois importantes et potentiellement troublantes, car elles suggèrent que des déficits nutritionnels peuvent favoriser les épidémies d'une façon dont nous n'avions pas conscience jusqu'ici », commente, dans un communiqué, le Dr Melinda Beck (University of North Carolina, Chapell Hill).
La chercheuse décrit avec son équipe ces résultats dans le journal FASEB (Federation of American Societies for Experimental Biology). « Nous avons examiné dans cette étude le virus de la grippe, car il conduit à l'hospitalisation, chaque année, de plus de 100 000 personnes rien qu'aux Etats-Unis. Mais ce que nous avons constaté pourrait théoriquement être vrai pour n'importe quel virus à ARN - le virus du rhume, le virus du SIDA, et le virus Ebola. »
Il y a cinq ans, Beck et coll. ont démontré pour la première fois qu'un virus humain normalement bénin chez la souris, le virus Coxsackie B3, mute et devient plus dangereux après avoir infecté la souris déficiente en sélénium. Le virus muté peut alors provoquer une myocardite chez des souris non déficientes en sélénium. Ce virus est supposé jouer un rôle central dans la cardiopathie de la maladie de Keshan. Cette maladie, autrefois endémique dans une province de Chine où le sol est carencé en sélénium, a maintenant été largement éradiqué par la supplémentation alimentaire. Les chercheurs, dans une précédente étude, ont conduit une expérience similaire avec le virus de la grippe. Ils ont observé le même phénomène.
Pneumonie sévère
L'infection avec une souche grippale relativement bénigne (Influenza A/Bangkok/1/79) chez des souris ayant un apport insuffisant en sélénium provoque une pneumonie beaucoup plus sévère que chez des souris non carencées.
Les chercheurs ont maintenant découvert que la plus grande virulence du virus résulte de la survenue de mutations dans le génome. Ils ont examiné trois des huit segments ARN du virus influenza, ceux qui codent pour les protéines associées à la virulence : l'hémagglutinine (HA), la neuraminidase (NA), et les protéines de la matrice (M1 et M2).
« On sait depuis longtemps que si l'on est mal nourri, on est davantage susceptible aux maladies infectieuses ; donc il n'est pas vraiment étonnant que les souris soient plus malades lorsqu'elles sont carencées », explique le Dr Beck. « Ce qui nous semble plutôt remarquable, c'est que nous avons trouvé la plupart des mutations dans le gène pour la protéine de la matrice M1, une protéine virale interne supposée relativement stable, et nous avons observé vingt-neuf mutations dans ce gène. Les vingt-neuf mutations étaient identiques dans trois souches virales distinctes provenant de trois souris déficientes en sélénium, et une souche virale d'une souris déficiente en sélénium présentait cinq mutations supplémentaires. » En revanche, seulement de une à trois mutations ont été observées dans les gènes codant pour l'hémagglutinine et la neuraminidase, des antigènes de surface connus pour être hautement variables. Lorsque le virus est muté, même les souris non carencées sont susceptibles à cette souche nouvellement virulente.
« Cette recherche, conjointement avec nos précédents travaux sur le virus Coxsackie, montre que des déficits nutritionnels spécifiques peuvent avoir un impact profond sur le génome des virus à ARN. Un mauvais état nutritionnel pourrait contribuer à l'émergence de nouvelles souches virales et pourrait favoriser les épidémies », commente le Dr Beck.
Le sélénium est, on le sait, un composant de la peroxydase du glutathion, une enzyme anti-oxydante utilisée par l'organisme pour combattre le stress oxydatif. Il est probable, d'après les chercheurs, que, chez l'hôte déficient en sélénium, le stress oxydatif accru pendant le cycle de réplication virale entraîne des lésions oxydatives de l'ARN viral, augmentant son taux de mutation. Le résultat : un génome altéré avec une pathogénicite accrue. Le sélénium est trouvé entre autre dans le blé, le riz et la viande ; aussi, la plupart des personnes dans les pays développés n'en sont pas carencées.
« L'état nutritionnel de l'hôte devrait être considéré lorsqu'on explore les mutations et les taux de mutation des virus », proposent les chercheurs.
« Nos résultats démontrent un mécanisme unique par lequel les virus peuvent muter et soulignent l'importance de la protection antioxydante contre la maladie virale », ajoutent-ils.
Selon le Dr Lavender, autre membre de l'équipe, « cette étude suggère aussi que la virulence du virus grippal est, d'une façon ou d'une autre, affectée par la protéine de la matrice, laquelle n'a pas été bien étudiée jusqu'ici. Cela pourrait être très important ».
« FASEB », 8 juin 2001.
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