Le Généraliste. Comment s’explique cette accélération ?
Dr Antoine Rabbat. Ce que l’on observe en France est identique à ce qui a eu lieu dans l’hémisphère sud : une pandémie grippale avec un nombre total de cas très élevé (la souche A(H1N1)v est très contagieuse) et un nombre de cas graves augmentant en parallèle. Aucun argument ne permet d’affirmer que la virulence a changé, mais A(H1N1)v a supplanté les souches de grippe saisonnière.
Pr Henri Agut. La pandémie progresse logiquement avec l’hiver : le pic de grippe survient lors des mois les plus froids. Quant au pourcentage de formes graves, il est proportionnel au nombre total de cas. Les différences notables par rapport aux épidémies des ans passés sont un nombre de cas qui sera multiplié par 2, 3, 4, voire 5 (c’est une pandémie) et le fait que ce virus s’attaque plutôt aux sujets jeunes, vierges de toute immunité antigrippale. Le seul vrai changement est que nous abordons la pandémie grippale avec un vaccin adapté : une première dans l’histoire de la médecine et surtout une vraie chance…mais dont nous ne savons pas profiter !
Comment sont pris en charge les patients aux formes graves ?
Dr A.R. Ils sont hospitalisés en chambre seule, dans les unités adaptées à leur gravité : pneumologie, soins intensifs respiratoires et réanimation. Le personnel respecte des mesures d’isolement d’hygiène des mains et de protection respiratoire type air-gouttelettes avec port systématique de masque FFP2. Ils reçoivent un traitement précoce par oseltamivir dès suspicion de grippe, et une antibiothérapie couvrant les bactéries responsables de pneumonies communautaires en cas de suspicion d’infection bactérienne associée. Le reste du traitement inclut oxygénothérapie et si besoin ventilation mécanique non invasive ou invasive avec intubation. En cas de formes très sévères avec hypoxémie réfractaire malgré une optimisation de la ventilation mécanique, le recours à des techniques d’assistance extra corporelle d’oxygénation (ECMO) peut être envisagé. Certaines choses ont néanmoins changé depuis le début de l’épidémie : les cas graves étant de plus en plus nombreux, les patients ne sont plus hospitalisés exclusivement dans des services dédiés de maladie infectieuse.
Quel est le pronostic de ces formes ? Quelles sont les sous-populations les plus touchées ?
Dr A.R. Les expériences mexicaines, canadiennes, australiennes et néozelandaises rapportent une mortalité entre 15 et 25%. Les sous-populations les plus touchées sont les femmes enceintes, les jeunes enfants, les jeunes obèses et les patients sévèrement immunodéprimés (aplasiques). La moyenne d’age des patients hospitalisés en réanimation adulte est d’une trentaine d’année. La mortalité est surtout liée à la gravité de l’atteinte pulmonaire ou des surinfections. Les séquelles sont malheureusement possibles : l’atteinte respiratoire peut être très sévère. Les modalités actuelles de ventilation mécanique visent à diminuer les lésions secondaires et les possibilités de réparation naturelle des poumons permettent le plus souvent une récupération fonctionnelle respiratoire permettant une bonne qualité de vie dans les années suivant la réanimation.
Qu’est-il prévu en cas de débordement des places en réanimation et soins intensifs ?
Dr A.R. En premier lieu, une déprogrammation des interventions chirurgicales programmées (seules les urgences seraient assurées) pour libérer des places en réanimation chirurgicale et utiliser les capacités des soins intensifs et de salle de réveil. Si nécessaire, l’APHP peut ainsi mobiliser environ 800 lits pour ventiler des patients atteints de grippe sévère – dont 25 pour notre seul établissement. Bien évidemment, ceci a été calculé en fonction des ressources techniques et des compétences humaines dont nous disposons.
L’InVS a signalé l’identification de mutations retrouvées chez deux patients décédés. Les vaccins dont nous disposons sont-ils efficaces sur ces mutations ?
Dr A.R. La survenue de mutations chez des virus grippaux n’est pas une surprise. Chez ces 2 patients de villes différentes et entre lesquels aucun lien n’a été retrouvé, il s’agit de la même mutation récemment signalée en Norvège et d’autres pays (Brésil, Chine, États-Unis, Japon, Mexique, Ukraine), dans des cas mortels comme bénins. Le vaccin actuellement disponible reste efficace sur ces souches mutées. Cette efficacité est un atout supplémentaire dans un contexte de pandémie, ce d’autant que ces mutations pourraient augmenter les capacités du virus à atteindre les voies respiratoires basses, et notamment le tissu pulmonaire.
Pr H.A. La mutation porte sur le gène H (gène de l’hémagglutinine), ce qui favoriserait la fixation et donc la multiplication ultérieure du virus dans les alvéoles pulmonaires ; cette mutation a d’ailleurs été retrouvée dans des formes graves. Cependant, elle ne paraît pas affecter significativement la réactivité du virus vis-à-vis des anticorps produits jusqu’à présent et donc l’efficacité du vaccin actuellement administré. Elle n’est pas obligatoirement associée à une gravité plus grande : elle peut simplement être sélectionnée dans les formes graves parce que le virus s’est multiplié plus longtemps et au niveau des poumons. On la retrouve aussi chez des personnes infectées n’ayant pas de formes graves. Elle n’est pas non plus obligatoirement corrélée à une transmissibilité plus grande, facteur essentiel au cours d’une épidémie. Enfin, le vaccin n’a aucun effet favorisant sur la survenue de mutations : elles apparaissent toutes seules et sont sélectionnées ensuite par l’environnement. Cette mutation, à surveiller étroitement, ne remet donc absolument pas en cause l’efficacité de la vaccination.
L’oseltamivir est-il toujours efficace ? Qu’en est-il des résistances ?
Dr A.R. Le plus souvent il est efficace, sous réserve d’avoir été administré précocement. Des formes sévères avec des souches sensibles ont toutefois été observées chez des patients traités rapidement : pour des raisons inconnues (peut-être un terrain génétique particulier), certains développent des lésions pulmonaires très graves, avec notamment une réponse inflammatoire majeure responsable d’œdème pulmonaire lésionnel sévère. Ces lésions ne sont pas pour l’instant accessibles à un traitement médical spécifique. Les techniques de réanimation, en particulier la ventilation mécanique, ne sont que des soins de support en attendant la réparation naturelle des lésions pulmonaires. Un protocole de recherche est en cours pour évaluer l’intérêt de l’adjonction de corticoïdes au traitement antiviral. Enfin, dernier point, mais source d’inquiétude : compte tenu de la fréquence élevée de mutation chez les virus grippaux, il est probable que l’on observe des souches résistantes au oseltamivir. Ainsi, chez l’un des patients décédé en France d’une forme mutante, à cette mutation s’est ajouté une autre mutation connue pour conférer une résistance à l’oseltamivir. C’est pourquoi la vaccination est le point essentiel de lutte contre l’épidémie, et notamment celle du personnel soignant, qui reste insuffisante.
La campagne de vaccination réussira-t-elle à enrayer l’épidémie ?
Pr H.A. La campagne de vaccination est le seul moyen raisonnable de freiner, à défaut d’enrayer totalement, l’épidémie.
Dr A.R. Probablement pas : la couverture vaccinale de la population est pour l’instant modeste et l’épidémie s’accélère. Mais il est essentiel de se vacciner : à la fois pour se protéger individuellement, pour limiter la propagation du virus, et aussi pour enrayer la 2ème vague épidémique qui surviendra peut être dans quelques mois. Nous avons la chance de disposer d’un vaccin « sur mesure », adapté à une pandémie. Malheureusement, la crainte surdimensionnée d’éventuels effets secondaires, une minorisation exagérée des risques pourtant réels puis maintenant l’encombrement des centres de vaccinations ne facilitent guère les choses. Je n’ai qu’un conseil à donner, à mes confrères, mes collègues infirmiers, aux patients et à leurs enfants : vaccinez-vous !
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