De notre correspondante
à New York
U NE pandémie de grippe A pourrait survenir n'importe quand. Il suffit, pour cela, de l'émergence d'une « nouvelle » souche contre laquelle la population humaine ne possède aucune immunité.
En 1998, le virus de la pandémie de grippe espagnole fut extrêmement virulent : il tua dix fois plus d'Américains que le virus de la pandémie grippale de 1957, pourtant sévère, et vingt fois plus que le virus de la pandémie grippale de 1968.
Lorsque des fragments d'ARN de la souche de 1918 furent découverts, il y a quatre ans, dans des tissus préservés de trois de ses victimes, la séquence complète des gènes codant trois protéines cruciales (hémagglutinine, neuraminidase et protéine non structurale) put être déterminée ; mais la comparaison avec d'autres virus apparentés ne révéla pas grand-chose sur son origine ni sur la base de sa virulence.
Les souches de 1957 et 1968
On sait que les souches pandémiques de 1957 et 1968 ont émergé à la suite de réarrangement de gènes entre des virus influenza humains et aviaires. Les gènes codant pour l'hémagglutinine (HA) et la polymérase 1 (PB1) des deux souches - et le gène de la neuraminidase (NA) de la souche de 1957 - ont été acquis à partir d'un virus influenza d'oiseau (virus aviaire), tandis que les autres gènes venaient du virus influenza humain circulant à l'époque.
L'origine du virus grippal de 1918 est encore à l'étude, mais les données suggéraient jusqu'à maintenant qu'il n'était pas né d'un réarrangement ; il semblait plutôt qu'un virus aviaire se soit transmis aux hommes et aux cochons.
Gibbs et coll. apportent maintenant un nouvel aperçu.
1918 : recombinaison entre gènes de virus porcin et humain
Ils ont réanalysé la séquence du gène hémagglutinine (HA) du virus 1918 en le comparant aux séquences des gènes HA humains, aviaires et porcins. Le gène HA, on le sait, est un grand déterminant de la virulence. Leur analyse indique que le gène HA 1918 est né d'une recombinaison et que celle-ci est survenue au début, ou immédiatement avant, la pandémie. Le gène HA 1918 serait un recombinant, dont le domaine globulaire HA1 a été acquis à partir d'un virus grippal de porc et le domaine HA2, dérivé d'un virus grippal humain. « Une recombinaison au sein d'un gène grippal n'avait jamais été détectée jusqu'ici », commente le Dr Gibbs dans un communiqué. « Il faut donc maintenant étudier la possibilité que des souches actuelles puissent se recombiner, puisque de nouvelles souches recombinantes pourraient constituer une menace. Nous avons peut-être découvert en partie la raison de l'extrême virulence du virus de la grippe espagnole de 1918. »
Selon le Dr Webster (Memphis, Tennessee), auteur d'un commentaire associé, la recombinaison reste à prouver. « Bien que le virus hautement pathogène de 1918 ait pu venir de la lignée du cochon, la preuve n'est pas concluante. » Et d'après les Drs Laver et coll. (Oxford, Royaume Uni), auteurs d'un second commentaire associé, « il reste encore à savoir si la recombinaison dans le gène HA fut le détonateur causant l'extrême virulence du virus ». Ces questions ne pourront être résolues que lorsqu'on connaîtra la séquence complète du génome grippal de 1918.
Hong Kong : une substitution ponctuelle
En 1997, à Hong Kong, un virus grippal aviaire fut transmis directement des poulets aux hommes (épisode que l'on a appelé « grippe du poulet »), probablement sur les marchés à la volaille. Ce virus grippal (H5N1), qui infecta 18 personnes et en tua un tiers, n'est pas né d'un réarrangement. Tous ses gènes étaient d'origine aviaire. Ce virus n'a heureusement pas appris à disséminer de personne à personne, et l'épidémie a pu être stoppée en tuant toute la volaille de Hong Kong.
Hatta et coll. ont cherché à savoir pourquoi ce virus aviaire était aussi virulent chez l'homme, et leur résultat peut soulever des inquiétudes. Ils ont tout d'abord infecté des souris par les virus qui ont été isolés chez les victimes de Hong Kong, et ont observé une bonne corrélation de la virulence entre les hommes et les souris ; deux groupes de virulence (faible et létale) sont apparus. En utilisant la technologie de génétique reverse récemment sophistiquée, ils ont pu montrer qu'une substitution ponctuelle dans la polymérase PB2 ainsi que la facilité de clivage de l'hémagglutinine sont responsables de la virulence de ces souches chez la souris. Ainsi, un seul changement d'acide aminé dans la protéine virale PB2 pourrait rendre le virus extrêmement virulent et lui permettre de se disséminer au-delà du système respiratoire de l'hôte, vers des organes vitaux comme le cœur et le cerveau.
« Cette étude est un grand pas en avant », commente le Dr Webster, même si la virulence chez l'homme fait probablement intervenir d'autres modifications génomiques.
Se préparer à une nouvelle pandémie
Les auteurs des deux commentaires associés soulignent l'importance de se préparer en vue d'une future pandémie grippale. Ils réclament notamment la fabrication et la constitution de stocks de médicaments antiviraux, les inhibiteurs de la neuraminidase, qui fourniront la première ligne de défense contre un nouveau virus grippal.
« Science » du 7 septembre 2001, pp. 1840, 1842, 1773 et 1776.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature