Un tour d'horizon du traitement du kératocône
Le kératocône est une dystrophie de la cornée, le plus souvent bilatérale, non inflammatoire, caractérisée par un amincissement progressif du stroma avec ectasie cornéenne. Il est responsable d'une baisse plus ou moins importante de la vision en raison des modifications de la transparence cornéenne, de l'astigmatisme irrégulier et de la myopie qu'il induit.
Il représente actuellement environ un tiers des indications des greffes de cornée. Il ne s'agit pas d'une chirurgie anodine, d'autant qu'elle s'adresse le plus souvent à des sujets jeunes.
Ses principales complications sont les réactions de rejet du greffon, rares dans ce cadre (7,8 à 31 %) et l'astigmatisme. Les effets secondaires des corticoïdes locaux (hypertonie oculaire et cataracte) peuvent être rencontrés. Le traitement de la cataracte est aisé, mais il existe un risque d'apparition d'œdème cornéen par défaillance endothéliale, et il entraîne, chez un sujet jeune, une perte constante de l'accommodation.
La mydriase aréflexique, ou syndrome d'Urrets-Zavallia, qui pouvait être déclenchée par l'utilisation postopératoire d'atropine, semble actuellement très rare.
La perte endothéliale progressive est constante après une greffe de cornée, aboutissant souvent, après quelques années, à une densité voisine de 1 000 cellules/mm2. Elle doit être prise en compte dans la décision opératoire chez les sujets jeunes. Les rechutes après une greffe sont possibles ; il n'est pas établi s'il s'agit d'une récidive ou d'un kératocône fruste du donneur passé inaperçu. Le délai moyen de survenue est de 17 ans, ce qui est comparable à l'évolution naturelle d'un kératocône chez un adolescent.
La conservation de l'endothélium cornéen de sujets jeunes est intéressante. La kératoplastie lamellaire profonde permet de prévenir ou de diminuer l'apparition de complications liées à la greffe perforante. Différentes techniques de dissection du stroma (air, substance visco-élastique) peuvent être utilisées. La dissection lamellaire est réalisée aussi près que possible de la membrane de Descemet. Le greffon est suturé par un monofilament. La technique opératoire est plus difficile que la kératoplastie perforante, mais ses avantages sont notables : conservation de l'endothélium, absence de rejet, cicatrisation plus rapide et durée d'utilisation des corticoïdes plus courte.
Les alternatives chirurgicales en cas de cornée transparente.
Quand la cornée est encore transparente, mais que les lentilles ne sont plus supportées, le chirurgien et le patient hésitent souvent à recourir à la greffe de cornée. D'autres options chirurgicales peuvent être envisagées. On peut recourir à des méthodes qui affaiblissent la cornée - techniques incisionnelles (incisions relaxantes, kératotomie radiaire) et techniques ablatives (Laser Excimer, Lasik) -, à des gestes qui ne touchent pas la cornée (implants phaques) et à des procédures additives qui renforcent la cornée (épikératoplasties et anneaux cornéens).
La photoablation au Laser Excimer a été utilisée avec deux objectifs : en mode thérapeutique, afin d'enlever une opacité apicale à l'origine d'une intolérance aux lentilles de contact, et, en procédure réfractive, afin d'aplatir le cône et de diminuer l'astigmatisme, ce qui permet d'améliorer l'acuité visuelle et donc de retarder la nécessité d'une greffe.
Plusieurs courtes études concernant la photoablation dans des cas de kératocône frustre ont rapporté des résultats similaires à ceux obtenus sur des cornées normales. Cependant, les auteurs s'accordent à reconnaître qu'une surveillance prolongée est nécessaire afin de décider si ces patients sont de bons candidats pour la chirurgie ablative.
Le Lasik a été utilisé pour traiter des astigmatismes myopiques en cas de kératocône. Les résultats visuels initiaux ont été en général satisfaisants, mais une surveillance postopératoire prolongée a montré une régression de l'effet réfractif dans certains cas. Malgré l'amélioration fréquente de l'état réfractif et de l'acuité visuelle non corrigée, le risque de perte de la meilleure acuité visuelle et la nécessité de réaliser une greffe perforante dans certains cas ont amené différents auteurs à ne pas considérer le Lasik comme une solution primaire dans ce cadre.
Il est plus logique de renforcer la cornée par une technologie additive que de l'affaiblir par des techniques incisionnelles ou ablatives.
L'épikératoplastie plane a pour but d'aplatir la cornée déformée et de contenir la protrusion du dôme cornéen par l'addition d'une lamelle de tissu cornéen d'un donneur. Krumeich a utilisé cette technique dans le traitement des kératocônes mineurs et modérés : la progression du cône a pu être arrêtée. Si, en cas d'insuccès, une greffe de cornée a été nécessaire, il n'y a pas eu d'interférence avec le résultat de celle-ci.
Les implants réfractifs phaques sont de plus en plus utilisés en chirurgie réfractive en raison de leur facilité d'implantation et de la bonne prédictibilité des résultats. La myopie est fréquemment associée au kératocône et ces patients sont souvent demandeurs de chirurgie réfractive. Ainsi, quand la topographie cornéenne montre un aspect de kératocône ou évoque un kératocône fruste, cette implantation peut être envisagée afin d'éviter la fragilisation cornéenne postopératoire. Cela est d'autant plus aisé que la profondeur de la chambre antérieure est, dans la majorité des cas, supérieure à 3 mm.
Les anneaux intracornéens.
Utilisés pour la correction des faibles myopies, les anneaux intracornéens agissent en augmentant l'épaisseur cornéenne périphérique et en aplatissant la cornée centrale. Le kératocône entraînant un amincissement de la cornée centrale aboutissant à une diminution de l'acuité visuelle liée à l'astigmatisme irrégulier et à la myopie, leur utilisation a été envisagée pour tenter de diminuer ces anomalies, ce d'autant que l'effet biomécanique des anneaux, sur des cornées dont la structure est plus souple que des cornées normales, permet d'envisager théoriquement des résultats supérieurs. L'objectif principal des anneaux pour kératocône est de diminuer l'anomalie de la forme cornéenne sans enlever le tissu et sans toucher le centre de la cornée. Ils peuvent être enlevés si nécessaire. Colin et al. ont réalisé les premières implantations d'anneaux intracornéens pour kératocône en 1997. La chirurgie a été effectuée en cas de cornée centrale transparente et d'intolérance aux lentilles de contact. S'il existe des opacités centrales importantes, il est illusoire d'espérer une amélioration de l'acuité visuelle. Si l'opacité est apicale et superficielle, elle peut être enlevée avant l'implantation par le Laser Excimer. La technique opératoire est identique à celle utilisée pour la correction des myopies, excepté la localisation de l'incision. Une incision de 1,2 mm est pratiquée en avant du limbe à une profondeur de 66 % de l'épaisseur cornéenne. Deux tunnels intrastromaux sont pratiqués à l'aide d'un dissecteur permettant d'obtenir une zone optique de 7 mm. Les anneaux sont implantés dans ce tunnel et leur extrémité est maintenue à distance de l'incision, faite le plus souvent en temporal, pour en améliorer la tolérance. Une suture ferme l'incision afin d'éviter l'apparition de kystes épithéliaux. Des anneaux de même épaisseur ou d'épaisseur variable peuvent être utilisés afin de diminuer l'astigmatisme asymétrique induit par le kératocône. Le nomogramme utilisé tient compte de l'équivalent sphérique préopératoire, inférieur ou supérieur à -3 D, de la localisation du cône et de l'astigmatisme asymétrique induit. Les résultats ont montré une diminution de l'équivalent sphérique et de l'astigmatisme. L'acuité visuelle sans correction est améliorée. Une acuité visuelle de 5/10 avec correction a été obtenue dans 35 % des cas à un mois, 71 % à 6 mois et 60 % à un an ; 35 % des yeux ont obtenu une amélioration de l'acuité visuelle corrigée de deux lignes ou plus et aucun œil n'a perdu de ligne de meilleure acuité visuelle. La kératométrie moyenne a été diminuée de 3 D. Des séries plus importantes seront nécessaires afin d'améliorer le nomogramme. L'adaptation de lentilles peut être réalisée après l'intervention pour corriger l'amétropie résiduelle. Les premières implantations ont permis d'obtenir un aplatissement de la cornée stable avec un recul de 5 ans. Si les résultats ne sont pas acceptables, en raison d'une vision trop basse ou de parasites visuels liés au bord de l'anneau ou à la progression du cône avec l'apparition d'opacités cornéennes, une greffe de cornée peut être réalisée. Il est alors préférable d'enlever les anneaux avant d'effectuer la greffe trois mois plus tard. Les cicatrices induites par la dissection des tunnels ne gênent pas la réalisation d'une greffe de 8 mm de diamètre.
Les voies de recherche génétiques et biochimiques.
De nombreuses équipes travaillent sur la recherche du ou des gènes impliqués dans la genèse de la déformation cornéenne et il est possible d'espérer que leur découverte permettra de réaliser le diagnostic moléculaire de la maladie par simple examen sanguin.
L'origine multifactorielle de la maladie dans un très grand nombre de cas, et notamment la fréquence importante des pathologies allergiques associées, nous incite à proposer aux patients porteurs de kératocône ou d'une anomalie cornéenne suspecte une approche préventive qui consiste à traiter l'allergie oculaire associée et à recommander d'éviter, dans la mesure du possible, tout frottement oculaire.
La biologie moléculaire n'a pas encore apporté d'éléments permettant d'établir clairement les mécanismes et les acteurs aboutissant à la diminution d'épaisseur du stroma. De nombreuses équipes continuent de travailler sur différentes pistes dont celle des métalloprotéinases. La découverte de la cascade des processus conduisant à l'amincissement cornéen pourra peut-être permettre, par l'utilisation d'inhibiteurs chimiques, de stopper l'évolution de l'affection.
La contactologie restera la clé de la réhabilitation fonctionnelle.
Les lentilles resteront à court et à moyen terme la clé de la réhabilitation visuelle en cas de kératocône.
Les lentilles jumelées offrent un confort amélioré, du fait de la lentille souple périphérique, avec une manipulation plus simple que le piggy-back. Cependant, les matériaux utilisés n'ont pas, en termes de perméabilité à l'oxygène, les performances attendues pour ces cornées pathologiques. L'idéal serait de fabriquer de telles lentilles avec un matériau de type silicone-hydrogel pour la périphérie et une lentille véritablement rigide gaz-perméable au centre. La difficulté est d'obtenir une zone de jonction stable entre deux matériaux de nature chimique très différente.
Les matériaux utilisés pour les lentilles rigides sont très performants et leur reproductibilité est excellente. Un coating ou un traitement de surface améliorant leur confort seraient un apport utile pour de nombreux patients chez qui la tolérance demeure un problème.
Le développement de l'aberrométrie permet une meilleure appréhension de la qualité visuelle. Nous pouvons actuellement évaluer les aberrations de haut ordre persistantes après l'adaptation en lentilles rigides de patients équipés pour kératocône. Des travaux sont en cours concernant la fabrication de lentilles customisées, corrigeant ces aberrations d'ordre élevé et permettant d'obtenir une qualité visuelle optimale. Ils sont, dans l'immédiat, orientés vers les lentilles souples. Une extension des recherches vers les lentilles rigides utilisées lors d'astigmatisme irrégulier, et tout particulièrement lors de kératocône, pourrait permettre de parfaire la correction.
La chirurgie sera de plus en plus efficace.
A défaut de prévenir l'évolution invalidante de l'ectasie et des troubles de la transparence, la greffe de cornée, surtout lamellaire, permettra une restauration visuelle de plus en plus efficace grâce aux progrès technologiques émergeants de découpe cornéenne.
L'utilisation d'anneaux intracornéens, de longueur et d'épaisseur spécifiques, implantés après dissection des tunnels intrastromaux par le laser Femtoseconde, est une solution conservatrice intéressante dans les formes où la transparence cornéenne n'est pas affectée. La stabilité des résultats obtenus à court et à moyen terme nécessite une validation par un suivi prolongé avant d'envisager une extension de leurs indications. Un ajustement thérapeutique postopératoire par photoablation de surface guidée par aberrométrie doit permettre une amélioration significative des résultats réfractifs et visuels.
Le traitement du collagène cornéen par cross-linking est une approche innovante. Théo Seiler et al. proposent, pour bloquer l'évolution du kératocône, d'appliquer une solution de riboflavine après débridement épithélial sur 7 mm. La cornée est alors irradiée pendant 30 minutes à 1 cm par des UVA (370 nm). Seize yeux présentant un kératocône évolutif modéré (48-56 D) ont été traités et suivis entre 1 et 3 ans. La progression de la maladie a été stoppée dans tous ces cas, aucun effet secondaire n'a été observé (transparence cornéenne inchangée, densité cellulaire endothéliale non modifiée) et la vidéotopographie est restée stable. Des études à plus long terme, en comparaison avec un groupe témoin, devront évaluer la stabilité de la technique et l'absence de complications tardives.
Kératectasies après Lasik
La kératectasie iatrogène postLasik est une complication sévère. Sa pathogénie semble multifactorielle et il est probable qu'un lit stromal postérieur d'épaisseur inférieure à 250 microns puisse être un facteur déclenchant majeur. Les kératocônes frustres non diagnostiqués semblent également être un facteur déclenchant. Les lentilles de contact et la greffe étaient jusqu'à présent les seules options thérapeutiques. Alio et al. ont évalué l'utilisation des anneaux cornéens pour corriger et stabiliser cette ectasie. Ils ont obtenu une réduction significative du bombement cornéen antérieur et postérieur et une augmentation de l'index topographique de régularité cornéenne. Dans deux yeux, l'acuité visuelle non corrigée a été de 5/10 en postopératoire. Dans le troisième cas, l'acuité visuelle sans correction a été de 4/10 et la meilleure acuité visuelle corrigée a été de 5/10.
Les voies de recherche thérapeutique ne peuvent s'appuyer, encore aujourd'hui, sur une pathogénie précise. Certes, des avancées importantes ont été obtenues au cours des dernières années. Ce regain d'intérêt est encore aiguisé par la découverte des nouvelles formes cliniques précoces, ou kératocônes incipiens, révélés lors d'examens vidéotopographiques. Elles sont un facteur de risque majeur d'apparition de kératectasie à la suite de chirurgie réfractive par le Lasik.
Le kératocône aigu
Le kératocône aigu, ou hydrops, survient dans environ 3 % des cas de kératocône. Le traitement classique associe un pansement oculaire, la mise en place d'une lentille pansement, la cycloplégie et une pommade salée hypertonique. L'œdème cornéen disparaît en général en 2 à 4 mois, entraînant un long handicap chez ces sujets jeunes. Miyaka et al. ont proposé l'injection intracamérulaire de 0,1 ml d'air filtré (environ 45 % du volume de la chambre antérieure) par un filtre millipore de 0,2 μm avec une aiguille 27G, afin d'accélérer la résorption de l'oedème. L'objectif est d'obtenir un effet de tamponnade, qui retend les bords enroulés de la rupture de la membrane de Descemet, et d'empêcher la pénétration d'humeur aqueuse dans le stroma. L'injection d'une substance visqueuse présente le risque d'une diffusion dans le stroma.
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