De notre correspondante
En 1988, le Pr Jean-Louis Touraine, spécialiste d'immunologie à Lyon, réalisait une première mondiale : la greffe de cellules souches in utero chez un patient atteint d'immunodéficience combinée sévère. Près de quinze ans plus tard, il était temps pour les spécialistes de faire le point sur cette technique. Une soixantaine d'entre eux se sont réunis à Lyon, les 13 et 14 mars derniers, dans les locaux du CIRC (Centre international de recherche contre le cancer), pour un premier congrès sur ce thème, organisé avec le concours de la fondation Mérieux.
Sur l'ensemble des cas recensés - les résultats sont connus pour une quarantaine d'entre eux -, sept patients porteurs d'une pathologie létale ont été traités à Lyon.
Dans deux cas, l'injection de cellules souches provenant de la moelle osseuse ou du sang du cordon de foetus a provoqué l'interruption de la grossesse. En revanche, « la prise de greffe a été obtenue chez les cinq autres et confirmée par la présence des antigènes HLA du donneur chez le receveur ». Chez deux patients porteurs d'un syndrome d'immunodéficience sévère, une reconstitution totale de l'immunité a été observée grâce au traitement, mais des complications sont survenues dans les dix ans qui ont suivi.
Déficit corrigé
Mais, pour les patients atteints de thalassémie majeure, d'un syndrome de Niemann-Pick ou d'hémophilie grave, « seul un bénéfice partiel a pu être obtenu, sans correction à long terme », indique le Pr Touraine.
Au regard de l'ensemble des cas traités à Lyon et dans le monde, les meilleures réponses ont été obtenues pour des déficits immunitaires combinés sévères. « Lorsqu'un diagnostic prénatal met en évidence un tel syndrome, on peut désormais envisager ce traitement », avance Jean-Louis Touraine. Il représenterait donc une alternative à la thérapie génique qui, en début d'année, avait subi un sérieux revers lorsque le Pr Alain Fischer (hôpital Necker, Paris) avait annoncé la survenue de leucémies chez deux des onze enfants ayant bénéficié de cette thérapeutique.
Le difficile consentement ?
Lors du congrès lyonnais, des chercheurs américains ont également fait part de leurs travaux sur la thérapie génique appliquée cette fois in utero, et des difficultés à venir : à l'issue d'essais conduits chez la brebis, des traces du gène vecteur ont été retrouvées dans les cellules germinales des animaux traités. « C'est un frein majeur », affirme aujourd'hui le Pr Didier Sicard, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE).
Toute « éprouvée » qu'elle puisse être, la greffe de cellules souches in utero n'en soulève pas moins quelques questions d'ordre éthique. « Quelle est la possibilité, pour une mère, de donner un consentement informé face à trois propositions, dont deux sont insupportables - l'interruption médicale de grossesse ou la naissance d'un enfant anormal - et une seule porteuse d'un certain espoir ? », interroge Didier Sicard. Se pose également la question du consentement de la mère lorsque son foetus mort est utilisé comme donneur de cellules souches : « Pour employer un terme d'actualité, je serais plutôt pour un droit de veto », confie-t-il.
Enfin, et c'est l'une des principales réflexions proposées par le président du CCNE, « si les thérapeutiques médicales et chirurgicales du foetus ont fait de grands progrès, l'utilisation de la transplantation de cellules souches et même de la thérapie génique privilégient la médecine expérimentale et la recherche dans des situations qui sont toujours plus difficiles à concevoir à un niveau éthique. Si les thérapeutiques ftales semblent effectivement tenir leurs promesses dans le futur, la vitesse à laquelle nous passons de la conception d'un traitement à sa réalisation avec un enfant doit nécessairement stimuler notre pensée ».
Divergences européennes
D'autres questions encore seront sans doute débattues dans les semaines à venir, en vue de la révision des lois de bioéthique. A l'instar d'autres pays de l'Union européenne, qui s'interrogent aussi sur les limites à donner à la recherche. Si la plupart ont ratifié la convention d'Oviedo sur les droits de l'homme et la biomédecine entrée en vigueur en décembre 1999, des divergences subsistent entre ceux qui, comme la France, ne permettent pas, par exemple, d'effectuer des recherches sur les embryons surnuméraires, ceux qui l'autorisent, comme la Belgique ou la Grande-Bretagne, et enfin, ceux qui, comme l'Italie ou le Portugal, évoluent dans le plus grand flou artistique ! Sans parler du clonage...
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