PEU OU PAS d'ouvrages, car le binôme semble aller de soi. Il y a des maîtres qui transmettent un savoir, des disciples attroupés autour d'eux dans l'Antiquité, ou dans un amphi de faculté à l'époque moderne. Si, avec un peu d'audace, on psychologise ce lien, on dira que le maître incarne une figure du père, on parlera de «filiation intellectuelle» et puis c'est tout.
«C'est ce qui va de soi qu'il faut précisément interroger», disait Merleau-Ponty. Et n'est-il pas étonnant que Françoise Waquet commence son ouvrage par la description du palais que Vincenzo Viviani, dernier disciple de Galilée, fit construire en l'honneur de celui-ci à Florence, à la fin du XVIIe siècle ? Tout le détail architectural y célèbre l'illustre astronome auquel une sépulture religieuse avait été refusée. Après sa mort, en 1703, Viviani fut, comme il l'avait souhaité, enterré auprès de Galilée dans un modeste réduit.
Cette vie totalement consacrée à défendre un maître ne confine-t-elle pas à l'idolâtrie ? «Dans l'excès, découvrez la règle», disait Roland Barthes, et ce premier exemple vient bousculer un schéma trop sage : il ne se passe rien dans une relation maître et disciple. Un maître, ironise l'auteur, «influence le disciple en raison de son... influence». Et puis, la chaîne peut continuer à se dérouler, les professeurs, ricanait Alain, ont toujours eu eux-mêmes de remarquables professeurs, et ils ne servent qu'à en créer d'autres.
Dissymétrie.
Travaillant de très près l'anatomie de cette relation, l'auteur en relate la manifeste et nécessaire dissymétrie. Un maître qui est l'aîné, chargé de diplômes et de talent, surplombe inévitablement son disciple, même s'il joue la camaraderie. Entre les deux, ce formidable objet transitionnel, le savoir, c'est lui qui en impose, c'est lui que l'on propose à un auditoire. Sans compter l'importance qu'ont eu en Europe au XIXe siècle les «qualités morales et humaines du métier». Ce qui accentue encore l'asymétrie morale de la relation, car rien n'est précisé dans la personnalité des disciples, comme s'ils n'étaient que les orantes figures pieuses, interchangeables, d'un tableau religieux de la Renaissance.
Cette réalité un peu trop empesée, chargée d'un trop profond respect, bascule avec la remarque tirée d'un texte de Pier Paolo Pasolini. Elle concerne l'historien d'art italien Roberto Longhi : «On sait seulement par la suite qui a été le maître; donc le sens de ce mot a son siège dans la mémoire comme une reconstruction intellectuelle...» Autrement dit, c'est parce qu'il a eu des disciples qu'un homme est déterminé a posteriori comme maître.
L'université n'est pas le seul lieu où peut se forger et s'approfondir cette relation. Il y a d'étonnants maîtres charcutiers ! Mais c'est l'univers que Françoise Waquet connaît le mieux.
Aussi nous fait-elle descendre dans l'infini réseau des pratiques et us qui peut tisser la relation : lettres de recommandation, anniversaires et jubilés, cérémonies, discours d'inauguration, qui sont autant d'interfaces à la fois amidonnées et équivoques.
Équivoques car la relation maître-disciples se joue aussi dans l'univers de domination si bien étudié par « l'Homo Academicus » de Pierre Bourdieu en 1984*. Ou alors nullement équivoques, si on croit le livre de George Steiner, « Maîtres et disciples »**. Peu ému par le fameux «lien d'âme», ce dernier fait ressortir l'érotisme profond d'une relation maître et disciple s'intensifiant, et condamnée à se sublimer la plupart du temps.
La poursuite de la vérité.
Si Socrate eut des disciples qui assistent à ses derniers instants, beaucoup d'éminents philosophes développèrent leur oeuvre dans la solitude, en s'ignorant mutuellement. Mais tous, dit Roger-Pol Droit, recherchaient la Vérité.
Le collaborateur du « Monde » a une frénésie explicative, puisqu'on lui doit déjà « la Philosophie expliquée à ma fille » (Seuil). Prenant comme axe de recherche la poursuite de la vérité, il nous offre ici, d'Épicure à Nietzsche, des portraits à la fois clairs et passionnants des théories et de leurs auteurs.
Est-ce en accord avec son tempérament ? Toujours est-il que R.-P. Droit manifeste une forte sympathie pour les débarbouilleurs d'illusions. à commencer par Lucrèce l'épicurien, qui montre que la poursuite du plaisir peut engendrer de très nombreuses douleurs, et qu'il vaut mieux vivre dans l'ataraxie, l'absence de tracas, soit...
On note aussi le goût de l'auteur pour le réalisme politique de Machiavel, qui ne confond pas ses désirs et la réalité. Mais son Spinoza est un modèle de clarté, on y découvre que nous ressemblons à une girouette qui, ignorant le vent, se croirait libre des directions vers lesquelles elle pointe.
Françoise Waquet, « les Enfants de Socrate », Albin Michel, Bibliothèque Histoire, 310 p., 22 euros.
Roger-Pol Droit, « Une brève histoire de la philosophie », Flammarion, 320 p., 19,90 euros.
* Éd. de Minuit.
** Gallimard, 2003.
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