C'EST EN 1778 que Goya fit sa première copie d'une toile de Vélázquez, à l'aquatinte (un procédé d'eau-forte), technique mise au point depuis peu. À l'époque, on avait coutume de réaliser des gravures afin de diffuser plus aisément les chefs-d'oeuvre qui ne pouvaient autrement être accessibles au grand public. Nommé peintre du roi d'Espagne en 1786, Goya compose ses toiles les plus prestigieuses au tournant du XVIIIe siècle, mais il trouve dans la gravure un moyen d'expression spontanée qui le séduit particulièrement. L'exposition du Petit Palais nous offre la possibilité de découvrir un somptueux ensemble de planches provenant à la fois de la Bibliothèque nationale de France, des collections de Jacques Doucet, fondateur de la Bibliothèque d'art et d'archéologie (aujourd'hui bibliothèque de l'INHA) et de celles des frères Dutuit.
« Les Caprices », un recueil de gravures à l'aquatinte et à l'eau-forte, publié en 1799, sont le meilleur exemple de la fougue et de la fantaisie qui animent chaque estampe de l'artiste. Cet album, dont une quarantaine de planches sont visibles ici, n'épargne personne. Il dénonce, dans une ambiance mi-satirique, mi-fantastique, les vices et les travers de la société et de la monarchie espagnoles, l'hypocrisie, l'obscurantisme et la violence aveugles, les moeurs de l'époque, la toute-puissance de l'Eglise, les complots et les intrigues. Goya s'attaque avec verve et humour à tout ce qui lui semble un crime contre la justice, la liberté et l'intelligence. Les visages sont outrés, boursouflés, grimaçants, parfois monstrueux. Le trait est enlevé, intense, tellement impitoyable que « les Caprices » furent censurés.
L'humanisme sous l'amertume.
Goya ne cesse pas pour autant de faire passer ses idées et d'exprimer ses révoltes dans ses gravures. Le cycle des « Désastres de la guerre » (1810-1820) est un témoignage, souvent bouleversant, de la guerre d'indépendance espagnole. Plusieurs épreuves d'état nous montrent des scènes de barbarie, de famine, de mort. Une manière pour Goya de témoigner du désespoir humain à travers les scènes de l'odieux carnage, dont la violence est exprimée grâce au trait mordant de la pointe sèche ou du burin (voir les tragiques « Enterrer et se taire », « Le pire est de mendier », « Non plus »…). On sent néanmoins l'humanisme poindre sous l'amertume.
Ce sont toujours la force, la vigueur qui dominent l'ensemble d'eaux-fortes consacrées à la tauromachie, que Goya réalise vers 1815, mais ces oeuvres sont d'une autre nature. Goya y mélange le rêve et la réalité, les divagations fantastiques aux scènes traditionnelles de tauromachie. Dans ces images de corridas, les épreuves d'état et de première édition sont réunies face à face (pour une même estampe, il peut en effet y avoir plusieurs états différents avant la version considérée par l'artiste comme définitive) et livrent ainsi un intéressant témoignage du processus de création de Goya.
Une vingtaine de planches composent enfin la série « les Disparates » (1815-1824) que Goya réalise à la fin de sa vie. Il s'agit d'une sorte de synthèse qui réunit l'ensemble des thèmes et motifs abordés dans le passé par l'artiste. Tout y est sublimé, transcendé. Goya fait preuve d'une audace et d'une modernité sans précédent. Ses images se font plus étranges, plus fantasmagoriques encore. On y croise des gnomes, des êtres perchés, des carnavals, des hommes chauves-souris, une pluie de taureaux, des danses macabres… Le trait va à l'essentiel. Il est plus dépouillé. On comprend que Delacroix, Manet et les symbolistes Odilon Redon (superbe « Hommage à Goya » de ce dernier, dans l'exposition) ou Marcel Roux, dont un ensemble d'oeuvres achève le parcours, aient été fascinés par cet art prémonitoire, d'une indépendance et d'une extravagance folles, et qui devait tracer le chemin des expériences les plus engagées, radicales et brillantes de l'histoire de l'art à venir.
Petit Palais, Tlj de 10 h à 18 h (jeu jusqu'à 20 h). Entrée 9 euros (TR 6 euros et 4,5 euros). Tél. 01.53.43.40.00. Jusqu'au 8 juin. Catalogue, éd. Paris Musées, 352 p., 49 euros. À venir : « Les Caprices de Goya » au Palais des Beaux-Arts de Lille. Tél. 03.20.06.78.00. Du 25 avril au 28 juillet.
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