Un avantage primordial de la démocratie est que ce qui a été fait un jour peut être défait le lendemain. A l'inverse, les décisions totalitaires sont immuables et si on veut les abolir, il faut éliminer le régime qui les applique. Cela est vrai pour le fascisme, le communisme et les talibans.
Dans une démocratie parlementaire, rien n'est définitif : on peut abroger une loi ou amender la Constitution. Cette flexibilité est dictée par l'évolution des murs, par exemple l'avortement, crime autrefois, pratique légale aujourd'hui.
Cependant, la souplesse des institutions ne doit pas être accompagnée d'une fréquence excessive des décisions contradictoires. Tout projet politique ou social doit avoir sa durée de vie et l'usage doit en être éprouvé avant qu'on puisse le remettre en cause. Car il ne faut pas substituer à l'ordre autoritaire le désordre démocratique.
Entre le pour et le contre
Le gouvernement de Lionel Jospin semble constamment osciller entre le pour et le contre. Pour deux raisons : d'abord, parce que sa majorité plurielle est rétive et qu'elle place dans le même camp des mouvements qui ont moins d'affinités - ou d'intérêts en commun qu'ils ne le prétendent ; ensuite, parce que M. Jospin teste rarement ses décisions avant de les prendre. Il n'a cure de l'opposition quand elle présente, au Parlement, des arguments capables d'infléchir des projets. Mais il est très réceptif, surtout en ce moment, aux protestations de la rue et des corps sociaux.
C'est dans les conditions que nous venons de définir qu'évolue la loi qui renforce la présomption d'innocence. Elle été adoptée par une majorité où l'on comptait bon nombre de voix de la droite. A juste titre : n'est-il pas essentiel qu'un mis en examen soit considéré comme innocent jusqu'au verdict ? Mais elle a donné l'impression d'augmenter l'insécurité : audace, croissance des délinquants et des criminels, frein puissant au travail de la justice et de la police, conflits inextricables entre les exigences judiciaires et la protection des citoyens.
Or, quand le ton monte, le gouvernement recule. Sensible au droit de chaque Français d'être maintenu à l'abri de tout excès judicaire, il n'est pas insensible à l'exaspération des policiers dont les collègues sont abattus par des assassins sans foi ni loi. Les policiers manifestent et les élus socialistes proposent déjà de réviser la loi.
On ne niera pas que l'application du texte complique énormément la tâche des autorités judiciaires ; mais dans ce cas, comment se fait-il que les imperfections contenues dans le texte n'aient pas été prévues par les législateurs ? Le problème, pour cette loi qui n'a pas dix-huit mois, c'est qu'elle est contestée avant de fonctionner à plein régime. Et de même que les policiers ont raison de ne pas vouloir être livrés au feu des criminels, de même qu'il leur semble absurde de libérer des hommes dangereux parce qu'ils n'ont pas eu le temps de réunir les preuves, de même une législature qui adopte un texte au nom d'un principe important, se déjuge si elle la modifie au nom des inconvénients qu'il produit et qu'elle n'a pas prévus. On ne gouverne pas de cette manière.
Elisabeth Guigou, naguère ministre de la Justice, juge normal qu'on revoie la loi à cause des dysfonctionnements qu'elle a entraînés. On pourrait lui rétorquer qu'il lui aurait suffi d'avoir mieux préparé le texte pour éviter ses effets indésirables. Successeur de Mme Guigou, Marylise Lebranchu, à la sortie du Conseil des ministres, déclare qu'il « n'est pas question de modifier la loi » mais seulement de rechercher les moyens de l'appliquer sans qu'elle provoque des difficultés pour la police et pour la justice. C'est peut-être, dans le concert des idées avancées ici et là, la proposition la plus sage.
Malheureusement, elle est émise dans un contexte marqué, en moins de vingt-quatre heures, par une série de déclarations contradictoires : apparemment, les élus PS et Mme Guigou (qui, d'ailleurs, n'a plus compétence pour se prononcer à ce sujet) sont d'accord, mais pas avec la principale concernée, Mme Lebranchu.
Cacophonie
Non seulement tout cela n'est pas raisonnable, mais la cacophonie a des précédents. Par exemple, le projet pour la Corse, boudé maintenant par les nationalistes qui l'ont pourtant négocié avec M. Jospin, lequel y tient dur comme fer, malgré tous les avertissements qui lui ont été lancés. C'est avant de faire adopter un projet par la majorité parlementaire que le gouvernement doit s'entourer de précautions et écouter tous les avis. Ce n'est pas après, quand la loi est en vigueur. La démocratie n'est pas la dictature de la majorité parlementaire, mais le lieu géométrique des tendances majoritaires, y compris celle d'une forte minorité. Le gouvernement pilote à vue : trop d'innocents font de la détention préventive ? Vite, une loi sur la présomption d'innocence ; l'insécurité règne ? Vite, des mesures pour renforcer les services d'ordre ; les ouvriers de Moulinex sont lâchement abandonnés à leur sort ? Vite, une prime pour les licenciés ; et demain, si une grande industrie renvoie cent mille personnes, on leur donnera une prime ?
Complètement apathique sur des sujets très importants, comme la réforme des retraites, le gouvernement légifère trop rapidement dans d'autres domaines. Il est hypersensible à la réaction de la rue, imprévoyant quant aux conséquences économiques de ses mesures sociales (voir les 35 heures) et sa vision d'une France plus humaine, plus soucieuse des droits individuels, plus proche des pauvres et des exclus, se dilue dans l'inconstance et l'électoralisme. Pas plus qu'on ne fait une politique avec de bons sentiments, on ne gouverne au gré du vent.
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