« Tout n'est pas arbitré, tout n'est pas fini. » A la veille de la réunion de la commission des comptes de la Sécurité sociale, traditionnelle occasion pour le ministre chargé des questions sanitaires et sociales de dévoiler les grandes lignes du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), Jean-François Mattei n'a sans doute pas encore fixé les termes exacts de son premier grand rendez-vous avec les professionnels de santé.
Une seule chose est sûre : les décisions sont prises dans le plus grand secret, où qu'elles se prennent ; et de mauvaises langues laissent entendre que le ministre n'a pas les coudées franches pour dessiner lui-même le canevas de ce PLFSS 2003 - « Mattei attend sa feuille de route », glisse un syndicaliste perfide ; « Le dossier est traité Rue de Varenne. A Matignon », renchérit un autre ; et un député UMP laisse échapper que c'est « par la bouche de Mattei » que le gouvernement s'apprête à apporter des précisions sur sa politique de santé.
Le rapport que la commission des comptes de la Sécurité sociale va remettre demain matin au ministre ne devrait pas le pousser, ni d'ailleurs Jean-Pierre Raffarin, à un optimisme béat. En effet, pour la première fois depuis trois ans, l'année 2002 va se solder par un déficit. Ce n'est pas une surprise. Si, il y a un an, la commission des comptes prévoyait encore un excédent du régime général de l'ordre de 900 millions d'euros pour 2002, elle a rectifié le tir en juillet et annoncé un trou de 2,4 milliards d'euros. La présentation de demain devrait faire état d'un chiffre encore légèrement supérieur.
Quant à la seule branche maladie, elle accuserait un déficit voisin de 6 milliards d'euros. La faute aux dépenses, qui ont continué de galoper (« le Quotidien » du 20 septembre), et au ralentissement économique, qui a privé la Sécu d'une partie de ses recettes. Ajoutées à ce triste bilan, les prévisions de croissance pour 2003 ne laissent pas grande latitude au ministre de la Santé, même s'il vient de se réserver une petite poire pour la soif avec le produit d'une possible hausse de 15 % des prix du tabac, dont les deux tiers - soit environ 700 millions d'euros - alimenteraient directement les caisses de l'assurance-maladie. « La marge de manuvre est étroite », convient le Dr Pierre Morange, député des Yvelines et membre de la mission santé de l'UMP.
Le choix de Mattei
Que va faire, que peut faire, dans ces conditions, Jean-François Mattei ? Deux possibilités. Partant des chiffres qui seront portés demain à la connaissance du grand public, s'appuyant sur les critiques que vient de formuler la Cour des comptes sur la gestion du système de soins (« le Quotidien » du 20 septembre), il peut choisir la manière forte. Tenir un discours alarmiste. Décrire une situation gravissime... et, conscient de ce que le recours à la CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale) ne pourra pas régler le problème à long terme, procéder par ordonnances pour réformer le système. L'exercice a déjà été pratiqué en son temps par un certain Alain Juppé. Chat échaudé craignant l'eau froide, il est peu probable que Jean-François Mattei retienne cette option.
La seconde devrait avoir davantage ses faveurs, qui consiste à jouer la montre - « On ne pourra mener une vraie politique sanitaire qu'à partir de l'an prochain », prévient d'ailleurs Pierre Morange -, à juguler du mieux possible les déficits avec un Objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) dont on dit qu'il sera compris entre + 4,5 % et + 5 %, tout en préparant le terrain à une maîtrise fondée sur la responsabilisation des acteurs du système. Répétant depuis plusieurs semaines dans tous les journaux et sur toutes les ondes que 2003 va être une année « de transition », Jean-François Mattei a laissé deviner le chemin qu'il allait emprunter. Mais au-delà des chiffres, les contours de ce que le ministre va faire figurer dans son tout premier PLFSS restent flous.
Outre qu'il va entériner la fin des lettres clés flottantes, la fin des CMR (comités médicaux régionaux), ce qui constitue deux signes de bonne volonté à l'égard des médecins libéraux ( « C'est la fin de la maîtrise comptable, et cela va être inscrit dans la loi », se réjouit le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux - SML), Jean-François Mattei devrait, explique un parlementaire de la majorité, « ébaucher des outils d'évaluation et d'expertise ». Il devrait, autrement dit, se donner les moyens de définir, dès 2004, un ONDAM médicalisé, en précisant le rôle de chacun (Etat, caisses, professionnels, assurés) dans la gestion et l'affectation des dépenses de santé. « Il faut que ce projet de loi aboutisse à une nouvelle gouvernance dans le secteur de la Sécurité sociale », commente le Dr Pierre Costes, président de MG-France. Il va devoir peut-être faire preuve de patience dans la mesure où, esquissée dans le PLFSS, cette réforme pourrait n'être développée que l'an prochain dans le cadre de la loi de programmation sanitaire pluriannuelle promise par Jacques Chirac pendant sa campagne électorale.
Des mesures pour le médicament
Le ministre n'attendrait pas en revanche pour prendre des décisions importantes dans le domaine du médicament. Il pourrait dès demain inscrire dans le PLFSS le principe du « dépôt de prix », qui instaure un système s'apparentant à une liberté des prix au cours de la première année de mise sur le marché pour les médicaments innovants. Une mesure réclamée par l'industrie pharmaceutique. Autre sujet de satisfaction pour les laboratoires : jusqu'à présent systématiquement inférieure au niveau de l'objectif global d'évolution des dépenses d'assurance-maladie, la clause de sauvegarde, qui limite la progression de leur chiffre d'affaires, pourrait l'an prochain être alignée sur l'ONDAM. Enfin, mais cette fois-ci au grand dam des industriels, le ministre souhaiterait faire entrer en vigueur le tarif de référence (c'est-à-dire un tarif de remboursement unique) pour les médicaments princeps et leurs génériques. Mais ce système ne serait pas appliqué aux spécialités qui ne sont pas généricables.
C'est le 9 octobre que le PLFSS sera présenté au Conseil des ministres. Les députés l'examineront quant à eux entre le 28 et le 31 octobre. Cet agenda laisse aux professionnels de santé le temps de se retourner. La CSMF (Confédération des syndicats médicaux français) et le SML, qui tiennent tous deux des assemblées générales dès le week-end prochain, seront les premiers à pouvoir réagir.
Le compte à rebours de la négociation conventionnelle
« Si le processus d'optimisation du système de soins par le biais contractuel s'engage et qu'il s'engage bien, je demanderai à l'assemblée générale du SML d'entrer dans cette cohérence », annonce le Dr Cabrera. Plus prudent, le président de la CSMF, le Dr Michel Chassang, rappelle : « Nous nous réunissons sur fond de polémique et de contestation des spécialistes. Il va se passer des choses. » A Ramatuelle, les médecins confédérés, auxquels Jean-François Mattei devrait venir rendre visite, vont ouvrir un chantier qu'ils ont intitulé « Médecine libérale : pour un nouveau contrat » .
Le thème est éminemment d'actualité. Car, lundi prochain au plus tard, l'enquête de représentativité des syndicats médicaux actuellement en cours (« le Quotidien » du 19 septembre) devrait être bouclée. Or, quand sera tranchée la question du « qui représente qui », pourront officiellement commencer les négociations conventionnelles. Il ne reste donc plus que quelques jours avant que syndicalistes et représentants des caisses d'assurance-maladie s'assoient autour d'une table et arrêtent ensemble pour cinq ans la (ou les) future(s) convention(s) des médecins généralistes et spécialistes. Un exercice qui doit aboutir vite (les négociations s'achèvent à la fin de l'année) et en comparaison duquel l'activité des prochains jours ferait presque figure de promenade de santé.
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