Les praticiens libéraux seraient-ils victimes d'ostracisme de la part du gouvernement ? Les leaders de la profession ne sont pas loin de le penser qui affirment, entre rage et désespoir, qu'« Elisabeth Guigou fait la sourde oreille » à leurs revendications.
Le gouvernement a accordé des milliards supplémentaires aux hôpitaux. Il a débloqué 1,7 milliard de plus pour les cliniques. Il cède en partie aux revendications des internes. Mais, face aux exigences des praticiens libéraux, il affiche une ferme intransigeance ou, pire peut-être pour les intéressés, une superbe indifférence. Les généralistes ont beau faire la grève des gardes de nuit et de week-end depuis le 15 novembre, à l'appel de deux de leurs organisations (UNOF-CSMF et SML), annoncer deux grèves de quatre jours pour les fêtes de fin d'année, rien n'y fait. Le gouvernement ne répond pas à leurs revendications (porter la consultation de 115 F à 131,20 F, soit 20 euro, et la visite de 135 F à 196,79 F, soit 30 euros). Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité se contente de rappeler que les revalorisations d'honoraires ne sont pas de son ressort, mais doivent faire l'objet d'un accord entre les caisses et les syndicats. Oubliant de rappeler, au passage, qu'Elisabeth Guigou a le pouvoir de refuser, si bon lui semble, un éventuel projet d'accord. Et feignant d'ignorer qu'à la CNAM on n'est pas davantage favorable à des hausses d'honoraires , comme l'a prouvé la récente séance de négociations entre MG-France et l'assurance-maladie.
A ceux qui lui reprochent de ne pas prendre en considération les demandes des généralistes, dont les revendications coûteraient plus de six milliards à l'assurance-maladie, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité répond qu'elle a fait un geste d'ouverture en faisant réformer le système des conventions médicales, en faisant du système honni des lettres clés flottantes non plus la règle mais l'exception - puisque ce mécanisme ne s'appliquera plus désormais qu'en l'absence d'accord entre les professions de santé et les caisses maladie.
Une guerre de retard
L'ouverture est réelle et le mécanisme retenu semble donner une nouvelle chance à ce qu'il est convenu d'appeler la maîtrise médicalisée. Mais, outre le fait que cette ouverture est jugée insuffisante par trois syndicats de médecins libéraux, qui représentent à eux seuls les trois quarts des praticiens, Elisabeth Guigou donne l'impression d'avoir une guerre de retard. Les généralistes se mobilisent davantage, aujourd'hui, pour une revalorisation immédiate des honoraires que pour la suppression du mécanisme des lettres clés flottantes, qui, du reste, n'a jamais été utilisé à l'encontre des généralistes. Ce sont là, bien évidemment, deux aspects d'un même problème, mais il n'est pas indifférent que les médecins de famille privilégient aujourd'hui l'un de ces aspects. Celui précisément auquel le gouvernement ne répond pas.
Il y a, à cette différence de traitement entre certaines professions de santé et d'autres, à ces libéralités accordées ici et à cette fermeté affichée ailleurs, plusieurs raisons. Les milliards débloqués en faveur de l'hôpital l'ont été parce qu'il s'agissait de répondre à des besoins, notamment en termes de créations d'emplois, que nul ne pouvait contester. En accordant une rallonge aux cliniques privées, le gouvernement n'a pas fait un cadeau aux patrons d'établissement. Il leur a simplement donné les moyens de faire face à certaines revendications salariales. Enfin l'équipe de Lionel Jospin a cherché, ce faisant, à éviter un conflit majeur avec les communistes et à désamorcer des crises sociales majeures qui auraient non seulement perturbé les services de santé mais terni l'image du gouvernement.
Avec les médecins libéraux, le gouvernement tient un tout autre raisonnement. La justification sociale d'une hausse des honoraires lui apparaît moins évidente. Et Elisabeth Guigou fait visiblement le pari que cette grève, peu visible et qui a des conséquences limitées, puisque les médecins grévistes sont souvent réquisitionnés, finira bien par s'essouffler.
Pari quelque peu risqué dans la mesure où ce mouvement, s'il devait se prolonger, finirait par perturber sérieusement la permanence de soins, et par provoquer, par contrecoup, un mouvement de protestation dans les SAMU et les centres 15.
L'autre élément d'explication à l'attitude du gouvernement est d'ordre économique. Elisabeth Guigou a bataillé dur pour débloquer les milliards nécessaires aux hôpitaux. Dans l'affaire des trente-cinq heures, elle a fait preuve d'une pugnacité couronnée de succès face à Laurent Fabius qui ne voulait accorder que quelque milliers de postes supplémentaires et non les quarante-cinq mille finalement obtenus. Mais il n'est pas dit aujourd'hui que le gouvernement soit disposé à continuer sa politique de « guichets ouverts ». Surtout en faveur des médecins libéraux.
Le verdict de l'OCDE
Le ministre de l'Economie et des Finances, qui ne cesse de pester contre la dérive des dépenses de santé, n'a pas abandonné, loin de là, la partie. Il vient d'adresser à Bruxelles un programme triennal de finances publiques 2003-2005. Un document dans lequel il prévoit une hausse des dépenses d'assurance-maladie en volume (c'est-à-dire hors inflation) limitée à 1,8 % par an. Quand on sait qu'en 2001 le taux d'évolution en volume devrait être sensiblement supérieur à 3 %, on imagine que le ministère de l'Economie et des Finances n'entend pas relâcher ses efforts pour maîtriser les dépenses de santé. Laurent Fabius peut d'ailleurs se prévaloir, dans ce domaine, de l'OCDE, dont la dernière étude consacrée à la France critique le peu d'empressement mis à maîtriser les dépenses maladie. « Les dépenses d'assurance-maladie pourraient être freinées grâce à des réformes micro-économiques adéquates (...) ,mais peu a été entrepris dans ce domaine récemment », déplorent les experts de l'OCDE dans ce document.
Face à la détermination des pouvoirs publics, les syndicats de médecins libéraux ont opté pour deux stratégies différentes. MG-France, apôtre d'un syndicalisme d'accompagnement, a joué la concertation avec la CNAM. Cette stratégie a échoué, jusqu'à présent.
Le SML et l'UNOF-CSMF, qui sont adeptes, depuis 1995, d'une opposition pure et dure aux pouvoirs publics, ont préféré la confrontation en lançant un mot d'ordre de grève des gardes. Qui n'a pas davantage contribué à débloquer le dossier. Au point que certains aujourd'hui estiment qu'à quelques mois d'échéances électorales décisives la seule arme efficace dont disposent les médecins est de nature politique. Bien que l'influence électorale de praticiens libéraux ait sans doute beaucoup été surestimée dans le passé, nombre d'analystes demeurent persuadés que le corps médical a contribué à deux reprises, en 1981 et 1997, au changement de majorité. Et les députés socialistes, qui vont avoir à reconquérir leur siège dans six mois, n'aimeraient sans doute pas voir dans les cabinets médicaux de leur circonscription placardées, comme cela fut déjà le cas, des affiches du genre : « Votre député a voté pour le rationnement de soins. » Cette arme-là, celle du bulletin de vote, certains praticiens libéraux ne vont pas hésiter à en brandir la menace et, s'il le faut, à l'utiliser.
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