LES ASSUREURS ont encore gagné, disent les uns. Les médecins ont manipulé le ministre et sont parvenus à leur fin, affirment les autres.
Les points de vue divergent sur ce qu’il est convenu d’appeler la crise de la responsabilité civile médicale, qui rebondit régulièrement depuis quatre ans. Crise que le ministre a réglée cet été, du moins temporairement. Mais qui risque fort de resurgir dans les mois à venir, si les primes d’assurance des spécialistes à risques repartent à la hausse.
Retour sur les événements récents. Non contents de ne pas obtenir de réponse des pouvoirs publics à leur problème assurantiel, les obstétriciens libéraux, accompagnés des chirurgiens et des anesthésistes, ont déclenché une grève des accouchements non urgents à partir du 24 juillet. La mobilisation a incité le ministre de la Santé à prendre une décision. Au pied du mur, Xavier Bertrand a une dernière fois consulté les assureurs, avant de rendre son arbitrage. Parmi toutes les pistes à l’étude depuis le début de l’année, c’est finalement celle d’un coup de pouce financier aux médecins qu’il a retenue.
Le 2 août, Xavier Bertrand a donc annoncé qu’il augmentait la participation de l’assurance-maladie dans la prise en charge de la couverture en RC médicale des libéraux à risques qui s’engageront dans la procédure d’accréditation. Cette aide peut atteindre les deux tiers de la prime d’assurance des médecins. Coût de l’opération pour la Cnam : 37 millions d’euros par an.
Accréditation.
Mais loin d’avoir apaisé les tensions, la décision ministérielle a conduit chacun à durcir ses positions. Les obstétriciens ont salué le geste, mais estiment que le problème n’est réglé qu’à moyen terme car rien ne garantit une stabilité des primes. Déjà, des voix s’élèvent pour réclamer une solution plus durable.
Du côté des compagnies d’assurance, on parle aussi d’une avancée. L’accréditation et la gestion des risques vont dans le bon sens, remarque la Fédération française des sociétés d’assurance (Ffsa). Il ne faut pas voir le dispositif comme un cadeau aux assureurs, mais comme une aide légitime aux médecins dont les actes sont mal rémunérés, explique en substance la Fédération.
Pour autant, l’accréditation ne règle pas tout, estime le directeur général de la Sham (la Société hospitalière d’assurances mutuelles) : «Le problème de fond subsiste entre les pouvoirs publics et les médecins, qu’il s’agisse du passage du secteurI au secteurII ou de l’augmentation des honoraires», observe Jean-Yves Nouy.
Le directeur général de la Macsf, Michel Dupuydauby, va plus loin : «Xavier Bertrand s’est fait mener en bateau par les médecins. Malgré la promesse d’une aide pour leur assurance, les médecins ont décidé de pratiquer des dépassements d’honoraires.»
Les critiques fusent aussi au sein même de l’assurance-maladie. Sa commission de la réglementation s’est opposée au renforcement de l’aide qu’elle verse aux médecins libéraux, par crainte d’un dispositif inflationniste. Il faut dire que, jusqu’à présent, la participation de la Cnam accordée aux médecins pour qu’ils paient une partie de leur assurance était fixée en euros (dans le cadre des contrats de bonnes pratiques, depuis 2003). Avec l’accréditation, cette aide correspondra dorénavant à un pourcentage de la prime en RC (jusqu’à 66 % de la prime pour les médecins de secteur I et jusqu’à 55 % pour ceux en secteur II). Une augmentation des tarifs des assureurs augmentera donc mécaniquement la participation de l’assurance-maladie.
Pour Alain-Michel Ceretti, administrateur et fondateur du Lien (association de lutte, d’information et d’étude des infections nosocomiales), cette contribution de la Cnam n’est pas acceptable dès lors que le calcul des primes en RC n’est pas connu de tous, et justifié. «Depuis 2002, à chaque demande des assureurs, l’Etat a plié. Soit il faut faire la transparence sur le coût des primes, dit-il, soit il faut carrément se passer des assureurs, et nationaliser le système d’assurance des médecins libéraux.»
Missions.
Les critiques en ce sens ont abondé cet été, plongeant le ministère de la Santé dans l’embarras. Xavier Bertrand ne reviendra pas sur ses arbitrages – un décret va paraître, qui ne tiendra pas compte des objections de la Cnam. Mais il aimerait obtenir des assureurs des engagements de plus long terme, pour répondre aux craintes des obstétriciens et de l’assurance-maladie, qui redoutent une nouvelle hausse des primes. Le ministre a trouvé un biais pour revenir à la charge : il entend remettre à plat la façon dont les compagnies d’assurance calculent leurs provisions dans le champ de la RC médicale. Le sujet sera évoqué demain, au cours d’un tête-à-tête entre Xavier Bertrand et les assureurs. Lesquels préviennent par avance que les règles de solvabilité des assurances sont fixées au plan national (et bientôt au plan européen), et qu’il leur est impossible de donner quelque engagement que ce soit sur leurs futurs tarifs. C’est l’évolution du risque médical qui fixe la prime, répètent-ils en choeur.
La Macsf a déjà prévenu que, en 2007, elle ne conçoit pas d’assurer un obstétricien à moins de 30 000 euros, voire 40 000.
La partie ne s’annonce pas gagnée pour Xavier Bertrand, qui n’exclut pas, en l’absence d’efforts des assureurs vers plus de transparence, à remettre sur la table les solutions qu’il a provisoirement mises de côté. Comme l’idée d’une mutualisation du risque obstétrique sur l’ensemble des médecins libéraux, que ne souhaitent pas les assureurs spécialisés sur le créneau de la santé. Ou encore la piste d’un écrêtement de l’indemnisation des sinistres lourds, avec basculement de la charge financière des assureurs vers la solidarité nationale – la Ffsa s’y oppose, mais la Macsf y est favorable. Reste aussi l’hypothèse de la création d’une deuxième branche à l’Oniam*, un projet que défend le Syndicat des gynéco-obstétriciens (Syngof), et qui consiste à se passer complètement des assureurs privés, sauf pour les fautes lourdes que commettraient les praticiens.
Xavier Bertrand vient de confier à l’Inspection générale des finances (IGF), à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l’Inspection générale des services judiciaires (Igsj) le soin d’étudier chacune de ces pistes. Rapport attendu début 2007, au moment même où le dispositif d’accréditation des médecins devrait rentrer en vigueur. D’ici là, le bras de fer entre le gouvernement, les obstétriciens libéraux et les assureurs continue.
* Oniam : Office national d’indemnisation des accidents médicaux.
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