PAR LE Dr ÉRIC SELLEM*
« EN L’ÉTAT actuel des connaissances et des pratiques médicales françaises, l’évaluation de la pertinence de la mise en œuvre d’un programme national de dépistage systématique du glaucome n’a pas lieu d’être ».
Cette phrase inaugurait la conclusion d’un rapport d’orientation rédigé en 2006 par la Haute Autorité de santé (HAS). Elle s’appuyait sur un certain nombre de données épidémiologiques, de résultats de métaanalyses et de considérations cliniques.
• La valeur prédictive positive de la tonométrie pour identifier un glaucome est faible : à 5 ans, de 2 à 9 % seulement des sujets ayant une hypertonie oculaire (HTO) développeront un glaucome et 4 % des sujets de plus 60 ans ayant une pression intraoculaire (PIO) normale développeront un glaucome.
• La valeur prédictive positive de l’examen de la papille varie de 0,06 à 0,41, mais peut atteindre 0,9 entre les mains d’un examinateur expérimenté.
• La périmétrie statique nécessite un apprentissage et une bonne collaboration du patient. La dégradation du champ visuel ne survient habituellement qu’à un stade avancé de la maladie.
• Il faut traiter 12 sujets ayant une hypertension oculaire (HPO) pour éviter le développement d’un glaucome et, chez les patients porteurs d’un GPAO, il faut traiter 7 patients pour éviter une aggravation du glaucome. Rien ne prouve qu’un traitement mis en route chez des patients hypertendus à un stade infraclinique apportera un bénéfice supplémentaire en termes de ralentissement de la vitesse d’évolution vers la cécité.
• Le traitement ne permet pas d’éviter la progression du glaucome (…). Il existe une grande variation interindividuelle de la réponse au traitement et de la progression du glaucome. Quel que soit le type de traitement, il comporte des effets indésirables dont certains peuvent être délétères sur l’observance du traitement, la qualité de vie du patient ou le pronostic du glaucome.
Somme toute, pourquoi dépister le glaucome alors qu’il n’existe pas de test diagnostique spécifique et unique de la maladie à un stade précoce, qu’une HPO ne se convertira que rarement en glaucome, que celui-ci peut survenir en l’absence d’HPO, que le traitement du glaucome avéré n’est peut-être pas très efficace, enfin, qu’il expose le patient à des risques iatrogènes et qu’il est coûteux ?! La lecture d’un tel rapport pourrait être totalement démobilisatrice, voire démoralisante, alors qu’il indique que le glaucome serait responsable en France de 10 à 15 % des cas de cécité et/ou basse vision, et que 400 000 sujets ayant un glaucome n’auraient pas été identifiés comme tels.
Mais une étude aussi importante et significative que l’Ocular Hypertension Treatment Study (OHTS), démontrant qu’à 5 ans le risque de conversion vers le glaucome tombe de 9 à 4 % lorsqu’une HPO est traitée, y est à peine évoquée et n’est pas directement mentionnée dans le référencement. Et comment ne pas prendre en compte les nombreuses et très rigoureuses études prospectives des deux dernières décennies indiquant toutes que la baisse de la PIO diminue significativement l’évolution du glaucome avéré, quel qu’en soit le stade ?
Toutes ces considérations reviennent à l’ordre du jour en 2011 avec la campagne de dépistage du glaucome que se propose d’organiser l’Union nationale des aveugles et déficients visuels (UNADEV) dans plusieurs villes de France. La Société française du glaucome (www.leglaucome.fr) a été associée à la réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour optimiser ce dépistage. Elle a confirmé naturellement l’absence d’un test messianique qui distinguerait à coup sûr les patients glaucomateux de ceux qui ne le sont pas. Après un interrogatoire recherchant les facteurs de risque individuels et familiaux, elle a recommandé – dans la petite structure itinérante qui en serait chargée – la mesure tonométrique de la PIO (tout de même premier facteur de risque!) associée à la mesure de l’épaisseur de la cornée centrale (ECC), la prise et l’analyse d’une rétinophotographie et, pour les patients suspects, la réalisation d’une périmétrie courte de dépistage type FDT. L’association de ces tests ne peut qu’indubitablement augmenter la sensibilité et la spécificité du dépistage. Lorsqu’une forte PIO sera mesurée (en tenant compte de l’ECC), a fortiori lorsque la papille et/ou le relevé du champ visuel apparaîtront pathologiques, le patient en sera informé. Et il lui sera naturellement conseillé de consulter un ophtalmologiste, afin que soit confirmé ou infirmé ce diagnostic (en s’aidant éventuellement des analyseurs), et mis en route le traitement qui pourrait s’imposer.
Cibler la population à risque
Le rapport de l’HAS indique : « le traitement, s’il devait être mis en œuvre, devrait être ciblé sur la population à risque ». Mais, précisément, comment cibler cette population, si ce n’est, d’une part, par des campagnes de dépistage qui sont aussi de puissants vecteurs d’information et, d’autre part, par le travail de l’ophtalmologiste qui est première ligne ? Certes, il y a effectivement un monde entre l’évaluation du risque de glaucome chez un sujet qui ne présente qu’une HTO, pour qui la question de la mise en route d’un traitement peut être effectivement discutable pour peu qu’il soit informé du risque et qu’il soit régulièrement suivi, et la multitude de glaucomateux ignorant leur maladie, non traités, menacés plus ou moins rapidement de cécité, situation désolante contre laquelle les efforts de dépistage et d’information doivent être conduits sans relâche. Qu’importe alors pour eux les données des statistiques (« Les statistiques sont vraies quant à la maladie et fausses quant au malade ; elles sont vraies quant aux populations et fausses quant à l’individu » - Léon Schwartzenberg) et les considérations des commissions consultatives !
*Président de la Société française du glaucome
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