Un entretien avec le président de la Fédération hospitalière de France
LE QUOTIDIEN -
Le passage de l'institution aux 35 heures constitue le dossier phare de la rentrée de l'hôpital public. Pourquoi êtes-vous si intransigeant sur le nombre d'emplois qu'il convient de créer pour accompagner cette opération ?
GERARD LARCHER
A la FHF, cela fait tout de même trois ans que nous travaillons sur cette question. Je rappelle qu'au moment où est sorti le premier rapport sur le temps de travail dans les fonctions publiques - le rapport Roché, en février 1999 -, la fonction publique hospitalière est apparue comme celle qui avait la plus grande productivité et dont les agents étaient les plus éloignés des 35 heures réelles. A la lumière de ces conclusions, on peut penser que la mise en place des 35 heures va se faire à l'hôpital avec une marge de productivité et de redéploiement beaucoup plus modeste que dans d'autres administrations. C'est pourquoi la dernière proposition du gouvernement, 45 000 emplois, me paraît insuffisante. Elle ne permet pas de faire face, tout simplement, à la présence du personnel soignant en quantité égale au chevet du malade. Nous avons calculé qu'une fois l'hôpital passé aux 35 heures, avec 45 000 postes nouveaux, le temps consacré aux patients diminuerait de quelque 2 %. Comment faire ? On ne peut pas imposer au malade 2 % de « réduction de sa maladie ». Cela signifie donc que l'on aboutirait à un amoindrissement de la qualité des soins. Moi, je ne sais pas augmenter la productivité du malade lui-même, ni lui demander de se passer de personnel soignant. C'est un paramètre qui ne se résout pas dans les équations des polytechniciens ou des titulaires du diplôme de l'Ecole nationale d'administration. Voilà pourquoi, à la FHF, nous demandons 50 000 emplois.
« La RTT, c'est la loi de la République, et je l'applique »
Ce chiffre paraît relativement bas au regard des exigences de certains syndicats de personnels, qui vont jusqu'à demander 80 000 emplois. Pourquoi ce décalage ?
Parce que nos 50 000 emplois représentent un effort pour l'hôpital. Ils signifient que nous acceptons que des gains de productivité soient faits du côté des services logistiques, techniques et administratifs. Comprenons-nous bien : la RTT, c'est la loi de la République, et je l'applique, mais je veux le faire dans l'intérêt du service public et non pas dans celui des comptes annuels du gouvernement, quelle que soit sa couleur politique. Je veux un service public hospitalier de qualité, dont le coût demeure maîtrisé en fonction des besoins de santé des Français. Entre 45 000 et 50 000 emplois créés, et, sauf à en subir les conséquences sociales et à dégrader la qualité de l'accueil des malades, il n'y a pas d'arrangement.
On a besoin d'une réflexion sur le compte épargne temps (qui, faute d'effectifs disponibles immédiatement, serait accordé aux hospitaliers les trois premières années, NDLR). Avec cette disposition, le gouvernement signe un chèque sur l'avenir. Comment va-t-il faire en 2004, quand les personnels vont écouler les jours de vacances qu'ils auront accumulés dans le cadre des mesures transitoires de la RTT ? Comment va-t-on gérer cette situation sans le faire sur le dos des malades et de la qualité des soins ? On ne peut pas piloter un secteur où des centaines de milliards sont en jeu chaque année sans se poser ce genre de question. Pas plus qu'on ne peut éluder le problème des tout petits établissements, des maisons de retraite médicalisées qui fonctionnent avec deux ou trois infirmières. Comment va-t-on là-bas passer aux 35 heures ? Que vont faire ces équipes qui n'ont pas la capacité de créer un poste supplémentaire ? M. Jospin parle de la nécessité d'adapter les 35 heures aux PME ; le sujet est exactement le même pour les petits établissements. Et il se complique encore avec les questions de financement. A part l'assurance-maladie, qui va payer la RTT dans ces structures à prix de journée où coexistent les financements de la Sécurité sociale, du conseil général et des familles ?
Il est certain que, quand, au moment de la préparation de l'ONDAM (objectif national des dépenses d'assurance-maladie), on va dire aux parlementaires qu'il faut en 2002 pour l'hôpital 8 % de mieux qu'en 2001 (3,85 % pour la reconduction des moyens et le reste pour la RTT), ils vont faire une drôle de tête. Mais si on n'a pas le taux de reconduction des moyens nécessaires, alors là, il y aura une explosion sociale et surtout il y aura des dysfonctionnements énormes dans les établissements : on n'aura pas de personnels, on fermera des services. On ne peut pas faire des approximations avec l'hôpital ni pratiquer la râpe à crédit. Quand nous demandons impérativement 8 % dès cette année, nous faisons déjà un effort. Si on descend en dessous de ce chiffre, alors on rognera sur l'essentiel et on aboutira à une baisse de la qualité des prestations.
Une priorité : l'investissement
A quelques mois des élections présidentielle et législatives, l'hôpital a-t-il une carte à jouer ?
A cette occasion, la FHF va en tout cas proposer au pays, à travers celles et ceux qui aspirent à le diriger, une vision de l'hôpital pour la décennie à venir. Nous sommes à un moment démocratique. La santé représente plus de 10 % du PIB, et on sait maintenant qu'il serait illusoire de vouloir réduire cette part. Cette situation nécessite un débat. Nous souhaitons mettre les choses en perspective. Nous voulons dire aux Français : voilà quel est l'enjeu pour l'hôpital public, voilà les défis, voilà aussi les pistes d'organisation, voilà les réflexions possibles sur les évolutions statutaires. Il va falloir prendre des orientations claires. On peut, par exemple, imaginer une évolution progressive de l'hôpital et de son financement vers davantage de déconcentration, voire de décentralisation.
L'investissement. Car l'hôpital n'investit pas assez. Entre ce qui lui est octroyé aujourd'hui sur ce poste de dépenses (0,5 milliard de francs) et ce qui serait nécessaire de lui accorder, le fossé est immense. A titre de comparaison, en 1975, les subventions de l'Etat à l'investissement étaient de 1,5 milliard de francs (en francs de l'époque, ce qui correspond à 7,5-8,5 milliards de francs d'aujourd'hui). En vingt-cinq ans, on a divisé par 16 la mobilisation de fonds publics au bénéfice de l'investissement. Et cela a de graves conséquences. Prenons l'exemple du financement de l'innovation (une enveloppe de 100 millions de francs en 2001). Pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, un CHU mange 2 millions ! 2 millions pour un seul hôpital et un seul médicament d'innovation. Cela explique que la plupart des CHU soient aujourd'hui en report de charge sur les dépenses médicales et pharmaceutiques.
Oui, tous les hôpitaux sont en difficulté financière. Et ce phénomène s'accentue tous les ans. Les reports de charge, ce sont des déficits déguisés. La situation n'est pas bonne. Mais je reste un optimiste résolu. L'hôpital se réorganise. Le secteur médico-social public prend à bras le corps sa transformation. Je vois des hôpitaux inventer des communautés d'établissements, des groupements de coopération sanitaire, contribuer à la construction de réseaux... Toutes ces transformations, il faut les encourager, il ne faut pas plomber les choses en ne donnant pas à l'hôpital les moyens d'assumer la décision politique que sont les 35 heures.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature