La génomique impacte en tout premier lieu le champ du diagnostic. Les sept cents tests génétiques disponibles entrent peu à peu dans la pratique : recherche d'une prédisposition à certains cancers ou maladies cardiaques, facteur de prédictibilité pronostique dans certaines hémopathies malignes, dépistage précoce des maladies monogéniques héréditaires. Le diagnostic préimplantatoire est légal depuis peu en France.
Pour la « biotech » Affimétrix (Santa Clara, Californie), le simple caryotype semble déjà démodé. Ses biopuces constituées de milliers de monobrins d'ADN ou de molécules d'ARN, marqués à la fluorescéine, mises en contact avec tel ou tel matériel génétique, deviennent de véritables détecteurs de nucléotides en fixant le brin complémentaire. Futurs « banals » kits de dépistage de facteurs de risque génétique, elles pourraient aussi remplacer les sérodiagnostics dans les maladies infectieuses.
Craig Venter (Celera Genomics, Rockville, Etats-Unis) identifie les gènes actifs dans une cellule par l'interception des ARN messagers produits, parvenant à des « profils d'expression génétiques » caractéristiques des tissus sains ou pathologiques laissant affleurer l'idée d'une véritable sémiologie génétique des maladies.
La pharmacogénomique
La tolérance et l'efficacité des médicaments sont liées pour une part au médicament lui-même et pour une autre à la susceptibilité individuelle. Comme l'explique le Pr Lancet (Crown Human Genome Center, Israël), la « pharmacogénomique », autre voie de recherche prometteuse, s'appuie sur ces particularités individuelles qui semblent portées par les « Single Nucleotid Variation » (SNP), variation individuelle d'une seule paire de base dans un gène. La connaissance de ces « profils génétiques individuels » pourrait conduire à une ordonnance individualisée automatisée issue du génie génétique.
Sur le plan des avancées thérapeutiques, la scène est largement dominée par les protéines recombinantes. Les plus médiatiques sont l'insuline, l'érythropoïétine (EPO) et l'hormone de croissance, fabriquées à volonté par des bactéries, dans le matériel génétique desquelles ont été insérées les parties codantes du gène humain cloné. La dernière génération du vaccin contre l'hépatite B est recombinante. Des mammifères génétiquement modifiés peuvent exprimer des protéines humaines recombinantes dans leur lait, leur urine, leur sang, leur sperme. Les industriels s'orientent de plus en plus vers les plantes, beaucoup moins coûteuses que l'élevage d'animaux transgéniques tout en étant plus fiables sur le plan infectieux. Evalués à quarante milliards d'euros, les enjeux financiers d'un tel marché sont considérables.
Thérapie génique
La thérapie génique, définie comme l'introduction délibérée de matériel génétique dans les cellules somatiques humaines pour réparer un défaut génétique ou pallier le manque d'une protéine en apportant le gène nécessaire à sa synthèse, est l'autre volet thérapeutique. De nombreuses modalités pratiques sont envisageables selon le type de nucléotide transféré, le type de vecteur utilisé et le but recherché.
Mais sur les cinq cents essais cliniques de thérapie génique déclarés dans le monde, la réussite de l'équipe française du Pr A. Fischer (Necker, AP-HP) dans le traitement de quatre enfants atteints de déficit immunitaire combiné sévère (DICS) est une singularité. Voie de recherche essentielle pour traiter les maladies monogéniques héréditaires, elle voit paradoxalement 67 % de ses essais cliniques s'adresser aux cancers, même si sa contribution y est très incertaine, du fait de leur polymorphisme génétique. Certaines maladies cardio-vasculaires pourraient en bénéficier : la revascularisation dans l'artérite des membres inférieurs ou l'infarctus de myocarde, la prévention de la resténose postangioplastie.
La recherche thérapeutique se tourne déjà vers l'après-génomique. La « biotech » Hybrigénics (Paris), dirigée par le Pr Strosberg et spécialisée en « protéomique », tente de diminuer coûts et temps de la « recherche et développement » en validant finement un nombre réduit de protéines candidates. Le criblage aléatoire d'un très grand nombre de cibles potentielles (de trente à soixante mille) par des milliers de protéines permet de dresser la cartographie des millions d'interactions. La « Protein Interactions Map » dessine les voies métaboliques ou phénotypes intermédiaires, cibles potentielles des futurs médicaments, notamment les petites molécules. Un tri bio-informatique suivi d'analyses biologiques et biochimiques ramènent à cinq cents les cibles finalement validées. Les protéines au carrefour de plusieurs voies métaboliques, sources d'effets secondaires, sont éliminées du processus de validation.
En dépit de tout cet amoncellement d'informations « récentes », la pratique courante n'a pas vraiment changé dans les cabinets médicaux, ni même dans les services hospitaliers, en particulier ceux qui prennent en charge des maladies monogéniques rares, cibles les plus « simples » de la génomique. C'est le constat réaliste du Pr A. Munnich, chef du service de génétique médicale de l'hôpital Necker, à Paris. L'identification de la structure des gènes et de leurs mutations n'a pas élucidé le comment de ces maladies, sans lequel aucun traitement n'est possible. Dans l'immédiat, les généticiens de terrain doivent continuer à s'appuyer sur les outils de biologie traditionnelle pour élucider les mécanismes physiopathologiques et explorer les effets connexes pressentis de molécules connues validées commercialisées pour d'autres affections, traiter la symptomatologie sans traiter la cause génétique, pour l'instant inaccessible.
L'intérêt commercial
Malheureusement, ces options thérapeutiques simples et le grand nombre de maladies rares affectant un petit nombre de patients n'offrent pas un intérêt commercial suffisant pour les industriels.
La génomique semble ouvrir des perspectives sans limite à la prévention et à l'innovation thérapeutique, mais les intérêts financiers considérables en jeu rendent urgents le développement de partenariats public-privé et le respect d'une déontologie de la communication scientifique. Chercheurs et médias ont un devoir de probité et de clarté vis-à-vis du grand public et des politiques pour ne pas fausser la donne.
Colloque « Le génome » organisé par l'institut Servier et « The Economist ».
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