La santé en librairie
Leurs avis divergent en effet dès l'origine, c'est-à-dire sur la définition de la vie, premier chapitre de leurs entretiens. Albert Jacquard s'émerveille de la continuité qui a mené les molécules de la « bouillie des océans » à l'ADN qu'il considère comme le début de la vie. Axel Kahn, lui, voit la vie apparaître par l'intermédiaire d'une discontinuité, d'un « saut qualitatif », non pas lors de l'apparition de l'ADN, mais lors de l'apparition de la cellule, elle-même substrat de la sélection.
L'harmonie s'établit devant le beau ballet de la sélection darwinienne, dans lequel ni l'un ni l'autre ne distinguent de discontinuité jusqu'à l'homme. Chacun garde, bien sûr, sa spécificité : pour Albert Jacquard, ce qui vraiment est merveilleux, c'est sans doute le cerveau humain avec ses neurones si nombreux, ou la conscience humaine, « la faculté de se savoir être », mais c'est d'abord et surtout « l'aventure d'un univers en permanence capable de faire du neuf », par exemple un reptile qui se met à voler et devient un oiseau. C'est l'apparition d'une culture, engendrée par l'être humain, qui passionne le médecin, et la capacité de cette culture à remplacer la biologie pour assurer l'évolution de l'homme.
Mystère pour l'un, la mort est totalement dépourvue d'ambiguïté pour le second, qui s'en décrète plus agnostique que son interlocuteur. Cette position n'empêche pourtant pas d'éprouver du respect pour les morts, ce qui conduit les deux généticiens sur le terrain du « mourir » et de l'euthanasie. Sur ce sujet, le médecin est nettement plus prolixe que son interlocuteur et particulièrement clair. La dignité de tout homme étant indéfectiblement « pleine et entière », quelles que soient ses capacités, Axel Kahn différencie nettement le devoir du médecin, qui met parfois au premier plan le soulagement de la souffrance, du « suicide assisté », action irréversible qui traduit surtout l'échec de la solidarité humaine. La logique de l'émerveillement premier d'Albert Jacquard l'amène à dénoncer ce que l'on a appelé à tort « l'euthanasie », en fait le massacre de milliers de vaches pour cause d'ESB ou de fièvre aphteuse. Et l'accord, ici, est total entre les deux hommes, pour s'insurger contre les horreurs auxquelles a mené « la loi du marché ».
Contre les hiérarchies
C'est encore la main dans la main que les deux interlocuteurs conduisent la démonstration du « 100 % inné, 100 % acquis » auquel répond l'homme, récusent les hiérarchies entre groupes humains imaginées par des scientifiques et adoptées avec bonheur par des idéologues et des politiques en Occident en particulier ou démontent le déterminisme totalisant des sociobiologistes. L'un déniera sans doute tout intérêt au quotient intellectuel dans lequel l'autre verra un outil utilisable dans certaines circonstances, tous deux ne situeront pas la liberté de l'homme précisément au même endroit, mais ils se rejoindront pratiquement sur leur vision, négative, du capitalisme, sur leur rejet du racisme comme absurdité, sur le scandale de la brevetabilité du vivant.
Un tel ouvrage pouvait-il se fermer sans que soient envisagées « les perspectives ouvertes par le génome humain » ou « les manipulations de l'embryon humain » ? L'enthousiasme d'Albert Jacquard lui fait donner sa confiance à toute forme de clonage à visée thérapeutique, voire reproductive, même si ce dernier pose quelques questions d'ordre psychologique. Le médecin, beaucoup plus réservé, multiplie arguments et précautions, d'ordre technique autant qu'éthique, du reste, autour du gène et de l'embryon. C'est encore le médecin qui marque nettement la différence entre plusieurs eugénismes, selon que la décision est individuelle ou collective en particulier, et c'est le polytechnicien Albert Jacquard qui s'élève avec le plus de virulence contre les OGM ou plus précisément contre les intentions de ceux qui veulent les répandre.
Une chose est sûre : si les deux auteurs ont des visions fort distinctes de la façon dont les scientifiques doivent distribuer leur savoir, ni l'un ni l'autre ne doutent du devoir desdits scientifiques de s'engager vis-à-vis de la société.
« L'avenir n'est pas écrit »,, Albert Jacquard et Axel Kahn, avec la collaboration de Fabrice Papillon, Bayard, 180 pages, 98 F (13,90 euros).
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