LE QUOTIDIEN - Depuis ces trois dernières années, on assiste à une formidable montée en puissance des génériques. Comment l'expliquez-vous ?
PATRICK FALLET–C'est un ensemble de circonstances. Une grande campagne publicitaire orchestrée par l'assurance-maladie a mis les patients en confiance. Les médecins, globalement, ne semblent plus opposés à la substitution par le pharmacien et, parfois, prescrivent en dénomination commune (DC). Les médecins, comme les pharmaciens, disposent de conventions qui formalisent des obligations propres aux génériques.
Ainsi, le « contrat de bonne pratique » applicable au médecin et, plus généralement à tout professionnel habilité à prescrire, comporte des engagements sur la prescription en dénomination commune ou à la prescription de médicaments génériques. Quant aux pharmaciens, ils ont aussi des conventions avec les pouvoirs publics dans lesquelles ils s'engagent à divers taux de substitution.
Il ne faut pas oublier que cette progression importante des génériques est due également à la fin des brevets de nombreuses molécules largement utilisées.
La mise sur le marché des génériques est-elle plus facile aujourd'hui ?
Elle n'a jamais été facile, l'administration exigeant des critères de qualité équivalant à ceux des princeps. Et cela est valable pour tous les Etats membres de l'Union européenne. En revanche, on assiste de plus en plus, en France, à une attaque en règle des génériqueurs qui contestent la validité des brevets des princeps comme cela se pratique couramment aux Etats-Unis.
Cette remise en cause des droits de propriété intellectuelle est inquiétante, car elle peut être à l'origine d'un appauvrissement de la recherche.
L'examen en février au Parlement du projet de loi «portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament» a montré que le sujet est de plus en plus d'actualité. La procédure de mise sur le marché des génériques a été aménagée suite à divers contentieux : désormais, préalablement à la commercialisation du générique, le titulaire de l'AMM générique doit informer le directeur de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) des indications, des formes et des dosages de la spécialité de référence pour lesquels les droits de propriété intellectuelle n'ont pas expiré. Mais cela est loin d'être simple et l'on peut craindre de nouveaux contentieux.
Surtout, un nouvel article L.5121-10-1 inséré dans le code de la santé publique prévoit qu'une spécialité générique ne peut être commercialisée qu'à l'expiration d'un délai de 10 (voire 11) ans suivant l'AMM initiale de la spécialité de référence.
La situation va se compliquer davantage avec l'arrivée prochaine des « biogénériques » ou, plus exactement, des « médicaments biologiques similaires ».
Voit-on encore des médecins s'opposer à la substitution par le pharmacien ?
Il n'existe pas de statistiques officielles ; mais d'après les renseignements fournis par des inspecteurs de la Sécurité sociale, il devient de plus en plus rare que le médecin mentionne « non substituable » sur l'ordonnance. Cela doit être justifié par l'intérêt du patient.
Il a parfois été signalé que le médecin conseillait au patient de s'opposer à la substitution par le pharmacien. Cela me paraît très dangereux. Et les DAM, délégués à l'assurance-maladie, n'hésitent pas à le rappeler aux médecins auxquels ils rendent visite.
Un médicament disposant d'une AMM générique peut-il être substitué par le pharmacien ?
Non, ce n'est pas suffisant ; il faut impérativement qu'il soit inscrit au répertoire des génériques. Sans inscription au répertoire, le pharmacien a l'obligation de se conformer strictement à l'ordonnance. Un important contentieux entre génériqueurs et labos de princeps s'est développé ces dernières années, notamment en raison de messages publicitaires destinés aux professionnels de santé et faisant notamment croire au pharmacien qu'il avait capacité à substituer avant l'inscription au répertoire.
Le générique est-il toujours moins cher que le princeps ?
Oui, le comité économique des produits de santé impose au laboratoire génériqueur un prix fabricant inférieur de 40, voire de 50 % à celui du princeps. Mais ce pourcentage n'est pas le même sur le prix public du fait de la marge des pharmaciens dans la distribution du médicament.
Dans le cadre de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, le générique reste l'un des atouts majeurs des gouvernements qui se sont succédé, qu'il s'agisse de Martine Aubry ou de Xavier Bertrand.
Une particularité de la réglementation française : c'est un arrêté qui fixe les prix et les marges des médicaments remboursables et c'est une loi qui plafonne les remises, les ristournes et, plus généralement, tous les avantages que peut octroyer un exploitant sur le prix de ses médicaments. Qu'il s'agisse des marges fixées par arrêté ou des avantages fixés par la loi, les génériques bénéficient de conditions plus avantageuses que le princeps.
Malgré ces plafonnements, les génériqueurs ont été amenés, au début des années 2000, dans le cadre d'une surenchère, à proposer des conditions financières au-delà de ce qui était autorisé. Et ce qui est particulièrement intéressant, c'est que les pouvoirs publics ont laissé faire, l'objectif étant le succès du plan génériques.
Mais lorsqu'un groupe générique est soumis à tarif forfaitaire de responsabilité (TFR), rien n'empêche le princeps de baisser son prix pour l'aligner sur celui des génériques, entraînant une spirale à la baisse très dangereuse pour le pharmacien.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
Ces années de surenchère sont derrière nous. Avec des objectifs de prescription pour les médecins et de substitution pour les pharmaciens régulièrement à la hausse et imposés par convention, les pouvoirs publics deviennent de plus en plus contraignants, quels que soient les acteurs.
Pour les pharmaciens, l'encadrement des contrats de coopération commerciale a mis un coup d'arrêt à des pratiques commerciales dénoncées par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (Dgccrf). La mise en place du TFR de responsabilité s'est révélée une arme redoutable contre eux et pratiquement à la discrétion du ministre.
Mais cela joue aussi pour les patients. Les résultats des premières expériences lancées par les Cpam, notamment en Ile-de-France, du tiers payant soumis à l'acceptation de la substitution ont été spectaculaires. Contrairement à ce que beaucoup pensaient, le Conseil constitutionnel en a validé le principe dans la loi de financement de la Sécurité sociale 2007, y compris pour les personnes bénéficiant de la CMU.
Certains produits très consommés ne sont pas inscrits au répertoire.
Oui, c'est principalement le cas de l'aspirine et du paracétamol. Mais si l'on regarde le prix des spécialités, on constate que ces prix sont bas et que les écarts de prix entre les spécialités existantes n'ont rien à voir avec ceux que l'on peut rencontrer sur le marché princeps/génériques. Et on ne voit pas de raisons, notamment économiques, qui inciteraient les pouvoirs publics à modifier cette situation.
Pour ces produits, le médecin peut-il imposer la marque de son choix ?
Tout à fait, et le pharmacien ne peut délivrer un autre produit sans l'accord formel du prescripteur, ce qui signifie une nouvelle ordonnance. N'étant pas inscrites au répertoire, les spécialités contenant de l'aspirine ou du paracétamol n'entrent pas en ligne de compte pour la détermination des objectifs des médecins, des chirurgiens-dentistes ou des pharmaciens.
Selon le droit de la propriété intellectuelle, la fourniture d'un produit d'une marque à la place d'une autre est passible de lourdes sanctions pénales prévues à l'article L.716-10 du code de la propriété intellectuelle : trois ans de prison, 300 000 euros d'amende. Et ce n'est pas une hypothèse d'école ; le cas s'est déjà produit dans le secteur des dispositifs médicaux où un pharmacien avait délivré des compresses d'une marque différente de celle qui était mentionnée sur l'ordonnance rédigée par un médecin.
La seule exception à ce droit applicable à tous produits (aliments, textiles, matériel hi-fi, etc.) est la substitution d'un médicament inscrit au répertoire.
Comme le paracétamol et l'aspirine ne sont pas inscrits au répertoire, le pharmacien, face à une ordonnance mentionnant un nom de marque, est dans l'obligation de dispenser la marque mentionnée sur l'ordonnance et donc décidée par le médecin, quel que soit son prix qui, comme nous l'avons relevé, n'a pas de différence aussi significative que celle que l'on rencontre dans le marché des génériques.
Le pharmacien ne peut pas non plus délivrer une autre marque que celle qui serait demandée par le patient se présentant sans ordonnance.
Si l'ordonnance ou la demande spontanée du patient ne comportent pas de marque, le pharmacien est libre de délivrer la spécialité de son choix.
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