« 115 F pour la consultation, ce n'est pas honorable », « 115 F, c'est indigne ». Voici que s'enfle une nouvelle fois la colère des généralistes. Et que refait surface - si tant est qu'elle ait jamais disparu - la vieille revendication tarifaire. Avec des modalités différentes, tous les syndicats de la profession font de l'augmentation des honoraires leur priorité. L'Union nationale des omnipraticiens de France (UNOF, affiliée à la CSMF) et le Syndicat des médecins libéraux (SML) qui ont totalisé 57 % des suffrages aux dernières élections professionnelles exigent que la valeur de la consultation passe de 115 F à 131,20 F (soit 20 euros, une hausse de 14 %). Et que celle de la visite soit portée de 135 F dans la plupart des villes (145 F à Paris, à Lyon et à Marseille) à 196,79 F (à 30 euros, soit une revalorisation de 45 %). La Fédération des médecins de France (5,22 % des suffrages) va plus loin encore dans ses exigences en estimant que la valeur de la consultation devrait être de 250 F.
MG-France (31 % des suffrages aux unions) a opté, pour sa part, pour une autre stratégie : exiger une revalorisation relativement modeste de la consultation (il demande que le C passe de 115 F à 18,5 euros, soit 121,35 F) et négocier parallèlement des revalorisations complémentaires pour des consultations à fort service médical (des consultations lourdes) et des rémunérations forfaitaires pour certaines fonctions du généraliste (permanence des soins, participation à des actions de santé publique, etc.).
La faible valeur du C
La simultanéité - sinon la similitude - de ces revendications soulève en fait plusieurs problèmes : celui de la valeur de la consultation, de son évolution au fil des ans, du revenu du généraliste, de ses conditions de travail.
Sur la valeur absolue du C - 115 F -, beaucoup d'avis convergent pour la juger trop faible. Ceux des leaders de la profession, bien sûr. « 115 F, c'est beaucoup trop bas », s'emporte le Dr Dinorino Cabrera, président du SML. « Nous voulons que la valeur du C corresponde à ce que représente réellement la consultation médicale dans l'échelle des prestations de service », ajoute de son côté le Dr Michel Chassang, président de l'UNOF.
Propos convenus de syndicalistes ? Sans doute pas. Les experts en économie de la santé partagent aussi cette analyse. « C'est effectivement insuffisant, c'est un tarif dont les bases ont été fixées il y a longtemps et qui n'a pas été rebasé », estime Claude Le Pen, professeur en économie de la santé (voir page 4). « La consultation à 115 F est un vrai scandale », a souligné Jean de Kervasdoué (Conservatoire national des arts et métiers) lors du dernier forum « Economie et Santé » organisé par « les Echos » et « Panorama du Médecin ». Franc-tireur comme à l'accoutumée, Bernard Kouchner avait qualifié, à Ramatuelle, lors de l'université de la CSMF, de « juste et nécessaire » la revalorisation de la consultation et de la visite. Le discours du ministre délégué à la Santé n'a pas convaincu. En tout cas, Elisabeth Guigou est toujours réticente à l'idée d'une revalorisation des honoraires. On fait remarquer au ministère de l'Emploi et de la Solidarité qu'il convient, pour juger de la valeur de la consultation, de tenir compte des avantages sociaux dont bénéficient les médecins du secteur I. Et l'on ajoute que, contrairement à une idée fort répandue dans le corps médical, le C n'a pas perdu de sa valeur au fil des ans. Bien au contraire : il a augmenté plus vite que l'inflation.
Les chiffres donnent sur ce point raison au ministère. Du moins si l'on prend comme date de référence 1990 (voir notre tableau). En revanche, il est vrai que, depuis 1998, le C n'a pas été revalorisé et a donc perdu de sa valeur.
Au-delà du tarif même de l'acte médical, la grogne et la rogne des médecins ne reflèteraient-elles pas surtout leur insatisfaction devant leurs revenus globaux actuels ? Le métier de généraliste serait-il sous-évalué et sous-rémunéré ? Ici encore, il faut lâcher quelques chiffres : l'omnipraticien gagnait en moyenne, en 1998, 338 000 F par an (charges déduites mais avant impôts). Soit un revenu net mensuel d'environ 28 000 F, comparable à celui des 400 000 ingénieurs diplômés (31 000 brut par mois en moyenne, selon l'INSEE), mais nettement inférieur à celui des cardiologues (50 000 F mensuels), pour ne citer que cette spécialité. Là encore, le revenu n'a pas diminué au fil des ans. Il a même progressé plus rapidement que l'inflation, au rythme de 2,7 % par an en moyenne entre 1991 et 1998.
Cela, les leaders de la profession n'en disconviennent pas. Mais c'est pour ajouter aussitôt que ce revenu doit être comparé à la charge de travail des généralistes. « 338 000 F par an, c'est trop bas. Il ne faut pas oublier que cela correspond à des semaines de 56 ou 58 heures, qui n'ont rien à voir avec les 39 heures ou les 35 heures des salariés », souligne le Dr Cabrera. Et d'ajouter : « Il faut aussi tenir compte des études qui sont plus longues (que celles des cadres), de la carrière qui est plus courte, de la forte pénibilité du travail. »
La course à l'acte
Analyse partagée par le Dr Chassang (UNOF). Et aussi par le Dr Pierre Costes, président de MG-France : « 27 000 F par mois, si c'est pour travailler cinq jours par semaine et manger le soir à la maison avec ses enfants, ça va. Mais la vie du généraliste, ce n'est pas ça : c'est une vie sans horaires, avec les week-ends où on est coincé à la maison. »
Ces propos de syndicalistes permettent sans doute de cerner la nature profonde du conflit actuel, de la revendication par tous partagée pour une hausse des actes médicaux : les généralistes - du moins la plupart d'entre eux - exigent une hausse des tarifs, non pas tant pour augmenter leurs revenus annuels, mais pour pouvoir travailler moins. Pour ne pas rester sur le bord de la route de la réduction du temps de travail. Pour mettre un terme à ce que Pierre Costes appelle « la vie de chien du généraliste ».
Tous les responsables syndicaux de la profession affirment avoir été frappés par cette revendication pour une meilleure qualité de vie qui sourd de la France médicale profonde, monte de la base - et pas seulement chez les jeunes médecins - et s'exprime dans les réunions syndicales.
« Le taux de revoyure en question »
C'est là, incontestablement, l'une des tendances lourdes qui va caractériser dans les années à venir l'évolution du corps médical. Les leaders syndicaux en ont pris conscience. Il ne faut pas oublier, souligne le Dr Cabrera, que si la valeur de la consultation a augmenté plus vite que le coût de la vie, les charges, elles, ont augmenté encore plus vite que la valeur du V. Résultat : pour conserver ou améliorer légèrement leur pouvoir d'achat, les généralistes ont augmenté leur activité. « On a parfois l'impression, affirme-t-il sans ambages, que le généraliste fait plus des passes que des consultations. »
Entre 1990 et 1999, le nombre de consultations par généraliste est passé de 3 050 à 3 677, soit une augmentation de 2,1 % par an, confirment les chiffres de la CNAMTS. Si l'on considère l'ensemble de l'activité (consultations, visites, actes divers), la hausse est moins importante ; mais elle est quand même de 0,8 % par an. Commentant cette évolution, un autre leader syndical reconnaît : « Les généralistes augmentent ce qu'ils appellent le taux de revoyure » (le nombre de fois où ils demandent à un patient de revenir au cabinet).
Cette course à l'acte est non seulement contestable médicalement et économiquement, mais elle a aussi un coût pour le médecin : celui de l'allongement de la durée du travail. Et cela au moment même où le praticien voit ses patients profiter des 35 heures. « Rendez-vous compte, tonne le Dr Pierre Costes, que chaque année la durée hebdomadaire du travail du généraliste va augmenter de vingt minutes par an, selon une enquête officielle. »
C'est ce cercle vicieux - multiplication des actes, allongement du temps de travail pour, disent-ils, conserver leurs revenus, que les généralistes veulent rompre aujourd'hui. D'où la revendication très fortement soutenue par la CSMF, le SML et la FMF d'une revalorisation importante du tarif unitaire de l'acte. Leurs exigences d'une consultation à 20 euros et d'une visite à 30 euros représenteraient pour l'assurance-maladie un coût non négligeable de l'ordre de 6 milliards de francs. Les responsables syndicaux en sont conscients, mais ils avancent, pour tenter d'emporter l'adhésion des pouvoirs publics, une argumentation qui leur semble imparable : une forte augmentation des tarifs unitaires de l'acte se traduirait par une baisse du nombre d'actes réalisés par chaque médecin et par une baisse du coût des prescriptions. Et, à terme, l'assurance-maladie ne serait pas perdante. « A partir du moment où l'acte serait payé correctement, les médecins diminueraient leur activité », affirme, catégorique, le Dr Cabrera. Une analyse que partage le Dr Michel Chassang.
L'argument du secteur II
A l'appui de leur argumentation, les médecins citent l'exemple des généralistes du secteur II. En 1999, selon les statistiques de l'assurance-maladie, ces médecins, qui facturent en moyenne leur consultation 156 F, ont effectué 3 073 consultations chacun, soit 18 % de moins que leurs confrères du secteur I (3 747). Leurs prescriptions par consultation ou visite ont été aussi moins importantes : 306 F de médicaments contre 315 F en moyenne. L'argumentation est séduisante mais elle ne convainc pas tout le monde. On peut soutenir le raisonnement inverse, estime l'économiste Claude Le Pen (voir page 4) et prétendre que, si un médecin a choisi le secteur à honoraires libres, c'est parce qu'il avait une activité réduite, et non l'inverse. Bref, on manquerait, dans ce domaine, de preuves scientifiques. Plus important - et plus inquiétant pour les médecins engagés dans la bataille pour la revalorisation des honoraires -, Elisabeth Guigou ne croit pas du tout à une limitation du nombre d'actes grâce à une forte hausse des tarifs. Le président du SML jure pourtant qu'il n'exclut pas une limitation annuelle de l'activité des praticiens : « A priori j'y suis défavorable, mais je suis prêt à aller jusqu'au bout de ma démarche et à dire qu'il faut que la consultation dure un certain temps. »
Quel avenir pour le paiement à l'acte ?
Malgré leur mobilisation, malgré une grève des gardes qui persiste et commence à poser des problèmes aux services hospitaliers appelés à prendre la relève des libéraux, les médecins ont, semble-t-il, peu de chances d'obtenir dans l'immédiat des hausses importantes d'honoraires. Ni le gouvernement ni la caisse d'assurance-maladie n'y sont favorables, du moins tant que n'ont pas été conclues de nouvelles conventions médicales prévues par la loi que vient de voter le Parlement. Ce qui n'interviendra pas avant la fin de l'année prochaine.
La guerre de tranchées actuelle sur le thème des revalorisations d'honoraires pose aussi, à terme, le problème du mode de rémunération du médecin. Faut-il prévoir plusieurs tarifs pour les consultations des généralistes, en fonction du type d'acte, mais aussi d'autres critères, pour permettre un semblant d'évolution de carrière ? Quel est l'avenir du paiement à l'acte ? Doit-on développer les rémunérations forfaitaires et jusqu'où ? Autant de questions que les pouvoirs publics, pas plus que les médecins, ne pourront éluder longtemps
Evolution entre 1997 et 1998
du revenu moyen des médecins
Taux de croissance
du revenu par tête |
Revenu annuel par
tête en 1998 (milliersde F) |
|
|
||
Omnipraticiens |
4,7 | 338 |
|
||
Anesthésistes |
4,9 | 854 |
Cardiologues | 4,6 | 593 |
Chirurgiens | 1,7 | 732 |
Chirurgiens orthopédiques | 1,0 | 877 |
Dermatologues | 4,1 | 355 |
Gastro-entérologues | 2,7 | 529 |
Gynécologues | 3,0 | 452 |
Ophtalmologues | 3,6 | 569 |
ORL | 2,0 | 473 |
Pédiatres | 2,7 | 322 |
Pneumologues | 2,9 | 425 |
Psychiatres | 2,2 | 673 |
Radiologues | 5,5 | 1 128 |
Rhumatologues | 1,3 | 375 |
Stomatologues | 2,0 | 540 |
|
||
Total des spécialistes |
3,7 | 610 |
|
||
Total des médecins |
4,0 | 455 |
Les généralistes en chiffres
Nombre de généralistes libéraux : 53 662
Age moyen : 45,6 ans
Taux de féminisation : 22 %
Type d'exercice :
- libéral exclusif : 90,7 %
- libéral et salarié : 4,2 %
- libéral et exercice hospitalier à temps partiel : 5,1 %
Secteur d'exercice :
- Secteur I (honoraires opposables) : 89 %
- Secteur II (honoraires libres) : 10,2 %
- Droit permanent à dépassement : 0,1 %
- Non conventionnés : 0,7 %
Activité annuelle : (généralistes actifs à part entière 1999) :
- 3 677 consultations
- 1 250 visites
- 93 actes en K et KC
- montant annuel des prescriptions en pharmacie : 1 552 044 F
Revenu annuel avant impôts : 338 000 F (1998)
Revenu mensuel avant impôts : 28 000 F 1998)
Durée hebdomadaire de travail déclarée : 56 heures
Evolution de la durée hebdomadaire de travail
(tous médecins confondus) : + 21 minutes par semaine chaque année
Sources : CNAM, ministère de l'Emploi et de la Solidarité.
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