La belle-sur de Tony Blair en personne a décidé de porter plainte contre le Service national de santé anglais (National Health Service, ou NHS), pour mise en danger de sa personne.
Exaspérée par la longueur du délai que lui proposait son médecin généraliste pour un rendez-vous, la jeune femme, qui s'inquiétait du bon déroulement de sa grossesse, s'est rabattue sur l'entraîneur de son centre de remise en forme pour qu'il lui prenne sa tension. Le diagnostic fut sans appel : forte hypertension, et donc risque de prééclampsie pouvant mettre en danger à la fois le bébé et la future maman en l'absence de suivi médical régulier.
Nul doute que cette anecdote, qui, fort heureusement, s'est bien terminée, incitera le Premier ministre britannique à poursuivre sa politique de réforme du système de santé, célèbre pour ses listes d'attente interminables. Dans le secteur public, le seul à permettre un remboursement des actes médicaux (voir encadré), il faut patienter dix jours au minimum pour une consultation de médecine générale, et plusieurs mois pour une hospitalisation programmée. Pour réduire ces délais, Tony Blair a promis au NHS 10 000 médecins supplémentaires d'ici à 2005.
La pénurie est effectivement criante outre-Manche. Avec 1,8 médecin pour 1 000 habitants (il y a en tout 200 148 médecins en exercice), le Royaume-Uni en compte deux fois moins que la France ou l'Allemagne. Une récente étude indique que dans vingt ans, la Grande-Bretagne manquera d'au moins 25 000 médecins si rien n'est fait d'ici là. Les effets de la hausse du numerus clausus n'étant pas attendus avant des années, le gouvernement a décidé de consacrer une partie des ressources du NHS à l'embauche de médecins étrangers.
Ils sont plusieurs dizaines d'origine européenne et nord-américaine à avoir rejoint le NHS depuis un an. Mais ce nombre reste disproportionné par rapport à la pénurie, juge le gouvernement. Et puis certains, ne s'étant pas adaptés, sont repartis. Le NHS vient donc de lancer une nouvelle campagne internationale de recrutement* (une annonce est d'ailleurs parue dans nos colonnes le 16 septembre). Objectif de la manuvre : recruter 200 médecins généralistes (« general practitioners », ou GPs) pour mars 2004, et 350 spécialistes hospitaliers pour mars 2005.
L'annonce concernant les GPs n'est pas passée inaperçue, puisque 85 médecins français ont contacté le NHS pour en savoir plus. Huit d'entre eux ont déjà retourné leur dossier de candidature. Mais il y a encore plus rapide que les Français, puisque le NHS affirme avoir reçu plus de 5 000 appels et 700 dossiers de médecins toutes nationalités confondues.
Il faut dire que l'offre du NHS a de quoi séduire. Les recrues viendront renflouer les effectifs de GPs regroupés en cabinets, là où les besoins sont les plus pressants. Durée des contrats : un an, renouvelable deux fois, puis possibilité d'embauche définitive. Côté rémunération, le salaire annuel des GPs, révisable à la hausse dès le sixième mois, sera compris entre 45 000 livres (68 000 euros) et 50 000 livres (76 000 euros), en fonction de l'expérience (selon le « Times », le salaire moyen d'un GP est de 57 000 livres, soit 87 000 euros). Une donnée « très attractive, qui fera réfléchir plus d'un de mes jeunes confrères », n'hésite pas à dire le président du Syndicat des jeunes médecins généralistes (SNJMG), le Dr Mathias Huitorel. « En France, non seulement on peine à s'installer faute d'aides appropriées, mais en plus, gagner une telle somme au départ est inespéré », poursuit-il .
Dispensés de gardes
et de visites
L'appât du gain et le fait d'avoir une place réservée dans un cabinet de ville suffiront-ils à attirer les jeunes généralistes français? Pas si sûr, répond Olivier Gatholiat, sur le point d'achever son résidanat. « La vie est très chère en Angleterre. Et puis, l'exercice médical est différent ; il faut voir quelles conditions de travail sont proposées. »
Conscient que ce point sera essentiel pour motiver les médecins à faire le déplacement, le NHS a mis le paquet pour leur aménager des conditions de travail satisfaisantes. Ainsi, les GPs, en plus d'être totalement dispensés de gardes et de visites, travailleront entre 9 heures et 17 heures du lundi au vendredi. Point. Des contrats à temps partiel sont même aménageables pour ceux qui veulent faire de la recherche. C'est fort alléchant, reconnaît le Dr Sophie Rachou, fraîchement installée en région parisienne. Pour autant, la jeune généraliste ne « partira pas pour l'Angleterre pour tout l'or du monde ». « J'aime trop mon pays, explique-t-elle. Et puis je n'ai pas fait médecine pour gagner beaucoup d'argent. » Le Dr Rachou craint surtout de ne pas être capable de s'intégrer au pays du rosbif : « Les infirmières espagnoles qui ont été recrutées par le NHS sont nombreuses à retourner chez elles, ce n'est guère encourageant. »
Le National Health Service, qui doit impérativement retenir ses recrues s'il veut efficacement lutter contre son manque d'effectifs, a tiré les conséquences de ses précédents échecs, et a compris l'enjeu d'une intégration réussie au sein du mode de vie britannique. Il met donc tout en uvre pour éviter le mal du pays aux nouveaux venus. Ainsi, dès son arrivée outre-Manche, chaque médecin est invité avec sa famille à suivre une formation rémunérée, censée procurer les clés pour une parfaite adaptation. Au programme, pendant trois mois : une initiation à la vie et à la culture anglaises, avec des explications sur les systèmes éducatif, législatif et fiscal, mais aussi des conseils pour trouver un logement, placer les enfants dans les écoles, recruter une nourrice... Des cours d'anglais seront proposés aux débutants. Un enseignement poussé est également prévu sur les particularités de l'exercice médical en Grande-Bretagne, et sur le fonctionnement du NHS.
Le futur GP apprendra notamment à répartir l'accès aux soins secondaires (visites de spécialistes, examens, admissions à l'hôpital) dans le cadre d'une enveloppe budgétaire annuelle. La moitié de la formation est consacrée à cet entraînement intensif. « Le reste du temps, explique Laura Parienté, une ancienne Médecin sans Frontières sur le point d'achever sa formation au NHS, on est aux côtés de GPs anglais dans leur cabinet de ville, histoire de se familiariser avec le déroulement d'une consultation et le vocabulaire médical ».
Un parrain britannique
A l'issue de la formation, « soit on est content de travailler pour le NHS et on postule pour un poste de salarié, soit on retourne en France », explique la jeune femme qui, pour sa part, semble tentée par l'expérience. L'assistance apportée aux médecins étrangers ne s'arrête pas là, puisque chacun d'eux est ensuite parrainé par un médecin anglais, qui lui apportera aide et soutien le temps nécessaire.
L'association médicale britannique (British Medical Association, ou BMA) explique au « Quotidien » pourquoi il lui semble indispensable de choyer les nouveaux venus : « Depuis son lancement en janvier 2002, cette campagne de recrutement international remporte un succès très mitigé. » Pour ne prendre que l'exemple des Espagnols, parmi la cinquantaine de médecins généralistes à avoir endossé la blouse de GP ces derniers mois, « une dizaine d'entre eux est déjà repartie », regrette la BMA. En cause, selon l'association, l'importance du décalage entre les conditions de travail du NHS et celles des autres systèmes de santé européens. « C'est vrai que tout est différent ici », confirme un Français installé en Angleterre depuis treize ans, qui préfère garder l'anonymat - 249 médecins français se sont installés en Grande-Bretagne entre 1996 et 2000. Ce médecin généraliste, qui exerce à la fois dans le public et dans le privé, s'est forgé une opinion très tranchée sur le NHS. « Le système public britannique est très encadré : on ne peut pas prescrire ce que l'on veut, et on doit tenir un cahier des charges ultraprécis. Question paperasses, c'est pire qu'en France ; le GP y consacre deux à trois heures par jour, ce qui allonge considérablement ses horaires de travail. » Un détail qu'omet de préciser le NHS dans son offre.
Des consultations
de quelques minutes
L'omniprésence du contrôle administratif, la mauvaise qualité des relations avec les patients, la brièveté des consultations... Tout cela constitue un système « pas sympathique », note le médecin, qui doute qu'un Français se satisfasse de travailler exclusivement pour le compte du NHS.
Une opinion partagée par le Dr Claude Geronimus, qui travaille à Londres pour le compte de SOS-Doctors Direct (l'équivalent de SOS-Médecins) depuis trois ans. « Je n'ai pas fait le choix de devenir GP car c'est une médecine très particulière, très éloignée de ce que j'ai connu en France, se justifie-t-il. Les consultations sont rapides, quelques minutes tout au plus. Superficielles aussi, car les examens visuels et tactiles du patient sont très pauvres. Et je n'aime pas qu'on nous contraigne à prescrire les antibiotiques à dose pédiatrique, alors même que l'origine bactérienne de l'infection est prouvée. »
Le tableau n'est tout de même pas si noir, tient à souligner le Dr Richard Filali, GP depuis 1997. Etre GP comporte aussi des avantages. La FMC, par exemple, est obligatoire et payée par le NHS. Et puis l'emploi est garanti. Le Dr Filali a connu de nombreux médecins Français qui sont repartis au bout de deux ou trois ans, faute d'avoir réussi à s'adapter au NHS. Comment est-il parvenu à y trouver son compte? En exerçant une activité mixte, à la fois dans le privé et dans le public. « Comme ça, j'ai le meilleur des deux mondes. Dans le privé, je prescris ce que je veux et je fais durer mes consultations aussi longtemps que nécessaire. Dans le public, j'ai une rentrée d'argent garantie, rien ne m'oblige à courir après le patient. » Avis aux amateurs.
* Le détail des conditions de recrutement sont en ligne sur le site gouvernemental www.doh.gov.uk/international-recruitment/guidancehtml/
Pour plus d'informations, contacter directement le NHS International Recruitment, au 00.44.191.223.5636, ou par mail : nhs.international@tmp.com.
Les tentatives de Blair pour sauver le NHS
Longtemps modèle européen pour sa gratuité et l'universalité de ses soins, le Service national de santé anglais (National Health Service, ou NHS), créé en 1948, est à bout de souffle.
Manque de moyens et de personnel, bureaucratie excessive, qualité des soins médiocre, consultations trop rapides...
Dans le dessein de remettre à flot cet énorme bateau qui paie près d'un million de personnes, Tony Blair a lancé un vaste plan de réforme en juillet 2000, qui promettait notamment de recruter 7 500 spécialistes et 2 000 GP supplémentaires d'ici à 2004.
Une enveloppe de 33 milliards d'euros devait permettre de développer la qualité des soins (quelque 850 000 erreurs sont commises chaque année dans les hôpitaux britanniques), tout en réduisant la charge de travail des généralistes et les délais d'attente pour les interventions chirurgicales (jusqu'à 18 mois pour les opérations orthopédiques et oculaires). Le pari n'ayant pas été tenu, le chancelier de l'Echiquier, Gordon Brown, a annoncé en juin dernier qu'il allait consacrer 60 millions d'euros supplémentaires au NHS en cinq ans. Un budget qui permettra notamment de recruter des médecins étrangers, le problème de la pénurie de médecins étant classé numéro un par le gouvernement.
Autre mesure envisagée pour réduire les listes d'attente : depuis juillet dernier, le NHS a le droit de prendre en charge les soins dispensés aux patients britanniques à l'étranger. Une liste d'établissements européens agréés va être établie après appel d'offres.
La dernière solution pour parer transitoirement au manque de personnel est l'importation, quelques jours durant, d'équipes médicales étrangères spécialisées pour les opérations pour lesquelles l'attente est la plus longue. Cependant, le dispositif n'est pas encore tout à fait au point. La preuve : à la fin de septembre, une équipe de chirurgiens allemands spécialistes de la cataracte s'est retrouvée refoulée à la frontière, après que les autorités britanniques eurent réalisé que les listes d'attente pour l'opération de la cataracte étaient parmi les plus courtes du pays. En fait, « c'est d'ophtalmologistes spécialistes d'opérations complexes que nous avions besoin », a déclaré, un peu piteux, le gouvernement.
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