Par le Pr Michaël Peyromaure*
LA MINISTRE DE LA SANTÉ a récemment annoncé qu’elle souhaitait généraliser le tiers payant. Les patients n’auraient plus à avancer les frais de consultation, et les médecins seraient payés de manière différée par l’assurance-maladie et la complémentaire santé. Cette proposition devrait trouver un écho favorable auprès du grand public. Dans les débats à venir, elle sera présentée comme une mesure « juste », offrant aux plus modestes la garantie de se faire soigner. D’autres arguments ne manqueront pas d’alimenter la propagande. Il a déjà été suggéré que les urgences des hôpitaux s’en trouveraient désengorgées, et que sans argent dans leur cabinet, les médecins seraient moins exposés aux actes de violence !
Au-delà du coût et des difficultés techniques que cette mesure implique, deux questions se posent. Premièrement, le fait d’avoir aujourd’hui à avancer le prix d’une consultation entrave-t-il les soins ? Bien sûr que non. Les enquêtes montrent que les problèmes d’accès aux soins sont surtout liés à la baisse de l’offre, en zone rurale mais aussi dans certaines villes, ainsi qu’au remboursement dérisoire des soins dentaires et des lunettes. Dans notre pays, de nombreux dispositifs existent déjà pour les plus démunis. Faut-il rappeler que cinq millions de personnes bénéficient du tiers payant grâce à la couverture maladie universelle (CMU), et que près d’un million reçoivent une aide à l’acquisition d’une complémentaire santé ? S’il y a un pays au monde où le système est généreux, c’est bien la France. Une « aide médicale d’État » y est même offerte aux étrangers en situation irrégulière. Que certains patients précaires ne puissent pas payer 23 euros pour une consultation, pourquoi pas ? Mais qu’ils ne puissent pas attendre quelques semaines, le temps d’être remboursés par la Sécurité sociale, quelle hypocrisie !
Deuxièmement, quels effets peut-on attendre de cette réforme ? Pour bon nombre de patients, ce serait une formidable aubaine. Ils n’auraient plus à se préoccuper d’argent, la simple présentation d’une carte Vitale devenant suffisante pour voir le médecin. Exactement comme aux urgences hospitalières, qui sont régulièrement embouteillées par des consultations inutiles, soit pour problème mineur, soit par convenance personnelle, accaparant les soignants au détriment des vrais malades. Les statistiques manquent, mais il suffit de travailler à l’hôpital pour saisir l’ampleur de ces abus. Est-il inconvenant de dire que si les patients avaient une idée de la valeur des soins qui leur sont prodigués, ils seraient davantage responsables de leur santé et de celle de leurs concitoyens ?
Une catastrophe.
Pour les médecins en revanche, la réforme est loin d’être une aubaine, c’est une véritable catastrophe. Il ne fait aucun doute que récupérer l’argent auprès des organismes concernés serait un vrai casse-tête. Comme pour les pharmaciens, qui passent la moitié de leur temps en procédures diverses depuis que ce système leur a été imposé. Et surtout, les médecins se retrouveraient directement sous la tutelle de l’État. Qui peut croire qu’à l’usage, la Sécurité sociale ne se réservera pas le droit d’ajuster les rémunérations selon ses propres critères ? Et qui peut garantir que la réforme, initialement destinée aux généralistes du secteur I, ne sera pas ensuite élargie à tous ? Sachant que deux tiers des jeunes praticiens choisissent d’être salariés au lieu de s’installer, la généralisation du tiers payant n’est rien d’autre qu’un pas supplémentaire vers l’extinction de la médecine libérale.
Enfin, quelles seraient les répercussions sur les comptes publics ? Malgré les dénégations de la ministre, le coût pour la Sécurité sociale grimperait inévitablement. Peut-on sérieusement penser qu’avec un système aussi incitatif, il n’y aurait pas d’inflation des actes ? La France fait depuis longtemps partie des plus gros consommateurs de soins médicaux au monde. Nous utilisons, par exemple, 2 à 6 fois plus d’antibiotiques que nos voisins européens. Une analyse de la commission des comptes de la Sécurité sociale a estimé qu’après un léger fléchissement, son déficit global devrait à nouveau se creuser en 2013 pour atteindre plus de 14 milliards d’euros, dont presque 8 pour la branche maladie. Certains objecteront que le tiers payant est déjà en vigueur dans de nombreux pays européens, et qu’il est économiquement viable. C’est vrai, mais ces pays ont une politique de santé publique très encadrée, où les patients sont fléchés, disciplinés, et sans liberté de choix. Ce qui n’est ni possible, ni forcément souhaitable chez nous.
Une fois de plus, le gouvernement apporte une mauvaise solution à un faux problème. La généralisation du tiers payant est infondée, déresponsabilisante pour les usagers, punitive pour les médecins, et dangereuse pour les finances publiques. Son seul intérêt est de flatter les électeurs.
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