C OMME il se doit, la commémoration de cet événement « historique » que fut l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a donné lieu à quelques envolées lyriques d'où le ridicule n'était pas entièrement absent. On a noté néanmoins que le rassemblement populaire, le soir du 10 mai 2001, sur la place de la Bastille à Paris, manquait un peu de chaleur. Juste mesure d'un anniversaire.
Car comment ne pas voir que la gauche n'a pas exaucé beaucoup des espoirs qu'elle avait soulevés ? Ce n'est pas entièrement sa faute : le « peuple de gauche » attendait d'elle des solutions miracles, la fin du chômage, le partage équitable de la richesse nationale, la justice sociale, et des réformes qu'elle n'aurait pas engagées sans ruiner le pays. C'est le travers bien connu de la démocratie : on promet la Lune en campagne électorale quand l'exercice du pouvoir n'est que l'art du possible.
La compassion ne tient pas lieu de politique économique
Les gouvernements de François Mitterrand ont probablement donné plus à ses électeurs que ne leur aurait offert un pouvoir de droite. Mais pendant les vingt-cinq dernières années du siècle dernier, personne, ni les socialistes ni les gouvernements de cohabitation dirigés par Jacques Chirac puis par Edouard Balladur, n'ont réussi à juguler le chômage, fléau contre lequel Mitterrand lui-même reconnaissait son impuissance et dont il admettait qu'il constituait son plus grand échec. La compassion pour les démunis, les exclus ou les moins prospères ne tient pas lieu de politique économique.
Les socialistes s'enorgueillissent aujourd'hui d'avoir créé le RMI, d'avoir augmenté le SMIC, d'avoir inventé la CMU, d'avoir imposé l'impôt de solidarité sur la fortune (belle source de revenu pour l'Etat aujourd'hui) et la semaine de 35 heures, bref, d'avoir mis en place tout un train de réformes historiques. C'est indéniable, de même qu'il est vrai que la France est parvenue à digérer cet énorme surcroît de dépenses sans avoir perdu son dynamisme économique.
Mais on ne saura jamais si la droite n'aurait pas un certain nombre de ces réformes et si une approche des problèmes sociaux axée sur des stimulants à la croissance n'aurait pas davantage profité aux classes populaires.
Retenons quand même que les gouvernements socialistes ont largement ouvert le parapluie social et ont, de cette manière, humanisé une crise longue et dévastatrice dont les lampistes ont payé le prix le plus élevé.
L'« ennemi » intérieur
Mais, pour reprendre un slogan américain de campagne, si les Français se sentent mieux aujourd'hui qu'il y a vingt ans, le doivent-ils exclusivement à la gauche ? Ne le doivent-ils pas principalement à leurs propres efforts ? La question mérite d'être posée, ne serait-ce que pour une raison, qui nous semble essentielle : à répéter à l'envi et en toute occasion que la gauche s'occupe des gens quand la droite ne s'intéresse qu'aux puissants, on accrédite chaque jour un peu plus l'idée que l'ennemi de la république est à l'intérieur du territoire plutôt qu'à l'étranger. C'est un concept désastreux qui perpétue un clivage idéologique dépassé et qui empêche la classe politique de raisonner objectivement. Nous sommes encore dans un pays où la majorité n'a rien à dire de positif sur l'opposition et où l'opposition ne sait que dénoncer les erreurs de la majorité.
Beaucoup de Français ignorent donc leur propre liberté, celle que prodiguent les institutions. Ils ne savent pas toujours qu'ils peuvent être de gauche et approuver certaines idées de la droite, ou de droite et rejoindre certaines actions de la gauche. Un exemple du franchissement de la frontière nous a été offert récemment quand des députés de l'UDF ont voté l'inversion du calendrier électoral contre l'avis du président Chirac et en accord avec le Premier ministre. A la limite, on oublie le débat sur la pertinence de la mesure pour mieux se féliciter de ce qu'une passerelle ait été posée au-dessus du fossé droite-gauche.
Et ce n'est pas facile de se conduire librement. Les journalistes en savent quelque chose qui, dès lors qu'ils approuvent l'une ou l'autre des deux parties, sont agressés (verbalement) par les deux. Comme si même le commentaire de presse devait être classé dans l'un ou l'autre des deux pôles qui régissent implacablement nos consciences. Pourtant, quelle leçon tirons-nous de l'expérience ? Nous avons appris que des socialistes peuvent être impurs et se compromettre dans de sombres affaires qui ne sont donc pas seulement un travers de la droite ; qu'il y a beaucoup à dire sur ce président défunt, installé à l'Elysée pendant quatorze ans et qui a contribué personnellement à d'intolérables dérives du pouvoir, depuis les écoutes téléphoniques jusqu'à l'affaire Urba, en passant par des révélations inquiétantes sur son passé, et d'une façon générale, par un exercice monarchique du pouvoir présidentiel. Dans ces conditions, qu'est-ce qu'il a fêté, la semaine dernière, le « peuple de gauche » sinon une dure prise de conscience : l'alternance n'apportait pas toutes les vertus dans son cortège, pas plus qu'elle n'a mis fin aux dévoiements de la république. Socialisme n'égale pas plein emploi, intégrité, justice. Gaullisme n'égale pas malhonnêteté ou accablement des pauvres.
Aucun parti politique ne ferait campagne contre les exclus ou les démunis parce que le système est ainsi fait qu'il a besoin de leurs votes. Et si on peut discuter la sincérité de la droite, la gauche au pouvoir a démontré qu'on peut se poser des questions sur ce qui sépare ses intentions affichées de la réalité de ses actes.
Une dérive du pouvoir
Sans doute existe-il une dérive inhérente à l'exercice de ce pouvoir qui corrompt et qui corrompt énormément quand il est indiscuté. Et c'est pourquoi une dialectique naturelle s'instaure entre ceux qui le détiennent et ceux qui les observent. A la notion de peuple de gauche, on préfèrera celle de peuple tout court ; à l'opposition droite-gauche, on préfèrera celle des gouvernants et des gouvernés. Et à tous ceux qui raisonnent en fonction de leurs convictions idéologiques, on préfèrera ceux qui n'ont pas d'idée préconçue, recherchent la synthèse, font l'éloge de ce qui est bon et dénoncent ce qui est mauvais, sans trop se préoccuper de savoir quel parti occupe le pouvoir. C'est un signe : lorsqu'on tente de rester objectif, on dérange toujours. Et si l'on suscite un commentaire désagréable, c'est qu'on a mis dans le mille.
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