LE QUOTIDIEN – Quelle est l'addiction sans substance la plus fréquente rencontrée chez ceux qui consultent votre service à l'hôpital Bichat ?
Pr MICHEL LEJOYEUX – Incontestablement, les achats compulsifs, devant les jeux d'argent, dits pathologiques, et l'usage effréné d'Internet chez les adolescents. De nombreuses conduites se conjuguent sur le mode de l'addiction. Le rapport au portable en donne une illustration. Pour autant, une addiction anxieuse à l'information et l'héroïnomanie ne produisent pas les mêmes effets. L'acheteur compulsif, par exemple – qui n'est ni un dépensier, ni un collectionneur à la recherche de plaisir –, incapable de contrôler ses besoins, acquiert des objets inutiles dont il n'a qu'une envie, se débarrasser.
Qu'attend-il de vous ?
Je lui demande de tenir un carnet de son comportement, en repérant les pensées et les émotions qu'il déclenche : «Suis-je triste ou en colère quand je vais faire les courses?» Parallèlement, je l'invite à mettre en oeuvre une stratégie de résistance à l'envie irrépressible d'acheter. Le modèle de la vague, valable quelle que soit la dépendance, aide à comprendre que tout désir d'addiction augmente et finit par retomber en deux heures et peut permettre de résister.
Dans votre dernier ouvrage, « Du plaisir à la dépendance », vous évoquez aussi l'addiction aux soins médicaux. Qu'en est-il exactement ?
L'hypocondrie, bien sûr, est un des facteurs déterminants dans cette addiction. La personne a peur pour sa santé. Elle a besoin de manière incoercible de soins médicaux. Il y a aussi les cybercondriaques, ou consommateurs impérieux de sites de soins sur Internet.
La relation médecin-malade ne s'en trouve-t-elle pas faussée ?
Oui. Je le ressens dans mon exercice, mais je m'emploie à faire revivre le colloque singulier. Le médecin n'est plus face à un patient demandeur d'un avis diagnostique ou thérapeutique. Il est confronté à une personne ayant constitué un dossier sur une maladie et ses nouveaux traitements, dont il réclame une évaluation. C'est à un expert qu'il s'adresse. Il attend une validation. Un tel comportement révèle une relation addictive aux soins et aux médicaments pêchés sur le Net. Concomitamment, le cybercondriaque manifeste une certaine anxiété par rapport à l'information collectée : «Est-ce que j'ai raté la dernière nouvelle importante pour la santé?», s'interroge-t-il en permanence.
Que conseillez-vous à vos confrères dans de pareilles situations ?
Le meilleur des antidotes à l'addiction virtuelle, c'est un vrai médecin qui examine, qui vaccine, qui demande les résultats d'une prise de sang. Plutôt que d'entrer dans une compétition, mieux vaut s'installer dans la réalité. Je rappellerai, en outre, que la notion de santé et de maladie renvoie à une personne. On n'est pas mal portant en fonction d'une échelle à laquelle on se mesure sur Internet. Seul un praticien qui fait du sur-mesure peut apprécier l'état de bien-être d'un enfant, d'une femme ou d'un homme.
La lutte contre le virtuel nous porte, en fait, au coeur de la médecine, qui n'est autre qu'une relation entre le praticien et son patient. Le colloque singulier n'est pas mort. Il est même légitimé par tous ces vagabondages sur Internet.
Le Pr Lejoyeux
Le Pr Michel Lejoyeux est chef du service de psychiatrie et d'addictologie à l'hôpital Bichat (Paris-VII). Secrétaire général de la Société française d'alcoologie et rédacteur en chef de la revue « Alcoologie et addictologie », il a publié tout récemment « Du plaisir à la dépendance » (Editions La Martinière, « le Quotidien » du 24 septembre).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature