Hommes de l'art
On doit à Claude Galien la description d'un certain nombre de structures nerveuses et du parcours de l'influx nerveux à partir de l'encéphale, des fonctions des artères, du système lymphatique, une utilisation de la pharmacologie (il nous a légué le mot galénique), la description anatomique d'une veine (La grande Veine Cérébrale de Galien). On lui doit aussi une théorie circulatoire erronée qui a prévalu pendant quinze siècles d'immobilité médicale. Médecin contesté, il n'en reste pas moins qu'il partage avec Hippocrate la vedette du monde médical de l'Antiquité.
Né vers 131 à Pergame (alors en Asie Mineure, maintenant Bergame en Turquie), Claude Galien était le fils d'un riche architecte, Nicon. Il commence à 15 ans des études de philosophie. Mais son père a un jour un songe étrange où il voit son fils devenir un médecin célèbre et décide alors de l'orienter vers la médecine. A 20 ans, Claude entreprend un voyage d'études à l'étranger qui dure neuf ans, le conduit à Tyr, à Smyrne, à Corinthe, puis à Alexandrie. Il reçoit des leçons de médecins illustres, comme Hérophile et Erasistrate.
Gladiateurs et empereurs
A 29 ans, Galien rentre à Pergame et devient le médecin de l'école des gladiateurs. Ce qui lui donne des sujets d'étude tout désignés, qui lui permettent de perfectionner ses connaissances en chirurgie.
Mais l'homme est ambitieux. Il décide bientôt de tourner une page de son histoire pour tenter sa chance à Rome. Où il réussit brillamment, puisqu'il est engagé comme médecin personnel de l'empereur Marc-Aurèle et de ses fils, Commodus et Sextus. Il passe une grande partie de son existence à Rome où il exerce son art auprès de l'empereur-philosophe et de la plus riche clientèle. Il aura été le médecin de trois empereurs, Commodus et Septimus Severus, après Marc-Aurèle.
A une époque où les connaissances médicales n'avancent pas, Galien doit son succès autant à l'ampleur de son travail qu'à sa personnalité. Il acquiert rapidement une réputation méritée. On admire son sens du diagnostic, ses connaissances en anatomie, l'utilisation qu'il fait de la thériaque pour guérir des intoxications ou des attaques venimeuses. Le célèbre antidote utilisé par Mithridate ne comportait pas moins de 74 ingrédients, dont le principal était la chair de la vipère, ainsi que des opiacés.
Il utilise le mot thalamus (signifiant chambre) et donne la description globale du système nerveux (encéphale, moelle épinière, nerfs). Travailleur acharné, il s'intéresse à tout. Autant à la médecine qu'à la philosophie, l'hygiène, la pharmacologie.
Descriptions anatomiques
Considérant l'anatomie comme la base fondamentale de la médecine, il ouvre un cours public à Rome, dans le temple de la Paix où se pressent les hauts personnages de la cour. Devant cet auditoire, il pratique la dissection sur les animaux vivants (singes, chiens, porcs et même un éléphant). La dissection humaine n'était alors pas autorisée. Il décrit avec justesse le parcours de l'influx nerveux à partir du cerveau et l'effet des nerfs sur le mouvement musculaire. Il montre que le cerveau contrôle la voix, par des expériences de ligature du nerf récurrent chez les animaux vivants. Il donne une description des valvules du cur, note les différences de qualité entre les sangs artériels et veineux et montre que les artères charrient du sang, ce qui était nouveau à une époque où l'on pensait qu'elles transportaient de l'air.
Pour ses travaux en physiologie, Claude Galien s'est fondé sur les théories péripatéticiennes d'Aristote. Il a attribué les phénomènes physiologiques à des forces occultes agissant par des agents nommés esprits ou pneuma, émanation du divin. Il existe trois sortes d'esprits : les esprits naturels qui se forment dans le foie, les esprits vitaux qui se forment dans le cur et les artères et les esprits animaux formés dans le cerveau. Ils correspondent à trois sortes de fonctions respectives : naturelles (la nutrition), vitales (les pulsations cardiaques, les passions) et animales (l'intelligence et les sensations).
Ce schéma physiologique demeurera au cur de toute la médecine médiévale, aussi bien musulmane qu'occidentale.
Contre-vérités
Mais Galien énumère aussi un certain nombre de contre-vérités, qui feront malheureusement autorité pendant une quinzaine de siècles, jusqu'à la renaissance, tant son prestige était grand. « Ses nombreuses erreurs ne le condamnent pas, Galien l'emporte par sa personne et non par sa science », notent Philippe Meyer et Patrick Triadou dans leurs « Leçons d'histoire de la pensée médicale ». Il se trompe sur les rôles respectifs du cur et du foie, attribuant au premier le rôle de transporteur du sang artériel et au second celui de transporteur du sang veineux. Il a formulé une théorie erronée sur la circulation (dans « De usu partibum »).
Il individualise un système hépatocentrique entièrement veineux et fluctuant au gré des repas. La cloison interventriculaire était conçue comme perméable. Dans le cur, le sang et l'air se mélangeaient et non dans les poumons. Dans le foie, le sang veineux qui provient des aliments subit une « coction » (cuisson) qui le transforme en sang veineux. La coction survient également dans la moitié gauche du cur, siège de la chaleur innée. Le sang est consommé au niveau pulmonaire.
A côté de cela, son mépris affiché pour la chirurgie contribuera à reléguer cette discipline au rang d'art mineur jusqu'aux travaux d'Ambroise Paré au XVIe siècle.
Galien compte un certain nombre d'adversaires, tant sa passion de briller et son absence de modestie sont marquantes. Une hostilité croissante le pousse à quitter pendant quelques temps Rome, où il revient finalement. Son départ coïncide avec une épidémie de peste dans la ville, ce que ne manqueront pas de souligner ses détracteurs en l'accusant de lâcheté. Il reprend son enseignement et ses écrits jusqu'à sa mort en 201, à Rome ou en Sicile selon les sources.
Galien a réalisé une uvre considérable, composée de près de 500 traités sur la médecine, la philosophie et l'éthique. Beaucoup sont perdus, malheureusement détruits lors de l'incendie du temple de la Paix en 192. Un certain nombre sont parvenus jusqu'à nous grâce aux traductions des érudits arabes au cours du Moyen-Age.
La contribution de Galien au développement de la médecine est mineure, pour beaucoup d'historiens. Il s'est posé lui-même comme le successeur et le continuateur de l'uvre d'Hippocrate. Mais on reproche à Claude Galien ses erreurs et sa fâcheuse tendance à subordonner les résultats de ses observations à son finalisme préconçu.
Les contributions philosophiques
Galien fut également admiré par ses contemporains pour son travail en philosophie. Dans son traité « De l'utilisation des parties du corps humain » ( De usium partium corporis humani, 17 livres), il suit l'approche d'Aristote selon laquelle rien n'est inutile dans la nature.
La principale contribution de Galien à la philosophie est de mettre en forme le concept selon lequel les objectifs de Dieu sont explicables par la nature. Au moment où le monothéisme s'impose ou est sur le point de s'imposer sur toutes les rives de la Méditerranée, il est un des premiers lettrés influents à soutenir avec force le concept d'un Dieu unique, créateur du corps humain. Ce qui se rapproche des idées de l'Église, qui soutient l'autorité de Galien. Son ébauche monothéiste permet de comprendre l'influence de Galien, à son époque et après son époque. On la trouve ensuite presque constamment auprès du corps médical jusqu'au XIVe siècle, en dépit des descriptions et théories erronées qu'il a énoncées.
La théorie hippocratique des humeurs
Galien considère que les principales causes des maladies résident dans la pléthore, ou excès des humeurs, et dans la cacochymie, ou altération des humeurs. La première est combattue par la saignée et la deuxième par les purgatifs. Il affine le propos en adoptant la théorie hippocratique des humeurs. Cette théorie repose sur les quatre éléments (eau, air, terre, feu) qui, combinées aux quatre qualités physiques (chaud, froid, sec et humide), influent sur les humeurs (le sang, la bile, la pituite et l'atrabile). A cela s'ajoutent les quatre tempéraments qui font classer les humains en sanguins (chaleureux et aimables), flegmatiques (lents et apathiques), mélancoliques (tristes et déprimés) et colériques (emportés et prompts à réagir).
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