Il y aurait encore une foule de choses à dire sur la façon dont les Anglo-Américains ont gagné la guerre contre l'Irak, sur le triomphe stratégique du détesté Donald Rumsfeld ; sur les méthodes qu'il a employées avec un tiers des effectifs utilisés pour libérer le Koweit ; sur l'usage d'armes d'une extrême précision ; sur la présence en territoire irakien, plusieurs semaines avant le début des hostilités, des forces spéciales ; sur les contacts pris avec les généraux irakiens pour qu'ils désertent, par conviction ou par vénalité.
Mais comme la victoire est insupportable pour ceux qui ont prévu la défaite, on est déjà au-delà du fait d'armes et on se concentre sur les dangers politiques : cette formidable marée de chiites à Kerbala qui semble présager une prise de pouvoir par des pro-Iraniens ; l'incapacité provisoire des Américains à rétablir l'électricité, l'eau et les services publics ; le discours changeant des Irakiens rencontrés dans la rue et dont l'antisaddamisme se mêle à l'antiaméricanisme ; le chaos institutionnel laissé par la bataille.
Un peu de patience
On est bien pressé. On l'est principalement parce qu'on a réprouvé avec force le projet de George W. Bush. Bien entendu, il a toutes les chances d'échouer, et même lamentablement. Mais sa victoire militaire, prompte et sans appel, devrait nous inciter à poser une question plus large : si M. Bush n'est pas nul comme stratège, l'est-il sûrement en géopolitique ?
On trouvera un début de réponse dans les tentatives internationales pour limiter son action politique au nom de la nécessaire impartialité des décisions. Par exemple, M. Bush a demandé la levée de l'embargo, mais l'ONU rechigne en s'appuyant, une fois encore sur la sacro-sainte légalité : les résolutions qui ont imposé l'embargo à l'Irak ne peuvent être défaites que par un nouveau vote du Conseil de sécurité. Bien entendu, la France, qui ne cesse de dénoncer l'embargo depuis une bonne dizaine d'années, soutient la position du secrétaire général, Kofi Annan, sur ce point. Il demeure que l'embargo était conçu pour affaiblir Saddam. Le prolonger, ne fût-ce que de quelques jours, c'est affaiblir un peuple qui manque de tout. Bravo pour le souci humanitaire. Et tant pis si on accule une fois encore les Etats-Unis à se passer de l'avis de l'ONU.
De la même manière, toute action politique qui tente d'ignorer le fait créé par l'invasion de l'Irak sera nulle et non avenue. On a fait un tapage énorme autour des fameux contrats déjà accordés par l'administration américaine à des firmes américaines. Si, au lieu de s'indigner, on commençait par s'informer, on saurait que ces contrats sont financés par USAID, l'organisme d'aide à l'étranger, entièrement abondé par le contribuable américain. Que la préférence soit accordée à des firmes privées américaines ne nous semble donc pas scandaleux.
Autre exemple : quoi qu'en disent nos dirigeants, la France n'est pas pour rien dans l'échec diplomatique des Etats-Unis aux Nations unies. A l'ONU qui, selon la France, n'aurait pas donné de caution légale à la guerre (quoique la résolution 1441 ait été interprétée, à tort ou à raison, par les Etats-Unis, comme un feu vert à l'agression) on voudrait donner un rôle dans l'immédiat après-guerre. Autrement dit, on voudrait apporter à la reconstruction une caution morale et internationale après avoir refusé la même caution pour la guerre.
S'il faut six mois...
Mais acceptons le paradoxe : l'ONU, pour autant, est-elle prête à envoyer deux cents mille hommes pour assurer l'ordre en Irak ? Et dans combien de temps ? S'il faut six mois à l'ONU pour conduire à bien cette tâche monumentale, ce n'est pas la peine : dans six mois, les Irakiens se seront donné un gouvernement et des institutions.
Ou bien, ils n'y parviendront pas. Il est vrai que les Irakiens sont divisés entre chiites, sunnites et Kurdes ; aussi bien la coalition propose-t-elle un Etat fédéral composé des représentants des trois ethnies. Les craintes viennent de deux tentations : celle des Kurdes de créer un Kurdistan, celle des chiites de proclamer dans le sud une république islamiste, et ils ne s'en cachent pas, eux qui, à peine rendus à la liberté de leur culte par la coalition, l'accablent d'insultes.
On retient quand même que l'Iran s'est montré extrêmement prudent pendant la guerre en Irak, qu'il ne voyait pas d'un mauvais œil ; qu'il a ses propres problèmes internes et qu'au moment où il est tenté d'étendre son influence, son pouvoir est très vivement contesté par le peuple iranien ; qu'il ne se lancera pas dans une aventure qui risque de le placer dans une confrontation directe avec les Américains.
Il n'est d'ailleurs pas indifférent que les Syriens, après avoir tempêté contre les menaces américaines, se sont hâtés de fermer la frontière syro-irakienne et qu'ils ne laissent plus passer les fugitifs du régime saddamite. Au sud du Liban, le Hezbollah, qui rêve d'en découdre avec Israël, se tient à carreau, parce que Damas a préféré calmer le jeu. Comme quoi, un langage ferme tenu aux dictatures est parfois souhaitable. Ne peut-on pas au moins admettre que la présence militaire des Anglo-Américains en Irak a quelque peu atténué les fanatismes alentour ? Et, en définitive, cette présence est-elle négative ?
L'eau, l'électricité
Regardons à un mois d'ici : quand l'eau et l'électricité auront été rétablis dans les grandes villes, quand les Irakiens se seront remis au travail (et d'autant plus vite qu'il n'y a pas eu de déplacement notable de populations en dépit de toutes les prévisions alarmistes), quand la police irakienne assurera l'ordre dans les rues, quand les revenus du pétrole irakien financeront la reconstruction, un coup de force chiite ou kurde sera-t-il aussi inéluctable qu'il apparaît aujourd'hui ? Pour le moment, on ne voit pas qui est mieux placé que les Américains pour s'assurer que les revenus de l'Irak soient équitablement partagés, pour qu'un minimum de justice politique et sociale soit instauré, pour que ce pays échappe enfin à ses démons. Encore faudrait-il que l'Europe et l'ONU cessent d'agir sous l'empire de leur rancœur. Certes, le fanatisme est la chose la mieux partagée dans cette région du monde ; mais la seule façon de lutter contre l'extrémisme, c'est de prouver aux Irakiens qu'ils peuvent avoir une meilleure vie quotidienne.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature