ILS EN ONT FAIT, du chemin, les milliers de médecins dits « à diplôme étranger » qui, au milieu des années 1990, exerçaient dans les hôpitaux français avec des sous-statuts. Au départ faisant fonction d’internes, assistants associés..., contraints d’enchaîner les gardes pour avoir en fin de mois un salaire décent, ils sont aujourd’hui, pour une majorité d’entre eux, intégrés dans le système de soins français. A l’hôpital – autour de 5 000 seraient PH –, certains sont chefs de service, présidents de CME ; d’autres – un petit millier – ont ouvert leur cabinet en ville. Pour l’anecdote, l’un d’eux sera même sans doute candidat aux prochaines élections législatives.
La Fédération des praticiens de santé (FPS, ex-Snpac, qui organise demain son dixième congrès à Paris) estime que, au total, quelque 10 000 médecins à diplôme étranger ont été régularisés depuis que, en 1995, Simone Veil leur a officiellement ouvert la porte des hôpitaux en inventant le statut de PAC (praticien adjoint contractuel). Les lois se sont enchaînées qui ont permis aux diplômes étrangers de se dépouiller peu à peu de leurs habits précaires (la loi CMU, en juillet 1999, la loi de modernisation sociale, en janvier 2002) mais qui ont aussi ouvert des failles. Depuis dix ans, en effet, l’intégration des médecins diplômés hors de l’Union fait figure de tonneau des Danaïdes puisque, si l’on régularise chaque fois ( via des concours ou des examens) le stock des praticiens en poste, on ne parvient pas à fermer les vannes. Les « nouveaux arrivants », embauchés parfois illégalement par les hôpitaux, reconstituent un contingent de médecins précaires aux compétences non vérifiées. Aujourd’hui, il y aurait en France 5 500 candidats à la régularisation (quelque 3 000 FFI, 2 000 attachés associés et 500 assistants associés).
Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, aimerait bien régler le dossier une fois pour toutes. Il a introduit pour cela un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (Plfss), actuellement soumis aux parlementaires (« le Quotidien » du 27 octobre). Un projet dont, pour imparfait qu’il lui paraisse, la FPS souhaite l’aboutissement de toute urgence (voir ci-dessous le point de vue de son président), mais qui inquiète l’Inpadhue (Intersyndicale nationale des praticiens à diplôme hors Union européenne). Appuyée par la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), cette organisation juge que le projet de Xavier Bertrand ne va pas assez loin (« le Quotidien » du 15 novembre). Son président, le Dr Talal Annani, y relève des «incohérences» et craint qu’à terme «les portes se ferment pour 3000médecins», pour des motifs administratifs et non de compétences.
L’histoire n’est pas close. En attendant le mot fin, trois de ses protagonistes, aux destins plus ou moins heureux, témoignent de ses premiers chapitres.
Entre les mailles
Le Dr Kokuvi Ayeto, 42 ans, est malchanceux. Il est de ceux que leur parcours, les dates de leur arrivée en France, de leur prise de fonction... font chaque fois passer entre les mailles du filet administratif tricoté par les pouvoirs publics pour régulariser les médecins à diplôme étranger. Il est arrivé du Togo en 1997. Pour étudier la psychiatrie, spécialité qui n’existe tout simplement pas dans son pays d’origine. «Je voulais faire de la criminalistique», précise-t-il. Au début, il a enchaîné les stages dans de grands hôpitaux de la région parisienne, souvent ballotté d’un établissement à un autre, puis il a fait office d’interne (FFI) à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard (Seine-Saint-Denis).
Depuis 2000, il est assistant associé à l’hôpital d’Orsay, dans l’Essonne, où il travaille aux urgences psychiatriques. L’an dernier, il a tenté la nouvelle procédure d’autorisation (NPA). Et raté. Il faut dire que, dans sa discipline, l’examen n’offrait que 15 places... Dès que les nouvelles conditions de la NPA, rebaptisée PAE (procédure d’autorisation d’exercice), seront arrêtées, le Dr Ayeto tentera de nouveau sa chance, en théorie la dernière. S’il échoue, il ne pourra plus exercer la médecine en France.
La baraka d’un chef de service
A l’hôpital de Verdun, dans la Meuse, ses consultations sont «bondées jusqu’en mars». Frais émoulu chef de son service de chirurgie, le Dr Jérôme-Nodim Mourtada a la baraka. Ça n’a pas toujours été le cas. Car, selon ses propres termes, le Dr Mourtada a longtemps été «gardiologue». Le parcours du combattant du médecin à diplôme étranger, il connaît : arrivé de Syrie en 1986 pour «faire (sa) spécialité en France», il a été FFI dans plusieurs hôpitaux de la région parisienne, PAC à Evreux. Devenu PH, il serait bien resté en Normandie mais son poste n’a pas été transformé.
En 2000, direction Verdun, donc, où les trois PH qui font tourner la chirurgie sont des médecins à diplôme étranger. Si Jérôme-Nodim Mourtada est devenu chef de service, c’est parce que l’hôpital «n’a pas eu le choix», il le reconnaît bien volontiers. «Ils auraient bien recruté un blond aux yeux bleus, ironise-t-il, mais ils n’en ont pas trouvé.»
Quel regard le Dr Mourtada porte-t-il sur ses vingt ans d’exercice en France ? «J’ai perdu énormément de temps. Et cela va se refléter sur ma retraite! Toujours des concours, des concours, et encore des examens! Jusqu’où, mais jusqu’où?, me suis-je demandé.Aujourd’hui, j’essaie d’oublier toutes ces tensions, mais elles sont gravées dans ma mémoire.»
« Un médecin comme un autre », libéral par hasard
Le Dr Ayoub Mdhafar est anesthésiste libéral et travaille dans un hôpital privé de Marseille, «payé, précise-t-il, au cas opératoire». Un statut endossé un peu par défaut car il est aussi PH, depuis 2000, mais n’a pas trouvé de poste correspondant. A 50 ans, en France depuis 1986, le Dr Ayoub a connu lui aussi les chemins de traverse. Arrivé d’Algérie – où ce Tunisien a fait ses études de médecine – pour suivre un DIS d’anesthésie, il a même mangé de la vache enragée. «La première année, se souvient-il, je n’étais pas payé. Aucun salaire. Je n’avais que les gardes (150F à l’époque).» Les années de formation du Dr Mdhafar l’ont fait goûter à tout – il a travaillé en maternité, en Samu, en pédiatrie, en cardio-chirurgie... à Cochin, à Villeneuve-Saint-Georges, à Port-Royal, à Robert-Debré, à la Pitié... En 1995, il tente l’examen du PAC et le rate (il le réussira l’année suivante).
C’est son souvenir le plus cuisant : «J’ai eu une note éliminatoire, sur une question simple, d’ordre général, de pratique quotidienne. Je l’ai pris très mal. C’était mon échec, personnel.»
Depuis, il s’est plus que rattrapé et se sent aujourd’hui «un médecin comme un autre», sur le diplôme duquel «personne n’a plus de doute».
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