De notre envoyé spécial à Annecy et à Genève
Au dernier étage de la cité administrative d'Annecy, le siège de la Direction départementale de l'action sanitaire et sociale de Haute-Savoie ; face à face dans l'étroit bureau, les Drs Geneviève Dennetière et Jean-Pierre Perfus. Elle est médecin-inspecteur de la DDASS, lui est directeur du SAMU 74. A elle, incombe la veille sanitaire et l'organisation hospitalière, à lui, l'urgence médicale. Ces deux-là ne se quittent quasiment plus depuis cinq mois, tant les réunions succèdent sans désemparer aux briefings. « On en est à quatre-vingt, totalise Jean-Pierre Perfus. Et pas une qui ne soit indispensable. Aujourd'hui, l'ordre du jour, c'est l'actualisation du plan blanc départemental. »
L'aventure du G8 côté médical a commencé en décembre. Avec, dans tous les esprits, quelques précédents cuisants : le sommet européen de Göteborg, en juin 2001, et ses trois blessés par balles et, surtout, le G8 de Gènes, le mois suivant, qui avait fait un mort et une soixantaine de blessés dont deux graves.
« A Nice, pour le sommet européen de décembre 2000, nous avions déploré vingt-cinq blessés légers, se souvient le Dr Christian Favier, directeur du SAMU des Alpes-Maritimes, principalement des suites de tirs de grenades lacrymogènes, les chefs d'Etat en avaient eux-mêmes respiré quelques effluves, des suites d'un vent rabattant. »
Le plan mis en uvre pour Evian et Annemasse 2003 s'inspire largement de celui de Nice 2000. Avec cette différence majeure : entre-temps sont intervenus l'attentat du 11 septembre, la deuxième guerre d'Irak et la relance des attentats terroristes. La pression est à son comble.
Un dispositif sans précédent
D'où le dispositif de sécurité sans précédent que dirige le préfet de Haute-Savoie, Jean-François Carenco. Il comprend plusieurs périmètres, à Evian, dans sa périphérie, ainsi qu'à Annemasse.
« Dans tous les cas, explique le Dr Perfus, notre cahier des charges comprend trois priorités : assurer la continuité des soins pour la population, ce qui ne va pas de soi, compte tenu des restrictions innombrables à la circulation, garantir la sécurité sanitaire des chefs d'Etat, de leurs délégation et des journalistes ; enfin, assurer celle des manifestants altermondialistes. » Trois « clientèles » qui doivent faire l'objet de la même attention médicale, le but étant « que les huit chefs d'Etat puissent bénéficier de la même qualité de soins que tous les habitants du Chablais », selon le mot d'un médecin mi-sérieux, mi-goguenard.
Pour les chefs d'Etat (Etats-Unis, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Grande-Bretagne et Russie), les dirigeants des instances internationales (ONU, FMI, Banque Mondiale et OMC), leurs invités (présidents égyptien, algérien, nigérien, sénégalais, mexicain, chinois, suisse, etc...), les quelques cinq mille membres, en tout, des délégations et les trois mille journalistes, trois zones ont été tracées : zone zéro, les hôtels Royal et Ermitage, où résideront les chefs d'Etat : accès interdit ; zone 1, Evian et sa conurbation, soit une population de 13 000 habitants, tous badgés : accès filtrés ; zone 3, le plateau du Gavot et l'agglomération de Thonon, soit 150 000 personnes : accès autorisé mais fouille systématique des véhicules.
« Nous avons mis en place une protection sanitaire, raconte le Dr Dennetière, qui comprend un contrôle permanent de l'eau (risques légionnelles notamment) et de l'air ; il s'agit de prévenir tout risque épidémique. En ce qui concerne les hôpitaux, ceux de Lausanne et de Genève sont en alerte pour les chefs d'Etat ; les plans blancs de tous ceux que compte la région ont été revus en détail et pré-activés (établissements d'Evian, Thonon, Annemasse, Bonneville, Annecy et Saint-Julien). Avant de parler de prise en charge des urgences, il s'agit de veiller à la médecine quotidienne et à la permanence des soins. Le préfet a demandé le doublement des effectifs de garde en ville, ce qui a pu être obtenu sans réquisition. »
Toutes les interventions chirurgicales qui avaient été programmées pendant la période du sommet ont été reportées, de manière à laisser libres le maximum des 850 lits de la zone. Certains services ont été renforcés : un médecin et une infirmière supplémentaires aux urgences de Thonon, réouverture des urgences de nuit d'Evian, doublement des chirurgiens orthopédistes et viscéraux en astreinte, renforcement des services psychiatriques.
Pour les SAMU, le Dr Perfus a prévu dix équipes de SMUR en plus des quatre qui fonctionnent en temps normal, grâce aux SAMU de Montluçon, Besançon, Dijon, Saint-Etienne, Marseille, Montpellier, Verdun, Paris et Clermont-Ferrand, appelés à la rescousse. Les sapeurs-pompiers de Haute-Savoie ont eux-même demandé le renfort opérationnel de onze départements ; « Nous serons au total 105 médecins-pompiers mobilisés, à 80 % des volontaires », précise le médecin-chef Olivier Baptiste.
Et chacun de se féliciter de la bonne entente entre bleus et rouges, les premiers assurant le commandement pour les personnes et les seconds pour le matériel. Le centre 15, commun aux pompiers et aux SAMU, est cité depuis des années comme un modèle du genre.
Les malades chroniques n'ont pas été oubliés (les dialysés en traitement à Evian, seront badgés), ni les femmes enceinte proches du terme, également badgées et auxquelles les maternités d'Evian et Thonon conseillent de se faire hospitaliser avant le bouclage des zones.
« Tous les détails quotidiens et tous les scénarios du pire ont été analysés, résume le Dr Perfus. Avec une attention toute spéciale au volet NRBC : des zones de décontamination ont été installées et des séances de formation organisées à l'attention de l'ensemble des praticiens. »
Les altermondialistes
Mais autant Evian et ses parages semblent à l'abri (autant que faire se peut) des surprises, autant Annemasse, avec ses « anti » ou « altermondialistes » nourrit toutes les incertitudes et suscite tous les affres. Combien seront-Ils ? 500 000 ? 100 000 ? 50 000 ? Joueront-ils une participation soft et non-violente, comme le promettent les militants d'Attac, ou laisseront-ils sévir ces quelque « 4 000 Européens organisés militairement connus pour se balader et tout casser », comme se le demande Jean-François Carenco ?
« Nous avons équipé deux terrains pour les accueillir, précise le Dr Dennetière, en adoptant les normes du Haut Comité pour les réfugiés (HCR), soit vingt litres d'eau par personne et par jour. 500 blocs sanitaires ont été aménagés. On sait que les alternatifs mettent en place un "service d'ogre", mais seront-ils en mesure de contenir la grande soirée de samedi ? »
Une soirée qu'illumineront les 50 feux allumés simultanément tout autour du lac, annoncent les associations, pour « mettre le feu au Léman » et « encercler Evian ». Le point d'orgue du lendemain, la grande manif, inspire autant d'appréhensions.
A cet égard, les Suisses ne sont pas les moins inquiets, qui craignent le pire pour Genève. C'est sur son aéroport qu'atterriront les chefs d'Etat, comme les manifestants. Les commerçants ont baissé leurs rideaux et barricadé leurs vitrines avec des planches. De nombreux citoyens helvètes ont choisi de prendre la fuite. Un vent de panique souffle malgré les déploiements policiers conséquents (la Polizei germanique avec ses canons à eau se joignant aux effectifs cantonaux et confédéraux). Et les autorités ne décolèrent pas contre l'inconséquence des Français qui organisent une réunion mondiale, en en faisant supporter le contrecoup (en particulier financier) à leurs voisins.
Trois postes médicaux avancés (PMA) seront en tout cas installés sur le pourtour de la manifestation : en alerte, six équipes de SMUR, leurs hélicoptères médicalisés, 12 ambulances des sapeurs pompiers et 4 de l'Association des transports sanitaires urgents (ATSU 74). Sans oublier le dispositif de la Croix-Rouge : une dizaine de postes de secours, une colonne mobile d'intervention, un centre de commandement national avancé, en tout près de 350 secouristes et une cinquantaine de véhicules de secours et de liaison.
Tout est-il médicalement paré ? Les Drs Dennetière et Perfus ne peuvent que faire leur la prière stoïcienne du philosophe Marc-Aurèle, peinte sur une fresque murale de la DDASS : « Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d'accepter les choses que je ne puis changer, de changer celles que je peux et la sagesse de connaître la différence. »
Les libéraux aussi sur le front
L'Association des médecins généralistes d'Annemasse (AMGA), en sommeil depuis deux ans, a repris du service spontanément pour assurer la garde médicale pendant le contre-sommet. Sur les 65 généralistes que compte cette agglomération de 70 000 âmes, 28 se sont portés volontaires pour se relayer dans la maison médicale aménagée spécialement. Deux médecins y seront présents chaque jour de huit heures à vingt-deux heures. « Nous avons un sentiment de confraternité très élevé », se félicite leur président, le Dr Michel Horvath, qui n'exclut pas de pérenniser cette structure après les événements.
Mais, ajoute-t-il, « force est de constater que, si on est préparé au pire, on pourrait bien arriver à un stade de désordre où plus personne ne contrôle plus rien ».
Une appréhension partagée par beaucoup de Haut-Savoyards qui choisissent de prendre le large. C'est flagrant parmi les médecins évianais : le Dr Serge Lonarduzzi a décidé de faire le pont de l'Ascension ; de même le Dr Alain Laborde, qui le prolongera jusqu'au mercredi suivant, mais en prenant un remplaçant.
Ceux qui ont choisi de rester, comme le Dr Gérard Kassibrakis ou le Dr Alain Laurent, ne s'attendent pas à être débordés, le dispositif policier ayant toutes les chances de maintenir les Evianais à l'intérieur de leurs habitations.
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