Comme l'a expliqué le Dr Vincent Calvez (hôpital de la Pitié-Salpêtrière), l'arsenal thérapeutique actuel reposait sur trois grandes classes de médicaments : les inhibiteurs de la transcriptase inverse, qu'ils soient analogues nucléosidiques ou non nucléosidiques et sur les antiprotéases. Ces médicaments ont permis une avancée considérable dans la prise en charge de l'affection VIH mais ils ont des limites : efficacité faible sur l'ADN viral, persistance du virus sous une forme quiescente ou faiblement active dans les lymphocytes, restauration immunitaire plus ou moins complète et, surtout, apparition de résistances (on estime aujourd'hui que 6 % des patients sont en échec thérapeutique sévère malgré un schéma optimal).
L'arrivée d'une nouvelle classe thérapeutique est donc la bienvenue, surtout si celle-ci a un mécanisme d'action totalement différent : les inhibiteurs d'entrée, comme leur nom l'indique, agissent sur les mécanismes qui permettent au VIH d'entrer dans la cellule. A ce titre, il faut rappeler que le VIH vient s'attacher au récepteur CD4 situé à la surface de la cellule ; plus précisément, c'est le gp120 qui se fixe au récepteur, se liant ensuite à un corécepteur du lymphocyte. Mais les membranes du virus et de la cellule ne peuvent fusionner que grâce à une autre protéine, le gp41 et c'est à ce niveau, la fusion, qu'agit le T20 ou Fuzeon. Il s'oppose au changement de conformation de la gp41 nécessaire à la fusion et, ainsi, le virus ne parvient pas à percer la membrane cellulaire et à transférer son information génétique à la cellule.
Un développement clinique exemplaire
Le T20 issu de la recherche du laboratoire américain Trimeris fait l'objet d'un partenariat avec Roche pour le développement clinique et industriel et pour la commercialisation. Les essais de phase II ont commencé en 1999, l'AMM étant obtenue moins de quatre ans après le début de ce partenariat. Plus de 1 500 patients, dont près de 300 en France, sont entrés dans les essais cliniques de phases II et III et une ATU de cohorte octroyée en mars 2003 a permis de traiter près de 200 patients.
Comme l'a rappelé le Pr Jean-François Delfraissy (CHU Bicêtre), ce sont les études TORO 1 (en Amérique du Nord) et TORO 2 (en Europe) qui ont servi de base à cet enregistrement rapide, chacune d'entre elles ayant inclus environ 500 patients.
Ces deux études randomisées comparatives en ouvert s'adressaient à des patients lourdement prétraités ou résistant aux autres classes avec une charge virale supérieure ou égale à 5 000 copies/ml sur trois prélèvements successifs. A noter qu'à l'inclusion, la médiane des CD4 était inférieure à 100/mm3.
On sait que ces deux études ont mis en évidence une efficacité virologique et immunologique significative à la 24e semaine avec maintien de ces résultats à la 48e semaine.
L'analyse des facteurs prédictifs de succès virologique de Fuzeon, souligne le Pr Delfraissy, suggère que la meilleure cible du T20 ne correspond peut-être pas tout à fait à la cohorte choisie dans les essais TORO. En effet, on constate que le T20 est significativement plus efficace quand il reste au moins deux autres antirétroviraux actifs (p < 0,0001), quand les CD4 sont supérieurs à 100 cellules et quand la charge virale n'est pas trop élevée.
Autrement dit, poursuit le Pr Delfraissy, il n'est pas question de modifier les critères de prescription actuels, il est possible que ceux-ci soient amenés à évoluer pour être plus précoces.
Par ailleurs, la tolérance est bonne avec, essentiellement, des réactions aux sites d'injection, Fuzeon étant administré en sous-cutané ; mais seulement 3 % de ces réactions ont motivé l'arrêt du traitement. Le Pr Delfraissy mentionne également une incidence plus forte des pneumopathies dans les bras Fuzeon des essais TORO par rapport au placebo. La signification de ce phénomène n'est pas connu mais on peut dire qu'il ne s'agit pas d'infection opportuniste et que la nature dysimmunitaire de ces pathologies n'est pas démontrée. D'ailleurs, on retrouve des incidences au moins égales dans des cohortes de patients VIH, en particulier quand les CD4 sont inférieurs à 200.
Au total, Fuzeon représente bien une avancée importante dans le traitement des patients VIH exposés et en échec à un traitement comprenant au moins un médicament de chacune des classes antirétrovirales ou présentant une intolérance à ces traitements.
La posologie est de une injection sous-cutanée de 90 mg dux fois par jour dans la partie haute du bras, la face antérieure de la cuisse ou l'abdomen. Le coût du traitement journalier est de 52 euros.
Conférence de presse organisée par Roche.
Un défi industriel
Le Dr Soizic Courcier-Duplantier (directeur médical de Roche) Mme Monelle Muntlak (directeur de l'unité Virologie) ont tenu à souligner le défi industriel que représente la production de Fuzeon qui, avec 36 acides aminés, représente le plus gros polypeptide jamais synthétisé. Il ne faut pas moins de 106 étapes chimiques pour fabriquer Fuzeon au lieu des 8 à 12 étapes habituellement nécessaires pour la synthèse de petites molécules.
Il faut utiliser en grande quantité 40 matières premières différentes provenant de 10 pays différents, 4 500 kilos de ces matières premières étant nécessaires pour fabriquer 1 000 kilos de Fuzeon. De façon plus pratique, chaque flacon nécessite plus de six mois pour être fabriqué.
Ces chiffres illustrent parfaitement le défi qu'a représenté le programme T20 avant même que l'efficacité du produit soit démontrée. Un engagement qui illustre le dynamisme de Roche dans la lutte contre le sida et en virologie en général : en commercialisant le premier inhibiteur de Fuzeon, Roche récidive car, en 1996, il avait mis sur le marché le premier inhibiteur de protéase, celui-ci ayant obtenu le prix Galien international. Par ailleurs, Roche est très présent dans le domaine des infections opportunistes (Cymevan et récemment Rovalcyte), dans la grippe (Tamiflu) et dans les hépatites avec Roferon, Pegasys, Copegus et, pour demain, peut-être une formule lévogyre de la ribavirine et un inhibiteur de l'HCV polymerase.
Enfin Monnelle Muntlak a tenu à présenter tous les outils pédagogiques et pratiques fournis au patient devant se traiter par Fuzeon, ce produit se présentant sous forme de poudre avec un solvant séparé pour soluté injectable. Il est vrai qu'un tel médicament nécessite un apprentissage minimum.
Dr A. M.
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