« FUMER TUE ! »Huit lettres en guise de crêpe noir sur l'emballage des paquets de tabac, qui rapportent à l'Etat 80 centimes sur 1 euro. Mais plus personne n'envisage d'assigner en justice les autorités sanitaires, qui laissent en vente un produit qu'elles qualifient de mortifère, à l'instar du sang contaminé en d'autres temps. La démarche apparaît aussi incongrue que celle de poursuivre les pouvoirs publics qui donnent leur feu vert à la mise en circulation d'automobiles dépassant la vitesse autorisée, contrairement à ce que suggérait le Pr Claude Got, un sage de la santé publique qui s'assagit.
On doit s'y faire, un fumeur sur deux meurt avant 65 ans de la cigarette, cet antistress non remboursé par la Sécu, qu'elle alimente par ailleurs (voir encadré). Au préalable, la bonne santé aura été sacrifiée sur l'autel de la dépendance. L'oreille : fumer facilite les pertes d'audition en raison d'infections. Le coeur : les affections cardio-vasculaires liées au tabac entrent dans le décès de 160 000 personnes par an. Les poumons : le risque de cancer est vingt fois supérieur à ce qu'on observe chez les abstinents. Les organes génitaux : altération des spermatozoïdes, stérilité, fausses couches ou encore anomalies congénitales. La peau se fane avant l'heure. Les artères sont mises à rude épreuve.
Les 15 millions de fumeurs, qui grillent chaque année l'équivalent de 100 milliards de cigarettes*, parmi lesquels deux sur cinq sont des usagers quotidiens, font mine fort heureusement de ne rien savoir comme Monsieur Jourdain avec la prose. Les 66 000 morts annuelles, signées «le tabac m'a tuer», c'est pour les autres.
Des liaisons dangereuses.
Neuf cancers bronchiques sur dix surviennent chez les amateurs de tabac, de 20 à 50 ans après leurs débuts de fumeur. Chaque année, 27 000 nouveaux cas de cancer du poumon sont diagnostiqués, touchant majoritairement les hommes et 80 % de fumeurs ; la survie des malades n'atteint pas 10 % à cinq ans et la poursuite du tabagisme réduit ce taux à 5 %. Les bénéfices de l'arrêt ne sont pas moins spectaculaires : après cinq ans, les risques de tumeur maligne du poumon ont diminué de moitié et, à 10-15 ans, l'espérance de vie redevient «normale».
Le tabac intervient aussi dans plus de 20 000 nouveaux cas annuels de cancer des voies aérodigestives supérieures. Pour la vessie, la cigarette explique de 50 à 66 % des cancers chez l'homme et 25 % chez la femme. Le fumeur multiplie par quatre les risques pour le rein, par deux pour le pancréas et l'estomac et par 1,5-2,5 pour le nez, le foie et le col de l'utérus. La fréquence de la pathologie respiratoire infectieuse aiguë, des toux, des expectorations et des dyspnées varie en fonction du tabagisme. Celui-ci est la première cause de bronchopneumopathie chronique (90 %), chez plus de 3 millions de personnes. Un retour à l'abstinence, même à 45 ans, permet de retrouver une courbe de décroissance de la fonction respiratoire proche de la normale, et le gain est significatif y compris à 65 ans. Le fait de fumer de façon importante multiplie par sept la survenue éventuelle d'un AVC. Chez les femmes, l'association pilule-tabac multiplie par quarante l'accident vasculaire cérébral. Là encore, la repentance du fumeur sera récompensée : après un infarctus, elle entraîne une réduction d'un tiers du risque dans les dix ans. Concrètement, on peut éviter de douze à cinquante-trois décès pour mille patients coronariens fumeurs sevrés.
Le tabac est également à risque pour les diabétiques, ils sont deux millions en France : il renforce l'atteinte vasculaire due à la maladie ; et, pour chaque cigarette fumée, on constate une hausse momentanée de la glycémie.
Quant au tabagisme environnemental, involontaire ou passif, qui, entre autres, augmente de 26 % le nombre de cancers bronchiques, on lui attribue quelque trois mille décès annuels.
Enfin, les tabacologues préviennent qu' «il n'y a pas de petite consommation non dangereuse». Passer de vingt à cinq cigarettes par jour, par exemple, «induit une compensation naturelle dans la façon de fumer»: le fumeur «attend chaque cigarette dans un climat de stress et inhale beaucoup plus profondément la fumée, de façon à maintenir l'absorption nécessaire du taux de nicotine».
Ce qu'il faut, c'est se défaire d'un réflexe conditionné dans des situations qui se répètent chaque jour : café = cigarette, soirée-alcool = tabac, pause entre collègues = cigarette, anxiété, émotions, manque de concentration = tabac… Un changement de mode de vie et d'envie.
* Ce chiffre prend en compte le débit vendu légalement en France (voir encadré) plus les ventes illicites et les achats à l'étranger.
Une manne pour la protection sociale
L'année dernière, les ventes de tabac en France ont rapporté 14,9 milliards d'euros (1,85 % de plus qu'en 2005), dont 13,3 milliards pour les seules cigarettes (+2 %). Sur ce chiffre d'affaires global, 11,8 milliards d'euros vont à l'Etat (+1,8 %), dont 2,61 de TVA et 9,19 de droits de consommation. Ces derniers servent pour 52,36 % aux agriculteurs non salariés, 32,80 % à la CNAMTS, 1,8 % à la CMU et 1,48 % à l'aide au logement, soit 88,44 % à la protection sociale, le reste, 11,56 %, allant au budget général (Défense, Justice, etc.). Ainsi, 8,13 milliards d'euros sur 14,9 reviennent à la protection sociale et 3,1 milliards aux cigarettiers et aux buralistes.
Le chiffre
Le tabac tue chaque jour 175 Français, dont 9 n'ont jamais inhalé que la fumée des autres.
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