Dans l'éditorial du numéro thématique du « BEH » (n° 22-23, 2003), publié juste avant la Journée mondiale sans tabac du 31 mai, le Pr Bertrand Dautzenberg (pneumologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris, et président de l'Office français de prévention du tabagisme, OFT) affirme : « Fumer n'est plus la norme dans un nombre croissant de groupes sociaux : parmi les hommes âgés de plus de 35 ans, il y a aujourd'hui plus d'ex-fumeurs que de fumeurs. Mais il faut aller encore plus loin en imposant le tabac en tant que produit qui pollue, rend dépendant et tue. »
Les enjeux du nouveau plan cancer 2003-2007, qui doit être présenté aujourd'hui par le ministre, Jean-François Mattei, reflètent cette préoccupation : éviter aux jeunes de commencer, protéger totalement les non-fumeurs de la fumée des autres, aider les fumeurs à s'arrêter.
Actuellement, en France, plus de 1 décès sur 9 est dû au tabac : 1 décès sur 5 chez les hommes et 1 décès sur 35 chez les femmes. Si l'on considère la population âgée de 35 à 69 ans, les chiffres sont respectivement de 1 décès sur 3 et de 1 décès sur 16. En effet, le tabagisme a un effet plus important sur la mortalité prématurée que sur la mortalité de la population âgée.
Un bilan épidémiologique réalisé à partir des statistiques nationales sur la mortalité en 1999 montre que le nombre total de décès attribués au tabac était de 66 000, dont 89 % chez les hommes, soit 21 % de la mortalité masculine et 3 % de la mortalité féminine. La part du tabac sur la mortalité féminine est encore faible, en raison du faible passé tabagique des Françaises. Cependant, Catherine Hill et Agnès Laplanche lancent une mise en garde. Il s'écoule une trentaine d'années entre le moment où une fraction de la population commence à fumer régulièrement et le moment où les conséquences sur la santé deviennent détectables. « On peut s'attendre à observer, avec 30 ans de décalage, une épidémie du même ordre que celle que l'on observe déjà aux Etats-Unis, où la mortalité par cancer bronchique a dépassé la mortalité par cancer du sein. »
Alors que, chez les hommes, on commence à observer une stabilisation de la mortalité par cancer du poumon, « en 2025, on observera vraisemblablement autant de morts par cancer bronchique que de morts par cancer du sein chez les femmes en France ». Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec la consommation de tabac qui a baissé chez les hommes, depuis la fin des années soixante : de 73 à 39 % en 2001 (de 45 à 35 % pour les fumeurs réguliers), alors qu'elle progressait chez les femmes (de 10 à 22 % en 2001 pour les fumeuses régulières).
Le plan cancer vise donc à réduire de 20 % le tabagisme chez l'adulte, et particulièrement chez les femmes.
Quatre adolescents sur cinq
Mais les plus exposés sont certainement les plus jeunes. Selon l'enquête Escapad 2002, également publiée dans le « BEH » : « A la fin de l'adolescence, environ quatre individus sur cinq déclarent avoir déjà fumé au moins une cigarette, les filles un peu plus souvent que les garçons : 78 ,9 % contre 75,6 % à 17 ans et 81 % contre 78,3 % à 18 ans. » L'usage quotidien est largement répandu, sans différence entre les sexes. L'enquête repose sur un questionnaire autoadministré anonyme concernant la santé, le mode de vie et les usages de psychoactifs. Elle est réalisée toutes les années depuis l'année 2000, chez les adolescents qui passent leur journée d'appel de préparation à la défense. Les 4 et 15 mai 2002, 17 207 jeunes ont été mobilisés dans 224 centres. Les résultats exploitables ont concerné 16 775 adolescents. Ils ont avoué avoir commencé à fumer leur première cigarette vers l'âge de 13 ans (13,6 ans pour les garçons et 13,7 ans pour les filles). L'analyse des signes de dépendance, mesurés à l'aide d'une variante du minitest de Fageström, révèle qu'à 17-18 ans 12 % des fumeurs quotidiens déclarent fumer leur première cigarette dès le réveil et près de 10 % la fument avant de sortir chez eux.
« La prévention chez les jeunes doit éviter que perdure un taux de tabagisme atteignant 43 % à 18 ans », insiste dans son éditorial le Pr Bertrand Dautzenberg. L'objectif fixé par le plan antitabac est de réduire le tabagisme de 30 % dans cette population.
L'enquête sur la valorisation du tabac dans les films à grand succès en France, entre 1982-2001 est, de ce point de vue, intéressante. La valorisation de l'image du tabac dans les salles obscures touche surtout les plus jeunes et constituait une des stratégies des cigarettiers (documents internes rendus publics). L'enquête, qui a porté sur 200 films (français et étrangers), retrouve une présence plus marquée du tabac dans les films français que dans les autres productions, notamment américaines.
Le thème choisi par l'OMS, pour la Journée sans tabac du 31 mai, est, cette année, « Cinéma et mode sans tabac ». Des efforts restent donc à faire. Comme le concluent les auteurs de l'enquête : « Loin d'être insignifiante, la présence du tabac au cinéma persiste, malgré la mobilisation des autorités sanitaires des principaux pays producteurs de ces films. »
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