LORSQUE l’on n’est pas concerné directement professionnellement, on lit les récits de cures, les expositions de cas, comme autant de romans passionnants. Pour le grand public, les « personnages » de la psychanalyse sont aussi fascinants que les figures de la plus haute littérature. Dora ou l’homme aux loups ne cessent de hanter les lecteurs, comme Don Quichotte ou Emma Bovary.
Les dramaturges le savent bien, qui puisent parfois dans l’histoire de la psychanalyse pour trouver ces moments de crise qui font les bons drames. Le médecin était parfois moqué, de Molière à Jules Romains (Knock), le psychanalyste est plutôt une sorte d’enquêteur qui défait les nuds qui étranglent intérieurement les êtres. Il est un héros positif, complexe, ambivalent parfois. On l’a revu récemment dans « Equus », de Peter Shaffer repris l’an dernier à Marigny.
Une femme d’exception.
Dans une mise en scène de Didier Long, qui est celui qui présente aujourd’hui « Parole et guérison » et en signe l’adaptation. Le texte est efficace, sonne avec naturel. Ici, le savoir qu’il faut dispenser au public ne pèse pas artificiellement. On suit les « personnages », on est touché par leurs aventures.
Entre 1904 et 1913, de Zurich à Vienne, en passant par le pont d’un navire en partance pour les États-Unis, et dans le texte une scène qui se situe à Rostov où Sabina était née en 1885 et où elle devait mourir avec ses enfants durant l’été 1942, sous les balles des nazis. Destin tragique d’une femme d’exception.
Pour résumer brutalement : la jeune Russe Sabina Spielrein (Barbara Schulz) est soignée par Carl Gustave Jung (Samuel Le Bihan) dans la clinique de Burghölzli de Zurich. Tout débute donc en 1904. Elle va guérir et devenir la maîtresse de Jung qui est marié, a des enfants. Sa femme Emma (Léna Bréban) est l’un des personnages, comme l’est Otto Gross (Alexandre Zambeau), autre patient qui se sent menacé par son père. Ajoutons une infirmière (Candice Crosmary) et surtout, bien sûr, Freud (Bruno Abraham-Kremer) que son jeune disciple consulte, perturbé par son aventure avec Sabina…
Tout cela donne un spectacle très intéressant avec ses personnages très attachants et remarquablement interprétés. Au-delà de la passion qui naît entre Carl Gustav Jung et Sabina, au-delà du débat et des discussions avec Freud, c’est la part que Sabina a prise dans l’histoire de l’élaboration de la psychanalyse qui retient l’attention.
Dans un décor clinique, un peu trop abstrait sans doute, les protagonistes s’affrontent. Didier Long imprime un mouvement excellent à la représentation. C’est joué très haut, très profond, très fin. Chacun suit sa partition avec intelligence. Candice Crosmary est juste, Léna Bréban touchante, Alexandre Zambeaux très bon. Mais, évidemment, c’est le trio qui tient tout. Un Freud doux, sage, attentif à son jeune confrère protestant – qui, dans la réalité, faisait tourner les tables, était antisémite et non opposant à l’idéologie national-socialiste –, un Freud qui s’interroge sur l’avenir de l’analyse. Bruno Abraham-Kremer est parfait et très émouvant. Un Jung fougueux et égoïste, un homme jeune, tiraillé par ses propres élans qui trouve en Freud un père. Samuel Le Bihan est formidable, nuancé, il donne toutes les complexités du « personnage ». Quant à Barbara Schulz, elle est magnifique. D’une beauté et d’une subtilité qui subjuguent. Elle est audacieuse et rend justice au personnage de la pièce comme à la véritable Sabina Spielrein, femme rare.
Théâtre Montparnasse (01.43.22.77.74), à 20 h 30 du mardi au samedi, en matinée le samedi à 17 heures, le dimanche à 15 h 30. Durée : 1 h 50 sans entracte. Le texte de la pièce est publiée par L’Avant-scène théâtre. On lira avec grand intérêt le dossier documentaire, en particulier l’article d’Élisabeth Roudinesco.
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