LE QUOTIDIEN
Le monde de la santé est en effervescence depuis plusieurs mois. Les généralistes multiplient grèves, manifestations, hausses d'honoraires unilatérales. Quel regard portez-vous sur ce mouvement ?
FRANÇOIS BAYROU
Ce mouvement est un révélateur et quel révélateur ! Ce n'est pas seulement affaire d'argent, c'est affaire de reconnaissance. C'est la place des médecins qui est en question. Regardez bien : le vrai sujet, c'est le manque de considération dont les médecins sont l'objet depuis des années. Et au travers des médecins, c'est de toute une conception de la médecine qu'il s'agit. Les médecins veulent être respectés, et ils veulent que la médecine, l'acte médical soit rétabli dans sa dignité. Des honoraires convenables, c'est aussi reconnaître à sa juste valeur leur vocation, aujourd'hui découragée. Quand il n'y a pas d'augmentation depuis cinq ans, depuis huit ans pour les spécialistes, cela veut dire que l'acte médical est dévalué. Ne cherchez pas plus loin la raison profonde du mouvement de « ras-le-bol ».
Non, je ne crois pas que la plaie soit refermée. En réalité, elle se creuse et s'infecte depuis des années. Tout se passe, depuis longtemps, comme si, au sommet, on considérait que l'augmentation des dépenses de santé était de la faute des médecins. C'est ainsi que l'on a conduit une politique de numerus clausus dont on voit aujourd'hui les limites. Et c'est ainsi que l'on a voulu punir les médecins lorsque le coût de la santé augmentait. Il faut reprendre à la base cette réflexion, en considérant les médecins non pas comme des empêcheurs d'économiser en rond, mais comme des partenaires à part entière et les meilleurs experts de la santé en France. Je suis en colère lorsque je les vois présentés comme des irresponsables. Ils ne le sont pas. Il faut changer l'approche. Je suis porteur d'un autre mode de gouvernement : la reconnaissance et le partenariat.
Que l'on cesse de culpabiliser les médecins
L'un des grands débats des dernières années, qui n'est toujours pas tranché, concerne la maîtrise des dépenses de santé. Maîtrise comptable ou maîtrise médicalisée ? Sanctions ou non pour les médecins ? Etes-vous pour le maintien d'un objectif national des dépenses d'assurance-maladie fixé chaque année par le Parlement ?
Comprenez bien ceci : si l'on ne cesse pas de culpabiliser les médecins, si l'on ne les rétablit pas dans la reconnaissance et la confiance auxquelles ils ont droit, on n'arrivera à rien qu'à davantage de découragement. Et, donc, la maîtrise des dépenses de santé doit se faire avec les médecins, et pas dans une démarche technocratique. Et donc, tournons la page des sanctions collectives. La preuve est faite que cela décourage le monde médical et que cela n'empêche pas les dépenses. Il faut changer les comportements : croyez-vous que ce soit normal d'établir les consultations à deux vitesses, et donc de la comptabilité supplémentaire et des contrôles pour ceux qui ne seront pas dans la norme, tout cela pour minorer le prix de la visite de 1,15 euro ? Je vous le répète : le moral du monde médical est cassé. C'est cela qu'il faut rétablir en premier.
Pas du tout. Si ceux qui décident parlaient avec les Français, ils sauraient que pas un Français ne considère comme normal qu'une visite de médecin, remboursée, coûte moins cher qu'une visite chez le coiffeur ! Je vous le répète, ce n'est pas seulement une question financière. C'est une question de reconnaissance. Et je ne connais pas un seul Français qui refuserait de mettre un ou deux euros de sa poche, quand il a des revenus normaux, pour que le médecin soit payé comme il convient. Ainsi les comptes seraient saufs, et les médecins reconnus à leur juste valeur.
Je visitais l'autre jour le service des urgences d'un grand hôpital de la région parisienne. A l'issue de la visite, le directeur me dit ses difficultés et son angoisse non seulement pour les urgences saturées, mais pour tout l'hôpital. Et il eut ce mot : « Je ne vois pas comment on pourrait éviter l'explosion ! - Dans quel délai ? - Dans les deux ans. » Jugement sans appel. Les 35 heures, si mal gérées, les retards dans les investissements, les pénuries de médecins dans certaines spécialités sinistrées, l'augmentation des traitements de pointe, les budgets imposés ne tenant guère compte de l'activité réelle, tout cela est, en effet, explosif. Il faut donc tout remettre à plat, en prenant le temps nécessaire. Dans quelle direction ? Les trois R : responsabilisation, régionalisation, réseaux. Il faut responsabiliser, par des délégations de gestion au niveau des services ou des pôles d'activité, par un vrai pouvoir du conseil d'administration sur le projet d'établissement ou sur le budget. Il faut régionaliser, pour que l'offre corresponde aux besoins et que des professionnels élus par collèges puissent participer à la réflexion. Il faut ouvrir l'hôpital sur des réseaux qui assurent la prise en charge globale du patient.
La crise de l'hospitalisation privée
Quelle place faut-il réserver à l'hospitalisation privée ?
D'abord, là encore, un problème de reconnaissance. Il faut reconnaître la place réelle de l'hospitalisation privée dans le système de soins : 50 % environ pour la chirurgie, l'obstétrique, la cancérologie. Et il faut reconnaître la gravité de la crise : baisse de la rentabilité, manque de personnel avec un différentiel de salaires de l'ordre de 25 %, ce qui est particulièrement injuste. La ligne à suivre, c'est la recherche de complémentarités, tout en maintenant la liberté de choix. Le moyen, c'est la tarification à la pathologie, et le respect d'enveloppes spécifiques pour les missions de service public.
Le mode de financement de l'assurance-maladie, fondé aujourd'hui sur les cotisations salariales et patronales, et de plus en plus sur la CSG, exige-t-il d'être revu complètement ?
Je vous réponds en termes de principe. La maladie concerne chacun d'entre nous de la naissance à la mort, travailleurs ou pas. Il n'y a donc aucune justification à un financement prélevé sur le travail et à une gestion paritaire, contrairement au chômage, aux accidents du travail, à la retraite, qui ne touchent que les personnes au travail.
Contre toute privatisation de la Sécurité sociale
Le Medef, qui a quitté les conseils d'administration de la Sécurité sociale, a bâti un projet qui vise, notamment, à mettre en concurrence caisses-mutuelles et assurances privées. En êtes-vous également partisan ?
Non. Je suis opposé à la privatisation de la Sécurité sociale. Je suis sûr que la France n'en voudra pas. Cela ne peut qu'entraîner un choc dans l'opinion, et des mouvements de rejet. Et cela ne peut qu'aboutir à une sélection des malades et des professionnels. Le choix de l'UDF, c'est une évolution de la gestion par la régionalisation, permettant une politique de santé de proximité, une prise en compte des besoins et une responsabilisation des acteurs.
Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du fait de sa naissance. Cela dépasse même la médecine. Ce sont les valeurs les plus profondes de notre humanité qui sont en jeu. La législation votée est équilibrée et les députés UDF y ont pris une large part. Lorsque le handicap a été provoqué par un acte médical, il est légitime qu'il y ait réparation. Mais lorsque le handicap est d'origine génétique ou virale, le médecin ne peut être rendu responsable. Dans ces cas-là, la compensation du préjudice, qui est une véritable question, relève de la solidarité nationale. Il reste donc à revoir et à améliorer la prise en charge du handicap. Cette modification législative prend en compte quelque chose de très important : c'est que le médecin le plus compétent, le mieux formé, utilisant le meilleur matériel, le plus moderne, ne peut tout diagnostiquer. Il n'est pas un surhomme. Le corps humain et la maladie sont remplis de mystères. Tout n'est pas instrumentalisable. Par conséquent, les échographistes qui reprennent les examens de diagnostic prénatal vont pourvoir le faire sans avoir à supporter des surprimes d'assurance insupportables.
OGM : poursuite des expérimentations
Autre sujet de préoccupation majeure des Français et des médecins : la sécurité sanitaire. Des affaires récentes ont montré qu'il restait beaucoup à faire dans ce domaine. Quelle politique appliquerez-vous ?
Elle doit être renforcée. Il faut donner à l'agence les moyens humains et financiers et la confiance nécessaire pour que la prévention et l'alerte s'améliorent vraiment. Mais, là encore, il faut savoir et avoir le courage de dire que le risque zéro n'existe pas ! C'est un leurre et un fantasme. Il n'est pas possible de faire croire qu'on peut vivre en permanence à l'abri du grand parapluie !
Les médecins savent que de grands progrès sont réalisés en thérapeutique grâce aux OGM : insuline, antibiotiques. On l'oublie dans le débat. L'espoir des OGM au niveau des végétaux est de pouvoir éviter l'utilisation des herbicides, des pesticides toxiques, et d'obtenir, pour nourrir les plus pauvres, des plantes capables de se passer d'eau, par exemple. Cet espoir ne peut être refusé, cette recherche ne peut être écartée. Ma ligne, c'est donc la poursuite d'expérimentations et un contrôle actif, raisonnable et conscient.
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