Passif (60 milliards d'euros de dettes) et pertes semestrielles (12 milliards d'euros de janvier à juin 2002) colossaux : la déconfiture de France Télécom est sans précédent.
L'entreprise nationale de téléphonie a battu le Crédit lyonnais et Vivendi Universal dans la course à la déroute, où elle est désormais championne toutes catégories, comme elle les a battus dans une croissance démesurée et une voracité qui lui ont donné une taille énorme. Elle croule aujourd'hui sous son propre poids.
D'aucuns en déduisent que le désengagement progressif de l'Etat des grandes entreprises nationales est une erreur. On ne voit pas bien pourquoi : l'Etat, actionnaire majoritaire du Crédit lyonnais, a été contraint de prendre ses responsabilités lorsque la banque a affiché des pertes incalculables, elles-mêmes causées par des acquisitions malheureuses : les contribuables - auxquels cette mauvaise affaire a coûté une centaine de milliards de francs - ont dû alors sauver les actionnaires et les détenteurs de comptes du Crédit lyonnais. La chute de France Télécom est de la même nature : personne ne peut imaginer qu'elle mette la clé sous la porte, d'autant que ses comptes d'exploitation nationaux sont largement bénéficiaires. Ce sont des acquisitions à l'étranger, avec l'endettement qu'elles ont produit, qui ont coulé France Télécom.
A l'époque - récente - où les marchés financiers multipliaient l'action de France Télécom par dix, l'Etat a-t-il songé à vendre ses parts et gagner de la sorte une somme considérable qui eût été bien utile pour des lendemains difficiles ? Non, l'Etat a encouragé Michel Bon, le P-DG - qui vient de démissionner -, à acheter des sociétés étrangères à tours de bras. Quand M. Bon a acheté Orange, il n'a pas fait une mauvaise affaire ; c'est une compagnie qui gagne de l'argent. Mais il a emprunté des sommes folles pour procéder à cette opération ; dans d'autres cas, comme en Allemagne, non seulement il a acheté des affaires au prix fort, mais, loin de rapporter, elles ne valent plus rien aujourd'hui. France Télécom doit donc rembourser aujourd'hui une dette colossale avec des actifs qui sont de la roupie de sansonnet. C'est l'histoire de Vivendi qui se répète, à la différence que l'Etat, donc les Français, paiera la facture.
Les milieux financiers français se félicitent de ce que les lois, chez nous, soient respectées, et que, grandeur ou décadence, tout a lieu dans la transparence. Certes. Cela ne suffit pas à combler les abîmes laissés par quelques géants commerciaux et qui ne pourront être comblés qu'au détriment de la croissance.
On est tenté, bien sûr, de dénoncer la stratégie des grands groupes, grenouilles qui se voulaient plus grosses que le buf et auxquels la mégalomanie aura été fatale. Mais on remarque aussi que, s'ils se sont tous conduits, il y a deux, trois ou quatre ans, de la même manière, pour aboutir aujourd'hui au même désastre, il y a une raison qui les transcende et qui, loin de souligner leur imagination, leur audace, leur génie, relève d'autre chose : sans doute de la force du courant historique qui a imposé le triomphe des nouvelles technologies comme une donnée durable que rien ne pourrait inverser.
Comme en politique, les stratèges des grandes entreprises n'ont pas voulu courir le risque de manquer le coche, de pêcher par timidité, de ne pas devancer leurs concurrents dans la course au gigantisme. Il y avait donc une logique dans ce qu'ils faisaient et, s'ils ne l'avaient pas fait, on le leur aurait reproché. Il y avait un esprit de concurrence qui s'est transformé plus tard en traquenard. Il y avait une émulation générale : chacun observait le voisin du coin de l'il et essayait d'avoir un coup d'avance.
On les encensait
Rappelez-vous : on les encensait, les Messier et les Bon, on les portait aux nues. Actionnaires, Etat et consommateurs étaient tous d'accord. La complicité de tous a permis ce suicide.
Il demeure que, si l'Etat s'était désengagé plus tôt d'affaires qui ne relèvent nullement de son métier, seuls les actionnaires seraient victimes, ceux qui ont quand même spéculé à la hausse, ceux qui voulaient s'enrichir « en dormant », comme disait Mitterrand. Ils ont fait un rêve, ils font un cauchemar. Mais il n'y avait aucune raison d'associer 60 millions de Français à cette cascade de faillites.
Sous Lionel Jospin (mais un Premier ministre de droite n'aurait pas eu forcément un comportement différent), le gouvernement a joué en Bourse et il a perdu. Un gouvernement qui, pour des raisons strictement idéologiques, croyait qu'en gardant ses grosses participations dans les entreprises il défendait les intérêts de la communauté nationale. On voit aujourd'hui de quelle manière il les a défendus. Il aurait mieux fait de renforcer l'activité des PME en diminuant leurs charges et de créer des emplois. Même les socialistes, dans cette affaire, ont fait un pari ; même eux ont joué gros (et perdu gros), sous un prétexte fallacieux de justice sociale. L'enfer est pavé de bonnes intentions.
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