A en croire nos dirigeants et de nombreux articles consacrés au sujet, les relations franco-américaines ne cesseraient de s'améliorer, depuis que les deux pays se sont opposés à l'ONU au sujet de la guerre contre l'Irak.
Voilà qui relève de l'analyse superficielle. Il y a sans aucun doute une amélioration au niveau des relations officielles. Mais avant même de l'analyser, force est de se demander pourquoi elle est tant souhaitée par le gouvernement français, alors que l'administration de M. Bush n'a pas sensiblement modifié son propre comportement : elle voulait une guerre, elle l'a faite ; elle est embourbée en Irak, elle prétend qu'il s'agit de difficultés passagères ; elle annonce que son armée restera longtemps au pays de Saddam Hussein ; elle gère complètement l'Irak, depuis la sécurité jusqu'au paiement de la solde des militaires irakiens, en passant par la reprise de la production, et bientôt de l'exportation, de pétrole ; il est vrai que les intérêts de Total en Irak ne sont pas lésés, mais les entreprises américaines se sont taillé un marché colossal ; elle a obtenu un aval de l'ONU à ses principales décisions ; elle est pour le moment incapable de donner le change en créant une force multinationale pour soulager l'armée américaine.
La France n'a plus une seule critique à adresser à ce bilan bien médiocre, comme si elle avait épuisé toute son énergie dans son opposition à une guerre qui a eu lieu quand même. Si les relations entre Paris et Washington s'améliorent, ce n'est pas parce que l'Amérique a changé, c'est parce que la France ne lui fait plus aucun reproche.
George W. Bush, on le reconnaît bien volontiers, s'est gardé de mettre de l'huile sur le feu. Mais, tout en répétant les liens qui unissent la France aux Etats-Unis, il n'en fait qu'à sa tête : Jacques Chirac lui a pardonné d'avoir quitté le sommet d'Evian avec un jour d'avance, parce qu'il se rendait au sommet d'Aqaba, dont tout le monde peut mesurer aujourd'hui le formidable succès. Le président américain n'en est pas devenu plus conciliant pour ce qui est des relations commerciales euro-américaines, pas plus qu'il ne cherche à nous rendre service en faisant baisser le dollar, pas plus qu'il ne consent à voir dans l'Europe des 25 un contrepoids à la puissance américaine.
Mais il n'est pas vraiment hostile, il est indifférent ; et il accorde à l'Europe dix fois moins de temps que la France seule en accorde à l'Amérique, adversaire d'hier, amie vénérée d'aujourd'hui.
Comme si M. Chirac, que ses proches avaient pourtant prévenu, avait été épouvanté immédiatement après la victoire anglo-américaine en Irak, par les conséquences de la charge de cavalerie que Dominique de Villepin, à l'image de Fabrice del Dongo, a menée aux Nations unies contre le secrétaire d'Etat Colin Powell et contre l'Amérique.
Si la France ne tire aucun parti de la politique irakienne qu'elle préconisait et que les événements ont par la suite justifiée, c'est parce qu'elle s'est opposée à l'Amérique avec une violence et une rouerie qui a déconcerté, puis fâché, les dirigeants américains. Il lui suffisait d'établir la liste des dangers auxquels M. Bush s'exposait, sans brandir une menace de veto. Elle a persévéré dans une action diplomatique que le caractère inévitable de la guerre transformait en impasse. Elle a préparé elle-même les conditions de son silence actuel et d'une recherche désespérée de la réconciliation.
Ce n'est pas que M. Bush, très occupé par ailleurs, songe à prendre des mesures de rétorsion, c'est que les Américains, y compris ceux qui n'étaient pas favorables à la guerre, ont jugé désagréable, hostile, déloyale la conduite de la France. Ils ne se vengent pas, ils prennent leurs distances : moins de consommation de produits français, moins de tourisme en France. En outre, ce qu'ils voient de nos débats internes, retraites, santé, querelles et divisions politiques, leur semblent venir d'une autre planète. C'est le peuple américain qui nous boude, pas le gouvernement. Et c'est contre cette désaffection que luttent les dirigeants français, placés devant une conjoncture qui n'autorise pas l'abandon sans souffrance de quelques parts de marché.
Le paradoxe veut qu'au moment où M. Bush est soupçonné de mensonge au sujet de la présence en Irak d'armes de destruction massive, au moment où ses concitoyens commencent (à peine) à comprendre qu'ils les a dupés, au moment où la thèse française se vérifie, notre gouvernement, loin de triompher, cherche à se réconcilier avec Washington. Le message que lui renvoient les Américains peut être résumé ainsi : c'est la manière que vous n'avez pas.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature