Le comique n'est pas absent de l'évolution des relations franco-américaines. Quand le Conseil de sécurité adopte à l'unanimité une résolution octroyant aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne la gestion de l'Irak, Washington salue le vote comme une victoire, et la France estime qu'elle a ramené l'Amérique vers l'unilatéralisme.
Quand tous nos diplomates et quelques-uns de nos ministres nous assurent que la « querelle » franco-américaine appartient au passé, le secrétaire d'Etat, Colin Powell, ne répond pas à la question d'un journaliste qui lui demande si les Etats-Unis ont toujours l'intention de « punir » la France. Quand le même Powell dit que Paris a « fait un pas dans la bonne direction », il ajoute dans la foulée qu'il reste beaucoup de problèmes à résoudre entre les deux pays et exige du gouvernement français qu'il cesse de qualifier la guerre en Irak d'illégitime.
Bush n'a pas pardonné
La vérité est la suivante : George W. Bush est plutôt du genre rancunier ; il n'a pas pardonné à la France sa menace de veto au Conseil de sécurité et il est effectivement parti en guerre sans l'aval des Nations unies. Clairement illégitime, la guerre a eu lieu. Et aujourd'hui, tout le monde, France, Allemagne, Russie, ONU, a été contraint d'entériner le fait accompli. Il n'est pas vrai que l'ONU aura son mot à dire sur la reconstruction de l'Irak et sur le choix de ses institutions politiques ; et même si, à la demande de la France, les Américains ont amendé leur résolution sur plusieurs points, notamment pour donner un semblant de cadre international à leur action en Irak, ils en ont gardé l'essentiel, qui est leur influence totale sur l'avenir du pays conquis.
Dans ces conditions, notre ministre des Affaires étrangères ne peut pas nous faire croire qu'il y a eu une continuité de la diplomatie française au cours des quatre mois écoulés. Si la France avait poursuivi la politique qui l'a conduite au clash avec Washington, elle aurait rejeté la résolution américaine. Et si elle ne l'a pas fait, c'est parce que sa résistance aux volontés américaines avait atteint son point de non-retour.
Autrement dit, nous nous sommes dressés avec vigueur et détermination contre un projet dont nous savions pertinemment qu'il serait mis en uvre et, quand il a été réalisé, il ne nous restait plus aucun atout pour influencer les conséquences civiles de la guerre.
Or la France pouvait, longtemps avant la guerre, prévoir ce qui allait se produire dans les faits. Elle aurait dû, tout en refusant de participer à l'expédition militaire, éviter de se singulariser et d'apparaître comme le plus hostile des alliés des Etats-Unis, le plus ennemi de ses amis. De sorte que, quand les armes se sont tues, le moment triomphal de sa résistance était entièrement consommé ; la France avait mangé son pain blanc et devait réparer ses relations extrêmement délabrées avec les Etats-Unis. Le plus étrange, c'est qu'elle a semblé prise de court par la « méchanceté » américaine, qu'elle a, depuis lors, multiplié les discours, d'ailleurs creux, d'amitié, et les références à l'histoire. Si c'était pour s'aplatir à peine deux mois plus tard devant la puissance américaine, peut-être eût-il mieux valu commencer par ne pas la provoquer deux mois plus tôt.
Et en définitive, de même que notre jeu personnel n'a réussi qu'à renforcer la détermination des Etats-Unis, de même notre démarche actuelle a pour effet de légaliser la monstruosité juridique que nous dénoncions il y a quelques semaines. L'ONU n'a pas autorisé les Etats-Unis à envahir l'Irak, mais l'ONU entérine la présence dans ce pays de ce qu'elle appelle la « puissance occupante » et lui accorde du même coup son blanc-seing.
Une soudaine inquiétude
Jacques Chirac, au début de la bataille, a souhaité (heureusement) que les Anglo-Américains l'emportent, mais leur victoire militaire entraînait un corollaire : la défaite diplomatique de la France. Voilà ce qu'il en coûte de faire la politique d'un moment et de ne pas situer son action dans une perspective à plus long terme. Les dirigeants français, depuis la fin de la guerre en Irak, ont à peine caché leur soudaine inquiétude, comme s'ils avaient cru auparavant que l'administration de M. Bush était un gouvernement américain comme les autres, comme si le discours antiaméricain resterait, comme d'habitude, sans conséquences, comme s'ils n'avaient pas mesuré les implications de l'arrivée des néoconservateurs au pouvoir à Washington, comme si le peuple américain n'avait pas été traumatisé durablement par les attentats du 11 septembre, comme si Dominique de Villepin avait seulement battu Colin Powell dans un match de ping-pong.
Or ils auraient dû se méfier de cette administration depuis qu'elle a pris les rênes des Etats-Unis ; pourtant, les articles sur la nature particulière de M. Bush, qui n'est ni son père ni Ronald Reagan, mais encore autre chose, n'ont pas manqué. Comment le gouvernement français pouvait-il ignorer ce que n'importe quel journaliste qui s'intéresse aux Etats-Unis pouvait lui dire ? Comment a-t-il pu rester sourd aux exhortations de ceux qui, dans la majorité, lui demandaient de trouver une « sortie de crise » ? Comment a-t-il pu s'appuyer sur cette coalition hétéroclite où l'on retrouvait la Russie et la Chine ?
Les fameuses frites de la liberté
Ce qui explique le soudain revirement de la France, passée brusquement du défi à des appels du pied à l'Amérique, c'est, justement, qu'un grand danger pesait sur elle : qu'elle fût cataloguée définitivement dans le camp de l'antiaméricanisme. C'est aussi qu'elle a déclenché aux Etats-Unis un antifrancisme qui, en dépit de ce qu'on nous rabâche, imprègne plus le peuple américain que ses dirigeants. Nous nous sommes moqués de ces manifestations d'aigreur au Congrès, qui a décidé de donner aux French fries (pommes frites) le nom parfaitement ridicule de Freedom fries. Les chaînes de télévision françaises passent sans arrêt des reportages ou des débats sur « l'incroyable » intolérance actuelle des Américains pour la France. A l'aéroport de Los Angeles, la police a arrêté, menotté et gardé à vue des journalistes français qui venaient assister à un congrès sur les jeux vidéo sous un prétexte de visa complètement fallacieux. On en est tout retourné dans les chaumières françaises. Mais qui se demande pourquoi les Américains en arrivent à de tels excès ? Ce n'est pas M. Bush qui a téléphoné aux policiers de Los Angeles pour qu'ils empoisonnent la vie de nos concitoyens. C'est seulement un effet backlash de l'antiaméricanisme.
Car, si la guerre a exalté le patriotisme américain et lui a donné des accents nationalistes, parfois même excessifs et intolérants, en France, nous ne faisons guère mieux quand nos médias accordent un immense intérêt aux Américains qui critiquent leur gouvernement, notamment à l'occasion du Festival de Cannes. Certes, ces acteurs ou producteurs ont le droit de s'en prendre à M. Bush - avec d'excellents arguments, d'ailleurs - et il est de notoriété publique que Hollywood est anti-Bush et antirépublicain. Mais Hollywood ne représente pas toute l'Amérique. Et nous ne pouvons pas nous plaindre de l'antifrancisme si nous-mêmes ne revenons pas à de meilleurs sentiments à l'égard des Américains.
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