Le facteur V Leiden (mutation du facteur V de la coagulation) est présent chez environ 6 % de la population blanche ; il s'agit du facteur de risque de thrombose le plus fréquent dans cette population.
L'analyse des haplotypes suggère que la mutation facteur V Leiden a émergé il y a entre 21 000 et 34 000 ans. Le seul effet positif connu de cette mutation est la réduction du saignement maternel en péri-partum. En revanche, parmi les effets négatifs, outre le risque de thrombose, il faut souligner que la mutation accroît le risque de problèmes mortels pour les ftus : avortement au cours du deuxième trimestre de la grossesse, naissance très prématurée.
Une mutation qui aurait dû être éradiquée
Si ces risques du ftus n'étaient pas compensés par un avantage, le facteur V Leiden aurait dû être spontanément éradiqué. Ce qui n'est évidemment pas le cas. Quel est donc cet avantage ? Une équipe de Lübeck (Wolfgang Göpel et coll.) a voulu savoir s'il ne s'agissait pas d'une meilleure implantation de l'embryon. Voici le raisonnement des chercheurs.
Dans la fécondation in vitro (FIV) par injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI), les spermatozoïdes et les ovocytes sont sélectionnés et un spermatozoïde est directement injecté dans un ovocyte. Ce qui fait que la survie d'un embryon après FIV/ICSI est presque entièrement due à sa capacité à s'implanter dans l'endomètre. Donc, des mères porteuses d'une mutation quelconque qui améliorerait les chances d'implantation devraient avoir besoin de moins de transferts d'embryons ; de même, les embryons porteurs d'une telle mutation réussiraient plus souvent leur implantation.
La plupart des sujets porteurs de la mutation facteur V Leiden sont hétérozygotes. Si la mutation maternelle seule était associée à une meilleure implantation, sa présence devrait résulter en un taux d'implantation accru à la fois pour les embryons porteurs de la mutation et les embryons non porteurs. Mais alors, un taux élevé d'embryons positifs pour la mutation facteur V Leiden avorteraient au deuxième trimestre, ce qui devrait conduire à l'éradication de la mutation.
Les auteurs ont formulé une hypothèse : l'avantage sélectif de la mutation est une amélioration du taux d'implantation. Ils sont partis du principe que, si la mutation multiplie par 2,5 les chances d'implantation, il faut 100 paires mère-enfant pour détecter une différence avec un pouvoir supérieur à 0,8.
Leur étude a porté sur 113 paires mère-enfant après réussite d'une FIV par ICSI. Chez toutes les mères et tous les enfants, les chercheurs ont, après prélèvement buccal, recherché la présence de la mutation facteur V Leiden par PCR (Polymerase Chain Reaction) et restriction enzymatique.
Succès : 90 % dès la première tentative
Ils ont exclu les mères ayant eu une salpingectomie ou porteuses d'un utérus myomateux (n = 11), car tant l'ablation des trompes que le fibrome utérin peuvent avoir un effet négatif sur les chances d'implantation.
Parmi les 102 paires restantes, 10 avaient la mutation : mère seulement : 4 ; enfant seulement : 4 ; à la fois la mère et l'enfant : 2.
L'implantation a été obtenue dès la première tentative chez 9 des 10 paires (90 %) porteuses de la mutation, contre seulement 45 des 92 paires (49 %) ne l'ayant pas (p = 0,018). Au total, le nombre médian de transferts infructueux était significativement plus faible chez les 10 paires ayant la mutation que chez les 92 paires ne l'ayant pas (p = 0,02).
Bien entendu, il fallait éliminer de possibles facteurs confondants. Les auteurs ont donc fait une analyse multivariée en régression logistique pour évaluer l'influence : de l'infertilité masculine, d'un âge maternel inférieur à 33 ans, du transfert d'un seul embryon (contre deux ou trois), de grossesses antérieures et, bien sûr, du statut vis-à-vis de la mutation facteur V Leiden. Résultat : seule la mutation prédit de façon significative le succès du premier transfert d'embryon.
Les auteurs estiment donc que leurs résultats sont en accord avec l'hypothèse selon laquelle la tendance à la thrombose des sujets porteurs de la mutation facteur V Leiden confère un avantage pour l'implantation de l'embryon. « Cela constituerait un important bénéfice de la mutation facteur V Leiden et une possible explication de la forte fréquence de la mutation dans certaines populations. »
En dehors de ces résultats concernant les sujets porteurs de la mutation, les auteurs estiment qu'on pourrait tirer des enseignements de leurs résultats pour essayer d'améliorer les chances de succès de la reproduction assistée chez les humains.
« Lancet » du 13 octobre 2001, pp. 1238-1239.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature