F AIRE de la médecine d'urgence une spécialité ? Après des années de silence, la volonté du gouvernement à ce sujet ne fait aujourd'hui aucun doute.
Lundi, dans les colonnes du journal « Libération », le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner, l'a dit sans ambages : « Je souhaite créer une spécialité d'urgentiste. » Deux jours auparavant, lors de l'université d'été du PS à La Rochelle, il s'était publiquement « engagé » à s'y mettre « au plus vite ».
Si la promesse est ferme, elle reste pour l'instant sans contenu. Et le ministère de l'Education nationale, qui a son mot à dire dans cette affaire, n'a pas encore pris parti.
On sait que c'est pour faire venir les médecins aux urgences et pour donner aux services concernés toute légitimité à recevoir des moyens que le ministère entend créer la spécialité d'urgentiste. Pour autant, on ignore la forme que prendra cette nouvelle spécialité. Sera-t-elle d'ailleurs une spécialité à part entière, ou plutôt une « discipline », terme qu'emploie Bernard Kouchner à l'occasion ? Aura-t-elle ses professeurs et ses chercheurs ? Le flou alimente les attentes des uns, les inquiétudes des autres.
Il est très peu probable que le gouvernement choisisse d'instituer un DES (diplôme d'études spécialisées) d'urgence. Alors que de nombreux médecins urgentistes réclament la voie royale d'une filière d'internat spécifique, qui mettrait l'urgence sur le même pied que la pédiatrie, la neurologie ou l'ophtalmologie, les syndicats d'urgentistes et les organisations de médecins hospitaliers n'en sont pas - ou plus - partisans. Au moins à moyen terme. Le fait que cette solution fermerait la porte des urgences aux réanimateurs, cardiologues et chirurgiens désireux de s'y frotter est le principal argument invoqué par ses détracteurs.
Six semestres d'enseignement spécifique
Beaucoup plus consensuelle paraît en revanche la création d'un DESC (diplôme d'études spécialisées complémentaire). L'urgence deviendrait par ce biais une « spécialité hospitalière » au même titre que la chirurgie orthopédique et traumatologique, par exemple, en est une aujourd'hui. Cela se ferait dans l'optique du 3e cycle réformé des études médicales, c'est-à-dire en remplaçant le concours de l'internat par un examen national et classant, ouvert à tous les étudiants qui, une fois reçus, choisissent leur spécialité - y compris la médecine générale dont le 3e cycle est allongé à trois ans.
En plus de leur formation, ceux qui voudront devenir urgentistes suivraient six semestres d'enseignement spécifique. « Les stages se feraient en anesthésie, en réanimation, en chirurgie traumatologie, aux urgences pédiatriques. Il y aurait une formation à la régulation et au fonctionnement en réseau », anticipe avec enthousiasme le président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF), le Dr Patrick Pelloux.
Le système a l'avantage, tout en restant ouvert à tous, « de ne pas couper l'urgence de la médecine générale », explique le Dr Bruno Mangola, qui préside le Syndicat des urgences hospitalières (SUH). Il permet aussi à l'urgence de « devenir un lieu à dimension universitaire, où l'on peut faire carrière », résume le président de la Coordination médicale hospitalière (CMH), le Dr François Aubart.
Le DESC, avec sa cohorte d'enseignants (que le Dr Pelloux voudrait voir nommés aussi dans les hôpitaux généraux) et ses chercheurs propres, donnerait à l'urgence des galons que la seule formation en vigueur aujourd'hui - la capacité en médecine d'urgence (CMU) - est loin de pouvoir lui procurer.
Sans rejeter totalement l'idée du DESC, certains syndicats s'interrogent toutefois sur son opportunité. « Le gros risque est d'enfermer l'urgence dans un ghetto », estime le Dr Jean Garric, vice-président du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs (SNPHAR) .
A l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), la création d'une spécialité d'urgentiste soulève aussi, selon les mots de sa présidente, le Dr Rachel Bocher, des « réticences très fortes ». Parce qu'on pense que l'opération isolera les urgentistes et que cela ira à l'encontre d'une prise en charge des malades urgents davantage partagée entre la ville et l'hôpital. De fait, la gestion du nombre croissant des patients aux portes des urgences hospitalières est au centre du débat. Ceux qui pensent que l'on peut réduire les flux ne sont pas pour la création de la spécialité d'urgentiste, tandis que ceux qui croient le phénomène inéluctable - Bernard Kouchner en fait partie - n'y voient pas d'alternative.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature