LA RECONNAISSANCE du titre d'ostéopathe avec la loi du 4 mars 2002 a ravivé l'éternel débat qui oppose médecins, kinésithérapeutes et ostéopathes. Le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) et l'Académie de médecine se sont récemment inquiétés des conséquences possibles de l'application de l'article 75 de cette loi, qui réserve l'usage professionnel du titre d'ostéopathe « aux personnes titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation spécifique par un établissement agréé par le ministre de la Santé ». L'Ordre ne veut pas « cautionner l'exercice de cette pratique en dehors du statut médical », tandis que l'Académie souligne que « les méthodes à visée diagnostique et thérapeutique prônées par l'ostéopathie s'appuient sur des a priori conceptuels dénués de tout fondement scientifique ».
Cent ans d'âge.
Introduite en France au début du XXe siècle, la technique du pasteur américain Andrew Taylor Still s'est répandue en France dans les années 1950. Elle fait aujourd'hui pleinement partie du paysage médical. Quelque 27 % des Français y auraient déjà eu recours, selon l'Association française d'ostéopathie exclusive (AFO). « L'ostéopathie est devenu un phénomène de société, on en retourne davantage au mystique ou au religieux quand la science n'apporte pas de réponse », analyse Jacques Lapoumeroulie, kinésithérapeute et ostéopathe à Aixe-sur-Vienne, chargé du dossier ostéopathie pour le Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (Snmkr). Mais l'idée d'officialiser une pratique non médicale de l'ostéopathie déclenche une levée de boucliers chez les 2 500 médecins ostéopathes, issus essentiellement de la rhumatologie ou de la médecine générale. « L'ostéopathie est un volet de la médecine. Elle ne peut être dévolue qu'à des médecins très avertis du diagnostic, des thérapeutiques possibles et des contre-indications thérapeutiques », estime le Dr Jean-Louis Garcia, président du Syndicat de médecine manuelle-ostéopathie de France (voir ci-dessous). Après une formation de médecine générale ou spécialisée (nuef ans au minimum) puis d'un diplôme interuniversitaire de médecine manuelle et d'ostéopathie de trois ans, enseigné dans quinze facultés françaises, les médecins voient en effet d'un mauvais œil la concurrence des ostéopathes, dont le montant des consultations varie de 50 à 150 euros (non remboursés). Jusqu'à la loi du 4 mars 2002, les ostéopathes étaient d'ailleurs passibles de poursuites pour exercice illégal de la médecine. « Peut-on aujourd'hui créer une profession qui ne soit ni une profession médicale ni une profession d'auxiliaire de santé ? C'est contraire à l'article 4391-1 du code de la santé publique », s'insurge le Dr Gérard Alexandre, vice-président de l'Uccsf (Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français), qui a enquêté sur l'ostéopathie en France.
Des formations diverses.
Le problème de la formation en ostéopathie est aujourd'hui clairement posé par les médecins. Dans un récent courrier adressé au « Quotidien », l'un d'eux s'inquiétait de « l'apprentissage souvent rudimentaire de l'ostéopathie dans certaines écoles privées, et surtout dans la majorité des diplômes universitaires d'ostéopathie qui existent ».
Les ostéopathes se sont organisés pour réglementer leur profession. En 1999, un Conseil national des ostéopathes de France mettait sur pied un diplôme national commun à toutes les écoles de formation qui dépendaient de lui. Six ans de formation et 5 000 heures de cours étaient jugées nécessaires pour former un ostéopathe. L'institut toulousain d'ostéopathie, du groupement Sup'ostéo, a ouvert ses portes en octobre 2002. Il accueille 125 étudiants en première et deuxième année, « sélectionnés » après le bac. « Il n'y a pas d'examen d'entrée mais un bac S est souhaité, indique un membre de la direction. En fin de première année, les étudiants qui ont 12/20 de moyenne à leur examen passent au niveau supérieur. L'année dernière, seulement trois étudiants sur soixante ont été recalés. Le Dr Alexandre s'inquiète du développement des établissements privés dont le coût à l'année oscille entre 5 000 et 7 000 euros (6 390 euros à Toulouse). Selon lui, « 6 000 à 7 000 étudiants suivraient une formation en ostéopathie, dont beaucoup de recalés de première année de médecine ».
Une boîte de Pandore.
Fernand-Paul Berthenet, ostéopathe depuis plus de trente ans, a créé en avril 2002 le premier Syndicat national d'ostéopathes (SNO) qui regroupe une centaine d'adhérents. Il reconnaît qu'aujourd'hui seulement une quinzaine d'écoles privées ont une formation sérieuse, les autres étant « des boîtes à diplômes ». Titulaire d'un diplôme officiel de l'école européenne de Maideston (Angleterre), il estime que « sur les 8 000 à 10 000 ostéopathes qui exercent en France, 6 000 sont des charlots ». Fernand-Paul Berthenet est pourtant persuadé que seule une rapide réglementation permettra de « limiter le charlatanisme ».
La majorité des ostéopathes sont aujourd'hui des kinésithérapeutes qui ont décroché leur plaque. Selon une enquête de la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (Ffmkr), de 7 000 à 8 000 kinés déconventionnés pratiqueraient l'ostéopathie.
Jacques Lapoumeroulie, directeur de l'école ostéopathique de l'Onrek (Office national de recherche et d'enseignement en kinésithérapie) constate que beaucoup d'efforts ont été faits par les kinésithérapeutes pour développer des formations de qualité en ostéopathie. « Notre souci est d'avoir un niveau d'enseignement qui nous permettra de ne pas nuire aux patients. Nous ne voulons pas nous substituer aux médecins mais travailler en complémentarité avec eux. »
Médecins, kinésithérapeutes et ostéopathes s'accordent sur au moins un point : le ministère de la Santé devra rapidement imposer un unique règlement pour toutes les écoles. « Il faut faire vite, prévient le Dr Alexandre, car en voulant mettre de l'ordre, le législateur a tout simplement ouvert une boîte de Pandore. »
Des décrets très attendus
Les décrets d'application de l'article 75 de la loi du 4 mars 2002 sont attendus depuis deux ans par les ostéopathes. Ils doivent établir la liste des actes que les ostéopathes seront autorisés à effectuer ainsi que les conditions dans lesquelles ils seront appelés à les accomplir. Depuis septembre 2003, plusieurs réunions ont été organisées par le ministère de la Santé. Celui-ci a constitué un groupe de travail composé des représentants des ostéopathes, des kinésithérapeutes et des médecins ostéopathes, ainsi que du Conseil national de l'Ordre des médecins et de l'Anaes (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé). Une sous-commission a été chargée de réfléchir aux modalités d'homogénéisation des formations. Mais la réunion de synthèse du groupe de travail n'a jamais eu lieu et le remaniement ministériel pourrait ralentir la sortie des décrets.
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