Formation des généralistes : un examen final en forme de jeu de rôles

Publié le 28/04/2003
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C'est l'une de ces dates cochées sur les agendas des mois à l'avance.

Le 10 avril restera un grand jour dans leur cursus scolaire. Le 10 avril, les résidents de la faculté de médecine de Paris-Ile-de-France-Ouest passaient l'épreuve finale validant leur troisième cycle. Ils ont déjà passé en première année de leur troisième cycle un « oral écrit », puis ils ont présenté un mémoire à l'issue de leur stage en deuxième année.
Les facultés étant autonomes, elles déterminent les modes de validation de leurs examens. L'ECOS (examen clinique objectif structuré) est l'un d'entre eux. Il permet de juger de l'attitude des futurs généralistes face à des patients.

Des connaissances à la performance

Depuis une quinzaine d'années, l'évaluation des candidats semble ainsi porter davantage sur l'observation de l'application pratique des connaissances. Chacun s'en réjouit d'ailleurs.
Une dizaine de facultés en France a choisi le système des ECOS pour valider le troisième cycle de leurs étudiants en médecine générale. A Strasbourg, l'étudiant qui aura échoué à l'ECOS devra présenter un mémoire portant sur le sujet pour lequel il aura obtenu la moins bonne note. A Rouen, ville pionnière en France à utiliser ce mode de validation, les ECOS sont réalisés en cinquième semestre. La faculté de Paris-Ouest a opté pour le système ECOS depuis quatre ans. Elle se distingue par un détail supplémentaire : les patients simulés ne sont pas joués par les enseignants mais par des acteurs. Une troupe de comédiens amateurs de la banlieue parisienne a été sollicitée pour se prêter au jeu le temps d'une journée. « C'est notre médecin de famille qui nous a demandé un coup de main », se souvient l'un des artistes. « Nous sommes encore dans une phase intermédiaire, à la fois expérimentale et validante », convient le Dr Pierre-Louis Druais, chargé de la commission maîtrise de stage au département de médecine générale de Paris-Ouest.
Expérimentale car certaines stations sont encore en tests, et validante parce que cet examen détermine bel et bien la réussite du troisième cycle.
Top chrono. C'est parti pour un circuit de trois heures et quinze ateliers, ponctué toutes les quatorze minutes par un coup de corne de brume. Bien qu'il résonne ferme dans les couloirs du département de médecine générale de Garches, il donne un petit air de match de foot et cela détend un peu l'atmosphère d'examen.

L'évaluation la plus objective possible

Les douze résidents de cet après-midi sont soumis au même sort que leurs douze autres camarades ont subi le matin même. Ils doivent enchaîner les quinze « stations », réparties sur les trois étages. « Vous avez quatorze minutes top chrono, temps de lecture compris », sont-ils prévenus dès l'arrivée. Les candidats reçoivent en effet la liste des quinze « stations » ainsi que leur ordre de passage. La méthode est ludique mais les règles sont strictes. Les marathoniens disposent de deux minutes seulement pour changer d'atelier. Et, leur précise-t-on, le temps pris sur un atelier est autant de temps perdu sur l'atelier suivant... et pénalise également le candidat qui suit.
L'étudiant entre dans une pièce. Les examinateurs lui tendent une feuille d'instruction, sur laquelle est résumé la « situation du problème ». Après avoir lu les consignes, et « dès qu'il le sent », l'étudiant invite son faux patient, que l'on imagine dans une salle d'attente fictive, à s'asseoir.
Arrêt à la station « maintien à domicile ». C'est une étudiante qui entre dans la salle. Le « cas » s'appelle Madame B. « Bonjour Madame B. ». Le ton sonne un peu faux au début, et puis, petit à petit, le dialogue s'installe entre la patiente-comédienne et le futur médecin. Et on s'y croirait. « On oublie totalement la présence des examinateurs », confie cette résidente. Pendant ce temps-là, alors que l'étudiante écoute sa patiente, le professeur coche des cases. Son diagnostic tombe tout net : « Elle, on peut la lâcher dans la nature », confie tout bas l'enseignant. Mais les impressions personnelles des examinateurs ne sont pas prises en compte dans la note. Ils sont en effet tenus de remplir scrupuleusement une grille d'évaluation. L'étudiant a-t-il posé telle question, OUI ou NON ? A-t-il suggéré telle solution, OUI ou NON ?
Comme il s'agit essentiellement d'observer les capacités relationnelles du futur médecin, il faut pouvoir garantir la plus grande objectivité dans l'évaluation. Les résultats sont d'ailleurs totalement informatisés.
Les examinateurs sont deux la plupart du temps à observer le comportement de l'étudiant. « Il y a une rencontre dans la rencontre, témoigne l'un des enseignants, celle des libéraux avec les hospitaliers. » Un généraliste est en effet accompagné d'un PH (praticien hospitalier) ou d'un PU-PH (professeur universitaire-praticien hospitalier). « Cela fait quinze ans que l'on se bat pour que l'enseignement de la médecine générale implique les hospitaliers », explique le Dr Druais. « Cela peut être d'ailleurs pour eux l'occasion de découvrir d'éventuelles lacunes dans leur propre pratique », renchérit le Dr Claude Piriou, responsable de la commission d'évaluation. « C'est toujours au formateur de voir comment se débrouillent d'autres professionnels, confie un généraliste. On se dit parfois même qu'en tant qu'examinateur, on est à la bonne place. »

Un grand travail de comédiens

L'atelier le plus redoutable reste « l'annonce de la mauvaise nouvelle ». Le comédien, qui s'est entendu dire vingt-quatre fois dans la journée qu'il avait un cancer des poumons, raconte : « La difficulté, c'est de répéter à peu près les mêmes choses à chacun. »« Ce n'est pas toujours facile, ajoute Dany, une autre comédienne, on veut leur donner un coup de main, les aider à prononcer le mot-clé. C'était très intéressant de voir à quel point les réactions changent d'un individu à l'autre. »
Les comédiens, potentiels patients « dans la vie », sont emballés par cette méthode d'évaluation.
« C'est une idée fantastique et innovante pour les étudiants. Moi, je me suis amusée à repérer ceux que j'aimerais avoir comme médecin plus tard. »
Lors du « debriefing », à la fin de la journée, rassemblant étudiants, médecins et acteurs, le Dr Piriou a convenu que l'intégration des neuf comédiens dans cette session est « quelque chose de lourd mais qui se révèle très payant ».
« Il y a un grand travail des comédiens, confirme l'un des étudiants, on sent une histoire construite de A à Z et on imagine vraiment qu'on a un patient en face de soi. » Les candidats ont enchaîné les stations comme un médecin enchaîne les consultations. « J'ai adoré suivre ce rythme qui reproduit bien, me semble-t-il, celui d'un cabinet. »
« Les juges n'étant pas dans notre champ de vision, on les oublie. J'ai beaucoup apprécié cette façon très ludique de passer un examen », confie encore une résidente. Deux étudiantes seulement n'ont pas réussi à se sentir en situation autre que celle d'un examen. « Je me sens beaucoup plus fatiguée après ces trois heures qu'en fin de maîtrise de stage », regrette l'une d'entre elles.
La formule est donc intéressante, pour la grande majorité des candidats, mais un peu tardive, pour certains étudiants. « C'est dommage qu'on ne passe pas ces ECOS en fin de D4. »
Les étudiants ont reçu leur note dès le lendemain. Et ça, ce n'était pas du cinéma. Mais le 24 avril, ils ont été invités à analyser leurs résultats avec les enseignants. « Souvent, ils découvrent qu'ils ont été mauvais là où ils pensaient avoir été bons et inversement », raconte le Dr Druais. L'ECOS, une épreuve validante et formative.

Audrey BUSSIÈRE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7325