Peu de journalistes ne connaissent pas personnellement Jean-Marc Lech, codirecteur de l'institut IPSOS. Depuis trente ans, c'est un habitué des salles de rédaction. Mais il n'est pas seulement proche du monde de la presse. Comme elle, il campe aux marches du pouvoir et, mieux qu'elle, il entretient avec lui une conversation ininterrompue dont la durée témoigne de son influence.
Jean-Marc Lech, un grand barbu chauve d'un calme marmoréen qui tranche avec la frénésie des journalistes et la fièvre des gouvernements, a décidé de raconter comment les sondages d'opinion sont devenus un ingrédient indispensable de la vie politique en France. Et de se raconter lui-même.
On ne sait pas exactement ce qui, dans cet ouvrage, où même le journaliste le mieux informé peut apprendre beaucoup de choses, l'emporte, de la candeur ou du cynisme. Car Lech n'épargne ni les sondeurs d'opinion en général, ni ce sondeur très particulier qu'il est lui-même, à la fois observateur de son temps, commentateur, entomologiste de la société française et consultant de tous les pouvoirs et de tous les partis.
Bien sûr, il offre cent explications à propos des fautes d'appréciation commises par les instituts de sondage ; il reconnaît qu'il n'a pas appliqué toujours avec toute la rigueur requise les préceptes de sa déontologie ; il ne cèle rien de ses démêlés avec ses concurrents et avec les organismes de contrôle qui l'ont même une fois conduit devant la justice ; il ne juge pas choquant de travailler alternativement pour la droite et pour la gauche, et parfois simultanément. Mais, après avoir fait de l'IFOP un grand institut de sondage, il est devenu codirecteur de l'IPSOS, dont il a fait, avec son alter ego, une affaire florissante. Au jeu de la vérité, il va même jusqu'à nous dire qu'il est riche.
Mais le plus important, dans ce témoignage d'une incroyable sincérité (qui se souvenait encore de la perte de crédibilité des instituts de sondage après des pronostics démentis par la réalité, et qui se rappelait les crises de croissance de l'IFOP ?), c'est l'amour de la communication. Inutile de dire que, parce que nous exerçons un métier très voisin de celui de Jean-Marc Lech, nous comprenons sans peine où il veut en venir. Et qu'en dépit des obstacles qu'il a rencontrés, il n'a jamais voulu en changer.
On retiendra de ce livre que, bien davantage que l'opinion publique, les élus ou les candidats sont des drogués du sondage, qu'ils en commandent des centaines, des milliers ; que cette industrie est d'autant plus prospère que l'administration française a mis en place des outils statistiques qui sont peut-être uniques au monde ; que les sondages, certes, valent ce qu'ils valent, mais qu'ils expriment aussi la vigueur de notre démocratie.
En effet, de droite ou de gauche, les candidats sont dominés par les chiffres : il n'y a pas d'accès au pouvoir sans majorité. Le candidat est donc forcé d'arpenter sans cesse le terrain électoral, et même de le labourer, de creuser des sillons dans ses entrailles pour y trouver le message de l'oracle. Les sondages représentent l'annexe du processus électoral, la pièce rapportée de l'urne. Ils disent en temps réel ce qui se passe dans l'électorat, ils le tâtent, ils le hument, ils le goûtent, ils le pénètrent, ils le caressent, ils le photographient, ils le dessinent, ils le dépeignent. Ils le mettent, en vérité, au pinacle. Et démontrent de cette manière que rien n'est plus important que ce bulletin que vous et moi mettons dans l'urne.
« Sondages privés, les secrets de l'opinion », de Jean-Marc Lech, Stock, 239 pages, 16,80 euros, 110,20 F.
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