De notre envoyée spéciale
Parmi les risques liés à la grossesse et à l'accouchement dans les pays pauvres, la fistule obstétricale est à la fois méconnue et dramatique.
Méconnue, car le sujet fait en général partie des tabous culturels et sociaux ; les victimes, plutôt que d'aller au devant des soins, préfèrent souvent cacher leur malheur ; les agents de santé, lorsqu'il y en a, sont mal informés ou peu concernés par ces questions ; et les données épidémiologiques et statistiques manquent.
Dramatique, aussi, car une femme porteuse d'une fistule non traitée voit inéluctablement son destin brisé. Répudiée par son mari, chassée par sa famille et même par la communauté villageoise, qui ne veulent plus avoir à subir odeurs et souillures permanentes, la femme, souvent très jeune et incapable de subvenir à ses besoins, se retrouve, honteuse et solitaire, livrée à la mendicité et aux violences liées à l'exclusion. Elles ne sont pas mortes en couches, ces jeunes femmes, dont beaucoup peuvent n'avoir que 13 ou 14 ans, mais elles n'ont pourtant plus rien à espérer de la vie.
Au Pakistan, pays à forte fécondité (4,5 millions de naissances par an) et où le sort des femmes est particulièrement difficile (mariage précoce, illettrisme, pauvreté, peu de suivi médical des grossesses et des accouchements), le taux de mortalité maternelle est un des plus élevés. En particulier dans une région de montagnes et de guerre comme le Cachemire, où les escarpements du terrain et le risque constant de tirs d'obus compliquent la circulation vers les rares centres de soins.
Dans cette région, les représentants de l'ONU, les médecins et les observateurs internationaux, bien qu'ils ne disposent d'aucun chiffre, ont estimé que le problème des fistules obstétricales était suffisamment sérieux pour justifier un projet de formation des personnels de santé pakistanais à la prévention et au traitement chirurgical de ces affections.
Transfert de compétences
Bernard Debré et l'association APS (Action pour la santé), qu'il a fondée il y a un an avec le Pr Philippe Even, ont pris en charge ce projet, en lui donnant une dimension de chirurgie générale, de transfert de compétences techniques et de familiarisation avec du matériel nouveau. Mission humanitaire, donc, mais aussi de développement, avec ce que cela comporte de politique. Car bien que son leader ne soit pas venu en homme politique, mais en « médecin, messager de paix », la mission de Bernard Debré, première de cette importance à pouvoir travailler sur ce territoire en conflit avec l'Inde depuis plus de cinquante ans, est une sorte de joint-venture entre le gouvernement autonome du Cachemire et le Pakistan, d'une part, l'ONU et l'APS, de l'autre.
Avec une vingtaine de chirurgiens, anesthésistes et panseuses venus de différents CHU, quatre tonnes de matériel offert par les hôpitaux et l'industrie pharmaceutique, et sous le regard attentif de quelques journalistes français, l'équipe du Pr Debré a pu réaliser 35 interventions à l'hôpital civil et militaire de Muzaffarabad, dont les salles d'opération avaient été mises aux normes occidentales pour la circonstance. La capitale cachemirie, située à quelques dizaines de kilomètres de la « ligne de contrôle », par laquelle, en 1949, les Nations unies ont partagé le Cachemire entre l'Inde et le Pakistan, et zone de tension permanente depuis lors, avait été choisie comme théâtre des opérations à la fois pour la forte demande et la forte implication des autorités locales, et pour les difficultés de l'accès aux soins des populations privées de transports et de communications. « Nous allons chaque fois que possible faire des césariennes dans les hôpitaux relais des montagnes, dit cette femme médecin militaire voilée de kaki qui dirige le service de gynécologie de l'hôpital militaire de Muzaffarabad. Mais les femmes sont vraiment victimes des problèmes de transport. »
Les « french doctors », qui n'étaient pas maîtres du programme opératoire, n'ont pas traité autant de fistules obstétricales qu'ils l'auraient souhaité, les médecins cachemiris préférant de toute évidence leur confier des prostates... Ils ont eu cependant la grande satisfaction de sauver quelques situations graves, comme celle de cet enfant de 2 ans qui, à quelques heures près, pouvait mourir de sa péritonite, ou de cette jeune femme atteinte d'une fistule... postchirurgicale (et non obstétricale), qui, après une délicate opération en deux temps, a retrouvé son beau sourire en même temps que la maîtrise du flux de ses urines.
Relations de confiance
Quant au difficile problème des fistules, grâce à l'événement qu'a constitué ici la mission de Bernard Debré, « on a au moins pu commencer à en parler aux médecins, mais aussi à la presse, à l'opinion et au ministère de la Santé, a indiqué le Dr Olivier Brasseur, directeur du bureau du UNFPA* au Pakistan. Nous allons maintenant pouvoir aborder beaucoup plus facilement tout ce qui concerne la santé des femmes, l'espacement des naissances, la prévention de la morbi- mortalité maternelle. »
Ce n'est déjà pas un mince résultat dans une société aux attitudes très conservatrices à l'égard des femmes, et où la planification des naissance n'est vraiment pas à l'ordre du jour. Au point qu'en projetant les données actuelles d'accroissement de la population le Population Reference Bureau de Washington prévoit pour 2050 un Pakistan de 349 millions d'habitants, devenu quatrième pays du monde pour la population mais qui se sera encore appauvri, en particulier pour la santé et l'éducation.
C'est dire combien les relations de confiance établies entre les médecins français et pakistanais peuvent être utiles pour faire évoluer les idées dans un pays instable qui, malgré son rôle important dans le jeu politique international, demeure très fermé aux influences étrangères.
* Fonds des Nations unies pour la population (www.unfpa. org).
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