LE QUOTIDIEN – Le Pr Philippe Juvin a violemment critiqué la conférence de citoyens sur la fin de vie en la qualifiant de « tromperie », « confiée à 18 personnes sans légitimité ».
Pr JEAN CLAUDE AMEISEN – Le CCNE est une autorité indépendante qui tente de remplir au mieux les deux missions que le législateur lui a confiées depuis 30 ans : l’une est de rendre des avis, l’autre est d’animer le débat public. Et, en 2011, le législateur a confié une nouvelle mission au CCNE dans le cadre de l’animation du débat public : l’organisation de conférences de citoyens. Les critiques sont bienvenues : encore faut-il qu’elles ne soient pas fondées sur une méconnaissance de la loi et des missions que le législateur a confiées au CCNE, ce qui est particulièrement surprenant venant d’élus qui font partie de la majorité d’alors qui a voté cette loi en 2011. Si Monsieur Juvin pense que la majorité d’alors a contribué à inscrire une « tromperie » dans la loi, il devrait demander au législateur de modifier la loi pour réparer cette « tromperie », plutôt que de faire endosser la faute au CCNE.
Une de ses critiques porte sur la méthode et le nombre de citoyens consultés. Le panel était-il représentatif ?
L’article 46 de la loi relative à la bioéthique de juillet 2011 demande qu’en cas de projet de loi concernant un domaine qui entre dans le champ de ses missions, le CCNE organise « des conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité » (et non pas des conférences de citoyens représentatives de la population : il faudrait dans ce cas environ 1 000 citoyens pour une conférence). C’est ce que demandait le cahier des charges de l’appel d’offres au terme duquel le CCNE a choisi l’Ifop, et c’est ce qui a été réalisé : un panel de 15 à 20 citoyens représentatifs en termes de sexe, d’âge, de région habitée – rurale ou agglomération, de niveau de diplôme et de profession, conformément aux grilles fournies par l’INSEE. C’est d’ailleurs exactement ce qu’avait fait l’Ifop lors des conférences de citoyens organisées en 2009 par Jean Leonetti avant la révision de la loi relative à la bioéthique.
C’est le principe des conférences de citoyens telles qu’elles se pratiquent depuis longtemps en Europe du Nord et dans les pays anglo-saxons : leur intérêt consiste en l’élaboration d’une réflexion collective par des personnes tirées au sort qui reçoivent l’information la plus large et la plus honnête possible, et qui ne se connaissent pas le jour où commence la réflexion. C’est à mon sens une transposition à un niveau collectif d’un des principes qui fonde l’éthique biomédicale moderne : l’élaboration d’un choix libre et informé.
Le Dr Jean Leonetti, s’il soutient la démarche, regrette qu’elle se soit limitée à seulement 18 personnes. Pourquoi une seule conférence ?
Lors des États généraux de 2009 qui ont précédé la révision de la loi relative à la bioéthique, 3 conférences de citoyens se sont tenues à Marseille, à Rennes et à Strasbourg. Mais ces 3 conférences ne traitaient, chacune, que d’une partie différente de la loi relative à la bioéthique qui portait sur de très nombreux sujets (AMP, diagnostic prénatal, préimplantatoire, recherche sur l’embryon, tests génétiques, tests prédictifs, greffes d’organe, etc.…). Chacune de ces 3 conférences était composée, respectivement, de 14, 16 et 17 citoyens. Je ne me souviens pas avoir entendu, ni de la part de Philippe Juvin, ni de la part de Jean Leonetti – qui en était l’organisateur – de critique sur le nombre de participants.
Quelles sont les principales différences par rapport à 2009 ?
En 2009, le président du comité de pilotage (Jean Leonetti, alors député de la majorité), ainsi que les autres membres de ce comité ont été désignés par le Président de la République, Nicolas Sarkozy. Aujourd’hui, le comité de pilotage est une autorité indépendante, le CCNE. En 2009, les 3 week-ends de « formation » des citoyens (sur les 4 week-ends de conférence) ont consisté en un dialogue des citoyens avec des personnes choisies par le Comité de pilotage, exclusivement. Aujourd’hui, le CCNE a fait en sorte que l’un des 3 week-ends de « formation » puisse être consacré à un dialogue avec des personnes que les citoyens avaient eux-mêmes choisies. En 2009, le rapport sur les 3 conférences de citoyens a été rédigé, non pas par les citoyens, mais par Alain Graf, membre du cabinet de la ministre de la Santé de l’époque : les avis rédigés par les citoyens eux-mêmes figurent parmi les annexes. Aujourd’hui, c’est l’avis des citoyens, rédigé par eux-mêmes, qui a été présenté par eux-mêmes à la presse. La vidéo intégrale de la conférence de presse qui s’est tenue à l’Amphi Buffon de l’Université Paris-Diderot le 16 décembre 2013 est mise à la disposition du public et accessible en ligne.
La conférence de presse a mis en présence les citoyens avec les journalistes : ce sont les citoyens eux-mêmes qui ont lu leur avis devant la presse et qui ont répondu aux questions des journalistes, alors qu’en 2009 la conférence de presse qui a conclu les 3 conférences de citoyens a été tenue par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot, Jean Leonetti, la directrice de l’Agence de la biomédecine, et quelques autres personnalités : l’avis des citoyens n’a pas été présenté, et aucun des citoyens ayant participé à ces conférences n’a eu la parole… Je vous laisse imaginer ce qu’auraient été les critiques si la conférence de citoyens sur la fin de vie avait été, aujourd’hui, organisée selon les mêmes modalités que celles de 2009. Si le législateur a cru bon, en 2011, de confier l’organisation de conférences de citoyens à une autorité indépendante, le CCNE, c’est probablement après avoir tiré des leçons de ces premiers états généraux.
Le CCNE a considéré que son rôle est de donner aux citoyens la possibilité de réfléchir et de s’informer dans les meilleures conditions et le plus librement possible.
Ainsi, au cours des quatre week-ends prévus pour leurs réunions, ils ont pu d’abord dialoguer avec 12 personnalités choisies pour représenter les différentes perspectives actuelles dans le domaine de la fin de vie. Puis, au cours du 3ème week-end, avec les personnes de leur choix. Ils ont mené au total 19 auditions, chacune d’une durée d’une heure et demie, leur permettant un dialogue libre avec les intervenants (la liste des intervenants est en ligne sur le site du CCNE). Le 4ème week-end était consacré à l’élaboration de leur avis. Afin de ne pas risquer d’influencer les citoyens et les intervenants, aucun membre du CCNE n’a assisté à ces rencontres. Alain Cordier, le vice-président du CCNE et moi-même, avons rencontré les citoyens trois quarts d’heure avant le début de leurs travaux pour leur dire que, pour ne pas influencer leur avis, le CCNE avait décidé de ne pas leur poser de question précise : ils étaient libres de se saisir de tout sujet concernant la fin de vie et l’amont de la fin de vie. Nous leur avons proposé les mêmes conditions de travail que celles que le législateur a données au CCNE : des réunions et des auditions confidentielles, de manière à préserver la sérénité des débats, et une restitution publique de l’ensemble du processus, lors de la conférence de presse.
Puis nous les avons rencontrés à la fin du quatrième week-end, une fois qu’ils avaient rédigé leur avis. Ces 18 personnes – elles étaient 19 au début mais l’une d’elles a dû s’absenter pour raisons familiales ce qui l’a exclue du processus – ont consacré quatre de leurs week-ends, à titre bénévole, sans aucune rémunération (seuls leurs frais ont été remboursés), pour une action de bien public : la réflexion de la société sur la fin de vie. Leur générosité et le sens des responsabilités avec lequel ils ont mené leurs travaux mérite un minimum de respect.
Venons-en au fond. Là aussi les critiques ont parfois été vives ?
Le rôle du CCNE a été d’organiser au mieux cette conférence de citoyens, et non pas de donner un avis sur son avis. Monsieur Juvin et, surtout, Monsieur Leonetti qui était l’organisateur de celles de 2009, n’ignorent pas que des conférences de citoyens peuvent faire des propositions qui ne leur conviennent pas. En 2009, la conférence de citoyens de Marseille a recommandé à l’unanimité l’autorisation encadrée de la recherche sur l’embryon. La conférence de citoyens de Rennes a recommandé à l’unanimité l’autorisation de l’adoption par les couples de même sexe. La conférence de citoyens de Strasbourg a recommandé à l’unanimité l’ouverture d’un registre du « oui », en plus du registre du « non », pour les prélèvements d’organes après la mort. Ni Monsieur Juvin ni Monsieur Leonetti n’ont alors dit qu’il était scandaleux d’avoir organisé des conférences de citoyens dont l’avis aboutissait à des recommandations opposées à celles qu’ils considéraient comme souhaitables. Mais peut-être est-ce la raison pour laquelle on n’a pas donné la parole aux citoyens qui avaient participé à ces conférences en 2009, et qu’on a décidé qu’il valait mieux que d’autres parlent à leur place et en leur nom. Si l’on savait à l’avance ce que recommandera une conférence de citoyens, serait-il utile d’en organiser ? La mission d’une conférence de citoyens n’est pas d’élaborer un avis conforme à l’avis de ceux qui l’organisent : elle est de donner à penser, de participer à la réflexion de la société. Et, comme le rapport de la commission Sicard sur la fin de vie, comme les avis du CCNE sur la fin de vie, l’avis de la conférence des citoyens est consultatif. C’est un élément de plus apporté au débat. C’est au législateur, une fois qu’il a pris en compte tout ce qui a été dit, de décider.
Au-delà des recommandations sur l’assistance au suicide et l’euthanasie qu’apporte l’avis du panel au débat ?
Les citoyens ont expliqué dans leur avis qu’avant de commencer leurs travaux, ils ignoraient la plupart des possibilités offertes par la loi Leonetti sur la fin de vie. En expliquant à la société ce qu’ils ont appris, ils font œuvre de diffusion de ces informations. Et ils n’acceptent pas qu’une loi soit si peu et si mal appliquée : ils demandent que l’accès de tous aux soins palliatifs soit reconnue « grande cause nationale ». Ils demandent une plus grande reconnaissance des droits de la personne : par exemple, à propos des directives anticipées, ils demandent qu’elles soient opposables, et qu’il y ait un registre national, et qu’elles soient inscrites sur la carte vitale.
La conférence de citoyens est un processus original et jusqu’ici peu utilisé dans la société française qui préfère les sondages ou les manifestations à la délibération. Elle a une vertu pédagogique. Le fait qu’une vingtaine de personnes venues d’horizons différents et qui ne se connaissent pas, puissent, à condition d’être informées, élaborer ensemble une réflexion, alors que ce ne sont pas des experts, est un message pour le public. D’autres, à d’autres endroits, peuvent faire la même chose, à condition de se réunir dans la diversité, et non pas, comme trop souvent, entre personnes de même profession, ou de même âge.
Vous allez rendre un rapport dans les prochaines semaines. Quelle en sera la teneur ?
Comme je l’ai dit, ce ne sera pas un avis sur l’avis de la conférence de citoyens, ce sera un rapport, une réflexion du CCNE sur l’ensemble du débat public sur la fin de vie qui a commencé, il y a un an et demi, et qui, pour moi, constitue de véritables États généraux. Ces États généraux ont commencé avec la commission Sicard – qui a organisé des débats publics dans une dizaine de villes, a procédé à de très nombreuses auditions, et a rendu son rapport fin 2012. Il y a eu ensuite l’avis 121 du CCNE, rendu en juillet 2013, puis la conférence de citoyens, dont le CCNE, dans son avis 121 a demandé la mise en place. Lors d’une réunion au ministère de la Santé au mois de septembre, j’ai proposé aux Espaces de réflexion éthique régionaux d’organiser, s’ils le souhaitaient, des débats publics autour de la fin de vie, à condition, si possible, que ces débats ne soient pas une simple répétition de ceux déjà organisés par la commission Sicard, mais puissent se dérouler selon des modalités originales et complémentaires. Le rapport du CCNE tiendra compte de ces débats qui sont en cours dans différentes régions, et dont les espaces éthiques nous adresseront le compte rendu. Le rapport du CCNE sera rendu public avant la fin février. Il y aura eu au total plus d’un an et demi de réflexion publique sous des formes différentes. C’est la première fois, à ma connaissance, qu’une réflexion de cette ampleur et de cette durée a lieu dans notre pays sur un sujet de cette importance, qui concerne chacun d’entre nous.
Le rapport aura aussi une dimension prospective, dans laquelle le CCNE tirera les enseignements pour les futurs débats publics qu’il sera amené à organiser, ou auxquels il participera.
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